Intervention de Michel Lussault

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 2 avril 2015 à 9h00
Audition de M. Michel Lussault président du conseil supérieur des programmes

Michel Lussault, président du Conseil supérieur des programmes :

L'école s'est-elle massifiée sans se démocratiser ? Le géographe travaillant sur les inégalités territoriales que je suis pense que oui : nous ne nous sommes pas posé la question de ce que qu'était une école juste dans une société démocratique. Question redoutable et essentielle, que je pose benoîtement à chaque personne que je rencontre. Si nous n'y répondons pas, nous massifierons et vivrons d'expédients. Le taux de bacheliers généraux stagne à la baisse depuis vingt ans - sans que je veuille discréditer les autres. Une étude de la DEPP montre que certains lycées de centre-ville ont désormais une valeur ajoutée négative. L'école est-elle inclusive ? Doit-elle former à des savoirs ou à un métier ? La question scolaire devrait être au coeur du débat public. Les programmes aussi ; ils ne doivent pas rester une question de spécialistes.

La langue fait partie des enseignements fondamentaux que sont l'écriture, la lecture, la numération, les opérations mathématiques élémentaires : bien évidemment ! De même que des notions fondamentales comme le rapport à soi et aux autres, dont la citoyenneté fait partie. Nous en tenons compte dans les programmes des cycles 2 et 3. Depuis vingt ans, les enfants ont beau parler beaucoup, trop selon certains, ils s'exercent de moins en moins à l'oral, cette activité codée, régulée, dont l'absence de maîtrise pèse lourd dans la vie de tous les jours. Il ne s'agit pas seulement de vocabulaire, dont d'aucuns croient que la maîtrise fait échapper à la violence - Martin Heidegger et son riche vocabulaire sont la preuve que cela ne suffit pas...

La maîtrise du français est beaucoup plus importante que tout le reste. Le cycle 1 est non obligatoire et touche des enfants très petits, auxquels il ne faut pas faire apprendre certaines choses trop tôt, au risque qu'ils les apprennent mal. Certains enfants savent lire à cinq ans - ils sont comme les poissons volants, c'est vrai que cela existe mais ça n'est pas l'espèce la plus courante ! Nous insistons sur la conscience phonologique et la connexion entre phonème et graphème, et restons très prudents sur le développement du numérique en cycle 2 : il faut faire écrire les enfants.

Nous maintenons cet apprentissage tout au long des cycles, pour qu'un élève qui n'a pas pu le mener à bien en cours préparatoire puisse le faire en CE2, mais aussi que nous travaillions dans la continuité des cycles car l'un des problèmes de notre école est que certains élèves oublient ce qu'ils ont correctement appris. Nous préconisons un retour permanent sur les choses à apprendre : la progression spiralaire.

Qui pourrait dire que les formations initiale et continue des enseignants sont satisfaisantes ? Il faut réinventer la formation initiale ; les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ) sont en construction. Personnellement, je trouve que les universités n'ont pas suffisamment pris en compte l'importance de ce chantier. Nous ne devrions pas mettre moins d'énergie à la formation des enseignants qu'à celle des ingénieurs ou des médecins. Peut-être suffisait-il autrefois de maîtriser un savoir pour le transmettre sous une forme magistrale acceptée par tous - quoique parfois ceux de ma génération la contestaient déjà ! N'en déplaise à Alain Finkielkraut, enseigner s'apprend. Prétendre le contraire, c'est s'interdire de réfléchir comment l'école de la République transmet les connaissances et les valeurs.

La formation continue est quant à elle un champ de ruines. À titre personnel - je ne parle pas là au nom du CSP - , je pense qu'elle devrait être obligatoire : elle l'est bien pour les médecins... Il y faudrait un cadre dynamique et motivant.

L'école laïque a été anticléricale, pour combattre l'emprise de l'Église sur les consciences, mais jamais antireligieuse. Claude Lelièvre l'a montré : le fait religieux a toujours été pris en compte. Si j'appelle de mes voeux une laïcité ouverte et offensive (et non agressive et défensive), c'est que je veux qu'elle soit une conquête et non un règlement. Elle définit un espace neutre et protégé, où chacun exprime ses convictions - elle n'est pas un danger pour elles, mais la condition d'exercice de la citoyenneté dans la République. La laïcité est présente dans le cadre de l'enseignement moral et civique, mais aussi en histoire et géographie, en français, en éducation physique et sportive. C'est le cas pour les activités ouvertes aux filles, auxquelles malheureusement certains médecins délivrent des certificats de complaisance..., et aux garçons.

L'école doit s'interroger sur la croyance, la relation entre croyance et vérité. Il lui faut aussi être sensible aux phénomènes d'emprise mentale ou de dérives sectaires. Voilà un programme de travail qui n'est pas agressif, car la laïcité, élément de notre socle commun, ne doit pas l'être.

Enfin, toujours à titre personnel, je suis favorable à une décentralisation de l'éducation nationale. La réforme des rythmes scolaires a constitué une occasion manquée. Quelle est la place des autres acteurs, comme les parents, les collectivités territoriales, etc. ? Répondre à cette question nous aiderait à comprendre ce qu'est une école juste...

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