Je crois qu'il est bon de donner le plus d'autonomie possible aux établissements. Cela suppose de bouleverser le service public, en prévoyant par exemple des concours régionaux pour l'enseignement secondaire, comme cela se fait déjà pour le primaire. On pourrait également fusionner le Capes et l'agrégation. De telles mesures redonneraient de l'attractivité au métier, et c'est important dans ces temps de crise de vocation.
Les chefs d'établissement doivent pouvoir afficher la spécificité de leur collège ou de leur lycée. Cela peut être l'enseignement du latin et du grec, par exemple, que l'on parviendrait ainsi à sauver. On pourrait également faire figurer dans la charte de l'établissement certains engagements : corriger les copies en moins de 48 heures, rencontrer les parents dans la semaine... Néanmoins, il restera toujours cette différence qui fait qu'on ne peut pas renvoyer un élève d'un établissement public, alors que c'est possible dans le privé. C'est là-dessus que repose le problème de l'autorité. Une autre différence, c'est que les équipes pédagogiques sont soudées autour de valeurs communes dans le privé, alors que les enseignants du public sont des électrons libres ...et j'étais le premier d'entre eux lorsque j'étais enseignant.
J'ai toujours considéré que le privé sous contrat était inclus dans le service public, la seule différence étant que le chef d'établissement peut choisir ses professeurs et peut renvoyer des élèves.
Quant aux allocations familiales, évidemment, je ne tiens pas à en priver une maman qui élève seule ses quatre enfants. En revanche, il est important de sanctionner les parents de mauvaise volonté pour leur rappeler l'importance de leur rôle dans l'éducation de leurs enfants. Contrairement à ce qu'en disent les journalistes, notre système scolaire est plutôt bon. Les enquêtes Pisa testent les performances de nos enfants, qui ne dépendent pas seulement du système scolaire. Si l'on supprime les 1 500 points noirs de notre pays, nous serions premiers dans les classements. Le problème de l'éducation en France est un problème sociologique. Il faut distinguer éducation et enseignement. L'éducation vise l'enfant dans la sphère familiale ; l'enseignement est à destination de l'élève dans la sphère scolaire où interviennent les professeurs. Sans éducation, il n'y a pas d'enseignement possible. Le problème en France, c'est que nos enfants sont mal élevés. La tâche des enseignants consiste à transmettre des connaissances et à instruire les élèves, pas à éduquer des enfants.
La grande invention de l'Occident a été d'inventer la famille moderne avec le passage du mariage arrangé au mariage d'amour. Dans ce modèle, nous transmettons de l'amour aux enfants, mais nous ne savons plus leur transmettre la loi ni le savoir. Nous les aimons tellement que nous ne savons plus exercer l'autorité. Alors, on se débarrasse de cette tâche sur l'école, dans les milieux bourgeois plus qu'ailleurs encore.
Les syndicats n'ont pas été un obstacle majeur, quand j'étais ministre. Certes, ils ont pu alimenter une certaine lourdeur. Le SNES, par exemple, était toujours contre tout. Au SNUP, j'ai rencontré des gens de bonne volonté et souvent compétents. Le principal blocage dans l'Éducation nationale est médiatico-politique. De mon expérience, ce sont le Président de la République et la presse ! On l'a encore vu récemment : François Hollande a nommé trois ministres de l'éducation nationale en deux ans. C'est juste le temps qu'il faut pour ne rien faire. Je suis resté en poste deux ans, François Fillon a duré neuf mois, Bernard Hamon, trois mois. Quand on arrive au ministère, la rentrée est souvent déjà bouclée. On a donc un an et demi pour réfléchir à la rentrée suivante. Si l'on doit partir au terme de ce délai, le successeur refait exactement le même travail. D'où le sentiment qu'on ne peut pas réformer le « mammouth ». Il faudrait rester cinq ans pour mener une action efficace. Ceux qui sont restés aussi longtemps n'ont pu le faire que parce qu'ils ne faisaient rien. En arrivant, le ministre croit qu'il est sur un cheval magnifique qui tire un chariot, puis il découvre que c'est de rodéo qu'il s'agit. Moins il contrarie sa monture, plus il reste longtemps.
François Fillon souhaitait introduire avec raison le contrôle continu dans le baccalauréat. Aujourd'hui, le bac ne représente plus rien : pour ne pas avoir le bac, il faut en faire la demande ; pourtant, chaque année, 600 000 élèves nous chantent l'air de l'angoisse absolue à la télévision, ce qui est ridicule ! Eh bien il a sauté au bout de neuf mois à cause de cet excellent projet.
Le regroupement des établissements ? Je suis partagé. Les professeurs de l'enseignement général ont généralement une certaine condescendance à l'égard de l'enseignement professionnel. J'avais une réforme dans les cartons : obliger chaque professeur à y passer au moins un mois. Grâce aux régions, cet enseignement a considérablement progressé depuis vingt ans. Je serais assez favorable au rapprochement des deux lycées. Jean-Pierre Chevènement, qui s'exprimera devant vous bientôt, a mis en place les bacs pro avec le recteur Bloch, seule réforme d'ampleur intelligente depuis trente ans. Un autre excellent ministre fut Jean-Luc Mélenchon, avec les lycées des métiers. Vous le constatez, je ne suis pas partisan...
Je suis totalement d'accord avec Gérard Longuet : le grand historien Marc Ferro l'a démontré, c'était initialement une idée de gauche que de faire réciter aux petits Africains « nos ancêtres les Gaulois ». La droite considérait à l'époque qu'avec leur apparence, c'était ridicule. Je parle de la gauche de l'époque, de Clemenceau et Jules Ferry, qui tenaient à cette grande idée : les bons ancêtres sont ceux que l'on choisit. Il n'y a donc nul mépris, mais, au contraire, une grande idée démocratique : chacun peut séparer le bon grain de l'ivraie.