Intervention de Nathalie Mons

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 2 avril 2015 à 9h00
Audition de Mme Nathalie Mons présidente du conseil national de l'évaluation du système scolaire

Nathalie Mons, présidente du Conseil national de l'évaluation du système scolaire :

À la suite des attentats de janvier, le CNESCO a rapidement publié deux notes grâce aux travaux déjà en cours concernant l'une l'école et la démocratie, l'autre l'école et l'intégration socio-culturelle. Ces analyses brèves, bien qu'imparfaites car élaborées dans l'urgence, dressent des diagnostics rapides contribuant à éclairer le débat. Conformément à notre mission, nous travaillons dans une perspective à la fois de court terme et de long terme.

Premier constat : nous savons peu de choses sur l'attitude des élèves face à la vie en société car nous manquons d'études scientifiques récentes sur ce sujet, qui comporte de multiples dimensions : le respect de la norme et de la loi, la capacité d'interaction des élèves entre eux et avec les adultes, la violence, mais aussi la tolérance face au racisme, au sexisme, l'écologie, etc. La dernière étude est celle de 2005 menée par la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP). En outre, la France ne fait pas partie de l'International civic and citizenship Education Survey (ICCS), menée par l'International Association for the Evaluation of Educational Achievement (IEA), équivalent de l'enquête PISA sur l'évaluation de l'attitude civique des jeunes en fin de scolarité. Il serait opportun qu'elle la rejoigne en 2016.

L'étude de 2005 a montré que le niveau d'adhésion aux valeurs des élèves était globalement bon, mais qu'il y avait des différences entre les élèves du public et du privé, ceux des zones prioritaires et les autres, mais surtout entre filles et les garçons, ce qui témoigne de la complexité du sujet. Ainsi, pour l'attitude face à la loi, les garçons, quel que soit leur milieu social, adhèrent moins aux normes. Les élèves de ZEP sont par exemple plus nombreux que les élèves scolarisés hors ZEP à considérer qu'il est grave d'imiter la signature de ses parents, d'insulter un adulte, mais ils sont moins nombreux à considérer comme acceptable de dénoncer un ami qui a volé un objet... L'analyse doit être fine. Ma première préconisation sera donc que la France puisse à nouveau mener des analyses scientifiques sur le sujet, sinon nous sommes condamnés à en rester aux propos de café de commerce ou à de grands slogans, peu opérants pour agir sur le système scolaire. Il faut aussi participer aux programmes de recherche internationaux, car des sujets comme la violence à l'école font l'objet d'une préoccupation partagée dans de nombreux pays.

Deuxième constat : l'enseignement de l'éducation civique doit s'accompagner d'un apprentissage actif. Si le taux d'adhésion des jeunes aux valeurs est satisfaisant, il n'est pas non plus de 99 %, sans compter qu'il faut tenir compte du fait que la réponse des élèves est en partie conditionnée par les adultes... Sur le papier, notre programme d'enseignement civique semble exemplaire : la France est le seul pays européen à l'enseigner du primaire au lycée. Toutefois, dans d'autres pays, l'éducation civique se développe au travers de projets concrets ou la participation des élèves à la gouvernance des établissements. Cette piste mériterait d'être examinée. Pour cela il faut soutenir les enseignants ; toutes les enquêtes montrent que dès qu'ils mettent en place des débats argumentés, notamment sur l'actualité, on constate un développement de l'esprit critique.

Le troisième constat est alarmant. Depuis dix ans les inégalités sociales à l'école augmentent. L'intégration ethnoculturelle est en panne. Les résultats scolaires des élèves issus de l'immigration sont moins bons et l'écart de performance entre les jeunes autochtones et les jeunes immigrés de la seconde génération est supérieur, en France, à celui observé dans les autres pays de l'OCDE, qui ont mené des politiques volontaristes. Le CNESCO prépare un rapport sur ce sujet qui paraîtra cet été.

Ces constats montrent l'évolution de notre école depuis trente ans, tous gouvernements confondus. Il importe aujourd'hui de réfléchir à la ségrégation sociale à l'école ; pour cela, il est nécessaire de pouvoir la mesurer. L'éducation prioritaire montre ses limites. Les compensations sont évidemment indispensables, mais les inégalités sont très fortes. Nous devons aussi nous pencher sur la pédagogie. Depuis trente ans, plusieurs réformes de structure ont été menées, comme la carte scolaire par exemple, mais il est temps d'entrer dans la classe. La loi de refondation de l'école est porteuse d'avancées. Le CNESCO propose d'identifier les pédagogies efficaces et de faire le lien entre les avancées de la recherche et la pratique des enseignants. On a mis en place la pédagogie différenciée, l'aide personnalisée, mais les acteurs de terrain souhaitent être mieux accompagnés pour en définir le contenu.

Dans notre étude sur le redoublement, nous avons montré que si les heures d'accompagnement personnalisé n'étaient pas en lien avec les cours, elles perdaient en efficacité. Nous avons aussi demandé à des économistes d'évaluer le coût du redoublement. Ils l'estiment à deux milliards d'euros. Toutefois, comme les mécanismes sont complexes, nous ne récupérerions pas immédiatement une cagnotte de deux milliards d'euros en supprimant le redoublement. Après avoir étudié les politiques académiques de lutte contre le redoublement dans une vingtaine d'académies, trente départements, trente classes, nous considérons qu'il importe aussi d'améliorer la gouvernance au niveau académique pour une meilleure coordination entre les équipes chargées de la pédagogie et l'administration, pour mettre en oeuvre de véritables projets d'établissement.

Le CNESCO continue sa réflexion ; il publiera en juin un rapport sur la mixité à l'école et, à l'été, un rapport sur les inégalités.

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