Intervention de Abdennour Bidar

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 21 mai 2015 à 9h00
Audition de M. Abdennour Bidar philosophe écrivain auteur de pour une pédagogie de la laïcité à l'école 2012

Abdennour Bidar, philosophe :

J'interviens en tant que chargé de mission sur la pédagogie de la laïcité à l'école auprès de la Direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco), membre de l'Observatoire de la laïcité et philosophe spécialiste des questions de laïcité, de sécularisation et du devenir du fait religieux. J'ai participé, lorsque M. Vincent Peillon était ministre de l'éducation nationale, à l'écriture de la charte de la laïcité à l'école. Dès lors, nous avons progressivement pris la mesure de la déshérence dans laquelle avait été laissée la capacité des professeurs et des personnels de l'éducation nationale à transmettre les valeurs de la République. La publication de la charte, quoique saluée, a provoqué embarras et perplexité. Elle a été reçue comme un objet esthétique dont les professeurs pouvaient difficilement se servir comme support pédagogique, en raison de leur manque de formation. Il fallait retrouver une culture professionnelle commune pour transmettre la laïcité, c'est-à-dire un socle commun de connaissances, de compétences et de culture portant sur son sens, ses enjeux et les débats dont elle fait l'objet. Cette architecture commune est théorique, mais aussi pédagogique : il s'agit de la capacité à porter un discours sur les valeurs.

Les événements de janvier ont accru cette prise de conscience née avec M. Vincent Peillon, et montré à quel point il devenait urgent que l'école redevienne le creuset de la transmission des valeurs de la République. L'éducation nationale a été mise en ordre de marche par la ministre. Dans le cadre de cette grande mobilisation, nous avons entrepris un plan de formation à l'échelle nationale de 1 000 formateurs, et organisé huit grandes réunions inter-académiques. L'objectif est qu'ils puissent former à leur tour 300 000 personnels de l'éducation nationale d'ici la fin juin.

Constatant qu'il y a une urgence durable, l'institution réfléchit à un nouvel enseignement moral et civique (EMC) pour remplacer l'ancienne éducation civique, juridique et sociale (ECJS), dont la capacité à offrir une pédagogie des valeurs de la République était jugée insuffisante. Le ministère agira en collaboration étroite avec les Écoles supérieures du professorat et de l'éducation (Éspé) afin d'assurer, de façon homogène sur le territoire, la capacité pédagogique des professeurs à transmettre les valeurs de la République, inscrites dans le tronc commun.

Notre tâche est de permettre aux professeurs de se sentir moins démunis. En rencontrant des chefs d'établissements ou des inspecteurs dans les académies où je me rends, je note deux sentiments prédominants : tout d'abord, malgré la bonne volonté des équipes, les outils pédagogiques font trop largement défaut. Ensuite - plus inquiétant -, on constate un relativisme généralisé. Beaucoup de nouveaux professeurs ne sont pas immédiatement convaincus qu'ils ont à transmettre ces valeurs, alors qu'il s'agit de la mission première de l'école. Manque le sens de l'institution, de ce qu'implique déontologiquement leur métier.

Le travail d'éducation civique doit d'abord s'effectuer en direction des personnels eux-mêmes. Nous avons eu la surprise de constater ce problème dès ma première mission, lorsque Luc Chatel était ministre de l'éducation nationale, alors que l'attention était focalisée sur la question du voile. Pour employer un langage philosophique, l'institution a perdu une partie de sa conscience de soi. Il faut la retrouver pour être mieux armé, d'une compétence et d'une conviction, lors de tensions avec des groupes d'élèves récalcitrants.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion