Intervention de Alain Anton

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 21 mai 2015 à 9h00
Audition de Mme Marie-Monique Khayat proviseur du lycée jean de la fontaine paris 16e et M. Alain Anton proviseur de la cité scolaire claude monet paris 13e

Alain Anton, proviseur :

Je suis un ancien professeur d'histoire-géographie, et au cours de mes douze ans de carrière comme chef d'établissement en Seine-Saint-Denis, j'ai constaté une lente évolution. L'école n'est jamais la cause du mal être et du dysfonctionnement de la société ; elle est la caisse de résonance de la vie dans les quartiers. J'ai passé quatre ans comme principal de collège dans une ZEP d'Aulnay-sous-Bois, dans le quartier des 3 000, comme on dit pour désigner la cité de la Rose des Vents. Le collège n'a rien d'un espace sacré où l'on peut accueillir les élèves sans rien savoir de leur vie extérieure : on doit être au courant de l'actualité du weekend. La perte des repères républicains ne date pas d'hier. En 1993 déjà, on avait brûlé le gymnase de mon collège à Meaux. On parlait déjà, il y a plus de vingt ans, du « ghetto des 3 000 » pour désigner cette cité de 17 000 habitants, avec ses trois collèges de 1 200 élèves évoluant dans un climat de violence et de tension. Il suffisait de traverser la F1, la quatre voies qui séparait les quartiers, pour trouver un havre de paix avec une population mixte logée dans des petits pavillons et des petites cités.

Je ne vais pas tirer à boulets rouges sur l'éducation nationale : c'est quarante ans de ma vie. Si nous avons commis une erreur, c'est de stigmatiser les collèges en difficulté sous l'étiquette de « ZEP-zone violence ». Cela partait d'un bon sentiment, certes, mais comprenez que des parents hésitent à scolariser leurs enfants dans un tel établissement ! Les professeurs, souvent frais émoulus de leur province, arrivaient la boule au ventre à la rentrée, avec comme seul objectif d'être mutés ailleurs. D'autant que le barème des points autorisait la mutation au bout de trois ans de service, transformant les ZEP en purgatoire de l'école laïque, quand il n'entretenait pas la frustration des enseignants par des réévaluations intempestives. Ces « profs RER » n'habitent pas le quartier et ne savent pas ce qui s'y passe, en bien comme en mal ; on ne risque pas de les croiser le week-end sur le marché. On a ainsi coupé l'école de la réalité.

Il n'y a pas non plus de stabilité du corps enseignant : en Seine-Saint-Denis, les équipes changent tous les quatre ans. Les enseignants qui sont restés 25 ans dans ces postes difficiles méritent une médaille ! Au lieu de quoi, on leur mégote le passage au hors-classe... Les jeunes professeurs n'arrivent à s'intégrer que s'ils entrent dans des équipes où il y a des projets. Or les projets pédagogiques - et il y en a quantité de très beaux - ne tiennent la route que s'ils sont portés par une équipe stable. Si l'on change les règles tous les deux ans, on ne trouvera aucune solution efficace et pérenne. Les repères s'effacent.

Les municipalités font ce qu'elles peuvent pour aider les collèges, avec un succès parfois mitigé. C'est dans le cadre municipal qu'on a inventé les « grands frères », censés apaiser le climat dans les quartiers. L'initiative n'a fait que renforcer les communautarismes de rue. Dans la guerre entre la rue La Pérouse et la rue Suffren, les grands frères du quartier de la Croix rouge faisaient figure d'intrus. L'antenne du commissariat installée dans le quartier des 3 000 était ouverte de 9 heures à 18 heures : le soir, champ libre pour brûler voitures et poubelles et pour les trafics de tous ordres. Un élève de 4e qui « choufe » gagne plus en une semaine qu'un élève apprenti et déstabilise tous ses camarades ! La drogue est un fléau dans les établissements. Loin d'être un commerce parallèle, c'est le commerce principal dans ces quartiers.

Le logement social a également un rôle à jouer. À Aulnay, on a rassemblé les Sénégalais dans une rue, les Maliens dans une autre. L'ouverture est pour le moins limitée. L'école a sa part à jouer, mais pas seule. Les réseaux qui construisent une synergie entre le commissariat, la municipalité et l'école sont utiles, tout en ayant leurs limites. J'ai fait partie du premier groupe local de traitement de la délinquance (GLTD) avec le procureur Monard et mon inspecteur d'académie Yves Bottin, car en 1994, le collège où j'exerçais avait failli brûler. Au moment de prévoir la reconstruction du collège en accord avec la municipalité, j'ai demandé qu'on l'éloigne de la cité, afin que les élèves aient un effort à faire pour se rendre en classe, ne serait-ce que 250 mètres à parcourir, plutôt que de se laisser tomber du balcon ! Nous n'avons pas été écoutés et les problèmes ont perduré.

Les cours de morale citoyenne ne changeront rien. Les professeurs d'histoire-géographie - dont je fais partie - ont tendance à laisser de côté l'instruction civique pour finir les programmes, particulièrement en terminale. La seule instruction civique, c'est l'élection des délégués de classe en octobre. C'est un peu léger...

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