Intervention de Laurent Lafforgue

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 2 avril 2015 à 9h00
Audition de M. Laurent Lafforgue mathématicien titulaire de la médaille fields membre de l'académie des sciences

Laurent Lafforgue, titulaire de la médaille Fields, membre de l'Académie des sciences :

Augmenter le nombre d'heures d'enseignement du français serait bienvenu. C'est pourtant un mathématicien qui vous le dit ! La maîtrise de la langue est en effet la première condition de l'apprentissage des sciences, de nombreux témoignages de mes collègues l'attestent. Pour comprendre, par exemple, un énoncé comme « Soit un triangle ABC... » ou des expressions comme « abaisser une perpendiculaire », il faut avoir un rapport à la langue plus réfléchi que le simple rapport instinctif au langage courant. C'est pourquoi l'apprentissage du latin et du grec a joué un tel rôle, pendant des siècles, dans la formation des scientifiques de toute l'Europe. Or il n'a cessé, depuis des décennies, d'être dévalorisé. Il est désormais question de l'intégrer dans un enseignement à l'intitulé incompréhensible, ce qui serait une catastrophe. J'ai pu constater hier lors d'une conférence sur la mécanique quantique, qui est une branche majeure de la physique, et dont les applications économiques sont considérables, que la moyenne d'âge était d'environ 70 ans : la relève n'est pas là ! C'est dramatique. La maison brûle ! Et il n'y a pas d'espoir de remonter rapidement la pente. Il faudrait d'abord une prise de conscience. Ensuite, les mesures de bon sens s'imposeront d'elles-mêmes.

Moi qui ignorais jusqu'à l'existence des écoles hors contrat, j'en suis amené à concentrer mon énergie à les soutenir. La présentation, par le fondateur d'une école de ce type, de son programme, m'a frappé par son bon sens. Pourquoi faut-il des écoles spéciales pour entendre ces choses ? Je ne le comprends pas. J'ai des amis qui vivent dans le Sud de la France, où ils élèvent cinq enfants. Malgré mes mises en garde, qu'ils ont reçues avec scepticisme, ils les ont mis à l'école, la meilleure du département. J'ai vu, année après année, monter leur inquiétude, et j'ai constaté moi-même, lors de mes visites, les dégâts des méthodes semi-globales, qui sont encore largement pratiquées : en CE2, l'aîné ne savait pas lire. Les parents ont fini par fonder une école, il y a dix-huit mois, en s'associant avec d'autres parents. Les résultats sont là : en un an, leur fils a appris à lire, et il lit désormais beaucoup. Cette école fonctionne pourtant avec des moyens dérisoires, avec deux classes mélangeant plusieurs niveaux et tenues par une institutrice et une mère de famille armée de son seul bon sens. J'ajoute que ces amis ne sont pas des intellectuels : ils tiennent un commerce de fruits et légumes !

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