Ces propos sont trop élogieux. Je veux relativiser mes mérites au ministère de l'éducation nationale : j'ai bénéficié d'une plage de sérénité après la querelle scolaire qui avait mis un million de personnes dans la rue...
L'objectif que j'avais fixé en 1984 était de porter 80 % d'une classe d'âge « au niveau du bac », non d'obtenir 80 % de bacheliers. J'ai été mal compris, car je n'envisageais pas de donner le bac à tout le monde et je n'ai certainement pas donné de consignes de laxisme dans la notation ! J'ai au contraire inventé la notion d'élitisme républicain. Quoi qu'il en soit, l'objectif a été atteint assez vite, en 1995, soit onze ans après. Le nombre de lycéens, et, plus tard, celui des étudiants, a doublé, ce que la régionalisation des lycées et une politique de formation adaptée ont permis d'absorber.
Comment faire aimer la France ? N'enseignons pas une histoire pénitentielle. La France a été marquée en 1940 par le traumatisme de l'effondrement de ses armées en cinq semaines, puis par Vichy, l'occupation, et le concours apporté par l'État français à la déportation des Juifs et au combat contre les résistants. Et l'on fait aujourd'hui comme si Pétain avait conduit le gouvernement légitime de la France ! Or de Gaulle porte une tout autre conception de la légitimité dès le 22 juin 1940, lorsqu'il affirme que c'est l'honneur et l'intérêt de la France de ne pas quitter le camp de la liberté. Sa vision de l'histoire est en partie juste, mais il demeure que la France était isolée en 1940, et en guerre contre elle-même - une partie de sa population considérant que la priorité était de combattre le communisme. Tout cela a été très bien décrit par Marc Bloch dans L'étrange défaite.
Autre exemple : la colonisation française a été très violente, surtout en Algérie. Le général Bugeaud y a réutilisé des techniques de la guerre d'Espagne. Mais la France n'occupe pas la première marche du podium des crimes colonialistes, elle n'est pas un pays génocidaire. La nécessaire réévaluation passe par un travail de prise de conscience et de dialogue avec les peuples intéressés.
Claude Nicolet, auteur de L'idée républicaine en France et qui me conseillait rue de Grenelle, estimait que l'enseignement civique devait être aussi près que possible du droit. Le droit de propriété, par exemple, peut faire l'objet de toutes sortes de conceptions philosophiques, mais il est d'abord garanti par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la Constitution et le code pénal aux termes duquel voler est un délit. Claude Allègre avait étendu au lycée l'enseignement civique que j'avais mis en place jusqu'au niveau du collège. Il faudrait l'étayer par des travaux universitaires, illustrant que l'école de la République n'aurait pu être ce qu'elle a été sans des hommes comme Durkheim, Brunschvicg, Lagneau, etc.
On ne peut rendre l'école responsable du chômage, des familles recomposées, des difficultés d'intégration. Le rapport que j'avais commandé à Jacques Berque en 1985 reste d'actualité : la France est riche de ses apports successifs - italien, allemand, arabe etc. - mais conserve une identité structurée.
L'autorité des maîtres vient d'abord de leur compétence, mais elle doit être portée par les pouvoirs publics. Si l'on ne comprend pas que l'école a pour but la formation du citoyen, alors on laisse cours à toutes les dérives pédagogistes, qui retirent à l'école sa qualité d'institution et aboutissent à laisser chaque établissement défendre son projet. Mon prédécesseur à l'éducation nationale avait cédé à ce penchant, et s'est ainsi aliéné tous ses interlocuteurs.