Intervention de Patrick Kessel

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 21 mai 2015 à 9h00
Audition de Mm. Patrick Kessel président du comité laïcité république et alain seksig responsable de la mission laïcité du haut conseil à l'intégration de 2010 à 2013 membre du comité laïcité république

Patrick Kessel, président du Comité laïcité République :

Merci de nous auditionner. Le Comité laïcité République est une petite association créée en 1989 à la suite de la première affaire du voile pour défendre et promouvoir la laïcité. Parmi les personnalités fondatrices, citons Élisabeth Badinter, Henri Caillavet, Jean-Pierre Changeux, Régis Debray, Alain Finkielkraut, Catherine Kintzler, Albert Memmi, Claude Nicolet, Jean-Claude Pecker, Yvette Roudy... Notre vocation est d'intervenir dans le débat d'idées, nous ne sommes pas une organisation syndicale.

Les débats sur la laïcité et l'école sont récurrents dans l'histoire de la République, marquée par l'évolution des rapports de force entre l'Église et l'État. Ils ont porté principalement sur la question du financement des écoles privées, avec une succession de textes depuis 1945 : loi Debré, loi Guermeur, accords Lang-Cloupet, et plus récemment la loi Carle, qui a abouti à une forme de parité dans les financements publics entre écoles publiques et écoles privées. Cette question demeure d'actualité, au vu des difficultés de l'école publique, si nous ne voulons pas qu'elle devienne l'école des pauvres, comme outre-Atlantique. Il y a encore 600 communes françaises dotées d'une ou plusieurs écoles privées, sans aucune école publique...

L'école publique fait l'objet d'attaques sur le contenu de l'enseignement, l'égalité en droit des élèves, la liberté de conscience et donc sur la laïcité. Les revendications identitaires pèsent désormais sur l'ensemble de la société, à commencer par les services publics et l'école. La prédiction de Régis Debray s'est réalisée : le droit à la différence a débouché sur une tentation de différence des droits. La mission Debré sur la laïcité à l'école, la commission Stasi, plusieurs ouvrages dont Les Territoires perdus de la République, publié sous la direction d'Emmanuel Brenner en 2002, nous avaient alertés : nous ne pouvons pas dire que nous ne savions pas.

En 2003, le rapport Obin - du nom d'un inspecteur général de l'éducation nationale - mettait en lumière les difficultés provoquées par la montée des différentialismes. Jugé politiquement incorrect, ce rapport fut un temps empêché de publication. Il soulignait « la montée en puissance du communautarisme religieux, le plus souvent musulman, objet d'un refoulement ou d'un déni généralisé ». Il cite : le port de signes religieux, dont le voile, les exigences alimentaires, le refus de la mixité, avec tables de cantine ou toilettes séparées entre enfants « purs » et « impurs », le refus de certaines activités corporelles ou artistiques ; la contestation de certains enseignements en sciences de la vie et de la terre, en histoire, en littérature, en philosophie, notamment de l'enseignement des Lumières et de la laïcité ; le constat d'un prosélytisme et d'une stigmatisation agressive par les plus religieux des enfants appartenant à la même communauté ; la banalisation de l'antisémitisme qui a conduit à rassembler des enfants dans certaines écoles de la région parisienne pour assurer leur protection ; les sorties scolaires avec des mères voilées, les pressions de groupes extérieurs sur les enseignants et personnels.

Pour la première fois dans notre pays, la question religieuse se superpose au moins en partie à la question sociale et à la question nationale, écrit M. Obin. L'école ne peut répondre seule au problème. Il conclut que la stratégie de l'évitement des conflits par crainte de la médiatisation donne le sentiment d'impuissance. Elle nourrit la montée du populisme et de certaines formations politiques à des fins de stigmatisation. Le 5 mars dernier, M. Obin déclarait devant vous que la situation s'était aggravée depuis la publication du rapport. J'ai demandé - en vain - une étude officielle au sein de l'Observatoire de la laïcité. Les parlementaires pourraient peut-être la reprendre ?

L'école n'est pas une exception, le mouvement de communautarisation touche toute la société : prison, justice, armée, hôpitaux, crèches - je salue l'adoption de la proposition de loi de Mme Laborde qui, même si elle s'éloigne du projet initial, inscrit dans le marbre une difficile décision de justice. Il concerne aussi l'enseignement supérieur : le directeur de l'IUT de Seine-Saint-Denis et six autres personnes sont encore menacés de mort ; dans les entreprises, les revendications sociales religieuses, et non simplement religieuses, croissent fortement et remettent en cause l'égalité hommes-femmes. La charte de la laïcité instaurée par le directeur de l'entreprise Paprec, M. Jean-Luc Petithuguenin, ne résisterait pas au droit actuel. Sur ce sujet aussi, une étude serait utile.

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