Intervention de Michel Lussault

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 2 avril 2015 à 9h00
Audition de M. Michel Lussault président du conseil supérieur des programmes

Michel Lussault, président du Conseil supérieur des programmes :

Si les mots de nation et de patrie sont en effet absents du projet, et pas seulement du troisième domaine, ce n'est pas un oubli. Le CSP est un conseil pluraliste constitué de parlementaires, de deux membres du CESE et de dix personnalités qualifiées, qui, comme Agnès Buzyn, présidente de l'Institut national du cancer, ou moi, s'intéressent au sujet sans en être spécialistes. Nous débattons souvent sur les termes, leur sens et leur effet de sens.

Sous la présidence d'Alain Boissinot, le CSP a considéré que la nation et la patrie pouvaient constituer des pièges pour un enseignement moral et civique recherchant l'intégration, l'accueil d'enfants de plus en plus variés, et dont nous avons tendance à ne pas objectiver la diversité d'origines et d'attentes vis-à-vis de l'école. Les valeurs de la République ont semblé plus inclusives, plus universelles, que la nation et la patrie, plus polémiques. Pour revenir aux principes, il faut relire Ferdinand Buisson et notamment son Dictionnaire de pédagogie : l'école de la République telle qu'il la dessine est hospitalière, généreuse, ouverte. La vraie communauté nationale s'y construit ainsi autour de la République, à une époque où de larges parts de la société s'opposaient encore à celle-ci. L'enseignement moral et civique se rattache à cette tradition.

Cela étant, la nation et la patrie sont très présentes dans le programme d'histoire et de géographie, mais aussi de français, dès le cycle 2, et avec une montée en puissance dans les cycles 3 et 4, qui ont été conçus comme une mise sous tension de l'histoire de la constitution de la France en tant que République, avec de grandes étapes du récit national aboutissant en troisième au départ du général de Gaulle, l'histoire plus récente ne pouvant pas être abordée. Sont traités la Révolution, l'Empire, la naissance du régime républicain, mais aussi la monarchie absolue, les guerres de religion, l'Europe des Carolingiens ; il n'y aucune raison de cacher quoi que ce soit. Mais cela est fait dans l'optique d'une l'histoire connectée, globale : ces éléments sont mis en lien avec ce qui se passe ailleurs, les guerres de religion avec les grandes découvertes ou l'Europe carolingienne avec l'essor de l'islam dans le bassin méditerranéen.

Les programmes n'esquivent pas le fait religieux depuis au moins les années 1950 : la naissance des monothéismes en a toujours fait partie. Celui de français insiste sur la maîtrise de l'apprentissage de la langue par tous, ses origines grecques et latines et les rapports toujours ouverts avec les autres langues. C'est une manière de consolider la communauté nationale autour de ce qui nous réunit tous.

Pour une meilleure transmission des valeurs de la République, il faut repenser l'accompagnement. Le travail des corps d'inspection, qui a déjà évolué sur le terrain, en particulier pour le premier degré, doit s'orienter vers l'animation du corps enseignant au quotidien plus que sur son évaluation périodique. Enseigner est un métier qui expose vite à la solitude ; le travail collectif est dès lors essentiel, sans que cela limite en quoi que ce soit la liberté pédagogique ou remette en question la compétence des enseignants. L'excès de solitude érode la capacité à agir, surtout dans une école difficile comme la nôtre.

Il faut réfléchir à l'établissement comme instrument d'éducation. Il est formateur en ce qu'il contribue à l'enseignement - y compris l'école, qui est un établissement public local d'enseignement (EPLE) problématique compte tenu du statut de sa direction. Nous ne souhaitons pas une direction qui caporalise, mais qui dynamise, accompagne, ouvre l'école aux parents.

Enfin, une question difficile, à laquelle je n'ai pas de réponse : l'État ne peut pas être le seul à porter la parole publique. Les collectivités territoriales et leurs élus peuvent aussi transmettre les valeurs de la République, et pas seulement - même si c'est important - en recevant les jeunes à leur hôtel de ville et en leur montrant les symboles républicains. C'est aussi le cas de tous les acteurs du système éducatif, comprenant le périscolaire par exemple.

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