Intervention de Jean-Pierre Chevènement

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 12 mars 2015 à 9h00
Audition de M. Jean Pierre chevènement ancien ministre de l'éducation nationale 1984-1986

Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre de l'éducation nationale :

M. Legendre parle de roman national. Je préfère le terme de récit national. Cela suppose de tenir au plus haut niveau de l'État un discours responsable, qui se refuse à enseigner une histoire pénitentielle.

La chronologie est essentielle. On ne peut parler de la colonisation ou même de l'art aratoire à tous les âges sans distinction, sans donner une perception claire du déroulement des siècles. C'est important pour comprendre ce que nous sommes en tant que nation.

Les programmes gagneraient à être courts, ramassés, clairs. J'avais moi-même pris soin de faire publier, avec l'aide de mes collaborateurs, les programmes scolaires, de la maternelle au lycée, dans des petits livres de 70 pages rédigés dans des termes clairs. Édités par Hachette, ils se sont vendus à des centaines de milliers d'exemplaires jusqu'au milieu des années quatre-vingt-dix. Depuis, ces petits livres ont laissé place à des circulaires de 500 pages... Revenons à des programmes clairs, que tout le monde, parents compris, pourrait s'approprier.

La Chanson de Roland fait partie de notre histoire, chacun doit le comprendre. Il y aurait beaucoup à dire aussi sur la guerre de 1914, voire celle de 1870 ; on ne peut pour autant les taire. J'ignorais que l'anniversaire de Corneille avait été boycotté. Je me rappelle en revanche qu'Austerlitz n'a pas été commémoré parce que Napoléon est fâcheusement connoté par le rétablissement de l'esclavage souhaité par Joséphine. C'est absurde.

La France vient du fond des âges, disait de Gaulle. Elle a été une création politique, l'oeuvre de nos rois. Puis la nation s'est emparée de la souveraineté en 1789 et, trois ans plus tard, la République est arrivée. Elle a été stabilisée par de Gaulle et par l'alternance qui a porté Mitterrand au pouvoir : les institutions devenaient clairement acceptées par tous. La France, la nation et la République forment un continuum. Poussons dans le sens de la synthèse.

Le bac professionnel n'avait pas pour but de prolonger les études à l'université, mais d'améliorer le niveau de qualification, de permettre aux meilleurs de faire un BTS ou d'être admis dans un IUT. Il faudrait s'interroger sur le passage récent de sa durée de quatre à trois ans : si l'on vise un certain niveau d'excellence, un bac professionnel doit se faire en quatre ans.

La notion d'élitisme républicain privilégie le soutien des capacités de chacun par rapport à l'égalitarisme niveleur. C'est d'ailleurs la philosophie de Paul Langevin et Henri Wallon en 1945, plus difficile à faire comprendre maintenant. Le programme Parler de l'académie de Grenoble, qui met l'accent sur le niveau de compréhension du langage chez les enfants de 3 à 4 ans, produit des résultats stupéfiants, notamment chez les enfants les plus en difficulté. Développer cette approche suppose, certes, des moyens et des efforts particuliers.

Je me demande parfois si les inspecteurs de l'éducation nationale ne filtrent pas les consignes du ministère. En 1985, j'avais rappelé que La Marseillaise, présente dans les programmes, devait être enseignée. En vain. Même M. Fillon, qui l'avait faite inscrire dans la loi, n'y était pas parvenu... L'on m'a rapporté que les inspecteurs en étaient en partie responsables. Or l'éducation nationale est une institution, ce qui implique en principe hiérarchie et contrôle du respect des textes...

M. Kennel a raison : on demande à l'école tout et n'importe quoi. Les horaires diminuent et le nombre de matières auxquelles il faut initier les élèves explose. Recentrons les élèves sur l'essentiel : la grammaire, l'orthographe, le calcul. Je suis surpris que la réforme des rythmes scolaires n'ait pas mis l'accent sur ces problèmes de fond.

Valoriser les maîtres est essentiel : financièrement bien sûr, mais aussi en leur donnant le sentiment qu'ils sont fonctionnaires de l'État éducateur, par conséquent chargés d'une mission éminente, et non employés du secteur tertiaire.

Tout cela est inséparable d'une réforme intellectuelle et morale, rendue plus indispensable par les tragiques événements récents. Nous devrons nous mettre à la hauteur du défi et parler le langage de la République, dont le mot même n'est plus toujours employé à bon escient.

La déstructuration de la famille explique aussi les difficultés de l'école. La famille est une institution de base de la société ; ne faisons rien qui puisse l'ébranler.

Les valeurs se transmettent par l'exemple, à tous les niveaux : celui de l'école, mais aussi des médias. Du temps de l'ORTF, les médias avaient aussi pour rôle d'élever le niveau. Il ne serait pas inutile de le rappeler aujourd'hui, en introduisant une telle exigence dans le cahier des charges des chaînes. On ne peut se satisfaire du court-termisme médiatique et de son impact sur le comportement des responsables politiques.

Madame Jourda, je suis aussi surpris que vous que l'on demande à des personnes compétentes en matière de laïcité de venir en parler dans les écoles... La laïcité s'énonce pourtant très simplement. Ses valeurs ne sont nullement dirigées contre quelque religion que ce soit - Jules Ferry recommande précisément aux instituteurs de ne pas énoncer un principe qui heurterait la conscience religieuse d'un parent d'élève. Ne confondons pas laïcité et liberté d'expression. Que tel ou tel périodique fasse des caricatures, c'est son affaire. À l'école, un professeur de dessin ne peut croquer le prophète en classe sans manquer à son devoir de réserve...

Je ne connais pas l'expression de laïcité ouverte ; la laïcité suffit. Aux musulmans aussi de faire le travail théologique nécessaire pour séparer le bon grain de l'ivraie. Certains le font admirablement - je suis l'émission de Ghaleb Bencheikh tous les dimanches à la télévision. Si le christianisme a pu, depuis le Moyen Âge, se réformer pour devenir à présent compatible avec la République, d'autres religions peuvent le faire.

Monsieur Abate, vous avez raison : nous devons pouvoir rassembler les enfants en un même lieu sans les traiter tous de la même manière. Je ne critique pas le collège, qui améliore la situation plus qu'il ne l'aggrave ; c'est plus en amont qu'il faut agir.

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