Intervention de Alain Seksig

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 21 mai 2015 à 9h00
Audition de Mm. Patrick Kessel président du comité laïcité république et alain seksig responsable de la mission laïcité du haut conseil à l'intégration de 2010 à 2013 membre du comité laïcité république

Alain Seksig :

Je vous remercie de m'avoir convié à m'exprimer devant vous. Comme vous l'avez rappelé, j'ai fait mes débuts comme instituteur dans le quartier de Belleville. Or à l'époque, dans les années 1970, la laïcité venait très rarement dans nos conversations, car elle nous apparaissait comme un acquis. Nous avions également abandonné ce socle dans la formation des enseignants, y compris dans les écoles normales, puis les IUFM et, aujourd'hui, les Éspé. Tout au plus la laïcité était-elle évoquée une fois l'an par les organisations syndicales lors des manifestations contre les subsides trop généreusement distribués à l'école privée.

Cette situation a perduré jusqu'en 1989, année de la première « affaire du voile » au collège Gabriel-Havez de Creil, point de départ de ce que j'appelle la nouvelle querelle de la laïcité. En réalité, il ne s'agissait pas du premier incident de ce type. En 1985, au collège Pasteur de Créteil, le port par deux jeunes filles ce que l'on appelait alors le « foulard islamique » avait suscité une réaction unanime des personnels et de la direction du collège. Dans une lettre envoyée en octobre 1985 à leur inspecteur d'académie, ils avaient demandé l'insertion dans le règlement intérieur des établissements de dispositions interdisant les signes et tenues manifestant une appartenance religieuse. Sollicité par l'inspecteur, le recteur transmit à son tour la requête au cabinet du ministre de l'éducation nationale de l'époque, Jean-Pierre Chevènement. La réponse de celui-ci, rendue le mois suivant, fut positive. C'est pourquoi l'on n'a pas entendu parler d'affaire du voile au collège Pasteur. Peut-être l'incident de 1989 aurait-il connu le même sort si cette jurisprudence Chevènement avait été appliquée.

L'affaire du voile de 1989 a ouvert une période de quinze années d'atermoiements et d'hésitations traversant la droite comme la gauche. Les attitudes des établissements pouvaient différer radicalement au sein d'une même académie, avec des discussions internes nourries quelle que soit l'option retenue. Les chefs d'établissement étaient livrés à eux-mêmes.

Le vote de la loi du 15 mars 2004 encadrant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, inspirée par les travaux des commissions Stasi et Debré, a mis un terme à ce flottement en honorant le principe de laïcité. Elle n'a pas pour autant réglé un ensemble de problèmes que, les eussions-nous ignorés, les incidents en milieu scolaire qui ont suivi les attentats de janvier nous obligeraient à considérer sérieusement.

Le premier de ces problèmes est la formation des enseignants et des personnels des établissements. La grande mobilisation de l'école décidée par la ministre tente d'y répondre à travers un réseau de formateurs qui dispenseront aux enseignants des stages d'enseignement des valeurs de la République. C'est néanmoins un chantier de très longue haleine, car nous avons perdu un quart de siècle.

Dans les écoles supérieures de formation des professeurs et éducateurs, la loi distingue les étudiants de première année, qui sont autorisés à arborer des signes et tenues manifestant une appartenance religieuse, et les stagiaires de deuxième année, à qui le principe de laïcité et de neutralité s'impose pleinement. J'estime pour ma part que tout étudiant aspirant à devenir professeur, évalué entre autres à l'aune de sa capacité à comprendre et transmettre les valeurs de la République, doit respecter le principe de laïcité dès sa formation.

Autre question, celle des restaurants scolaires. Là encore, le problème n'est pas nouveau. À mes débuts bellevillois, il m'arrivait de surveiller la cantine, et des élèves me demandaient parfois si tel ou tel plat contenait du porc. Certains d'entre nous les assuraient du contraire, quel que soit le contenu de l'assiette... D'autres choisissaient une réponse plus torturée : ils les invitaient à manger sans crainte, car ils prendraient le péché sur eux ! Les derniers, dont je faisais partie, disaient la vérité à l'élève et le laissaient libre de choisir, tout en veillant à ce qu'il ait un repas équilibré.

La question n'est pas nouvelle, mais elle a pris de l'ampleur, au point que le rapport Obin mentionne des collèges où des repas halal sont distribués à tous au prétexte que chacun y trouve son compte. Remarquons en passant que la laïcité est tout à fait compatible avec la prise en compte des interdits religieux. Ainsi, des fêtes de notre calendrier sont d'origine religieuse, et il est possible aux élèves ou aux personnels de demander une autorisation d'absence à l'occasion de fêtes confessionnelles. En revanche, il est hors de question de servir des repas confessionnels.

Le deuxième point d'achoppement est celui des « longues jupes » portées par certaines jeunes filles, que l'on appelle des abayas. Une professeure d'anglais à Saint-Ouen, Sophie Mazet, a enquêté sur ces tenues et les associations qui les promeuvent. Je vous renvoie à ce travail, publié dans le numéro de novembre-décembre 2011 de la revue Hommes et migrations et intitulé « Voir ou ne pas voir, telle est la question ». Évitons les caricatures : il n'est aucunement question de mesurer la longueur et la couleur des jupes des élèves. Il demeure que ce sont clairement des tenues d'appartenance religieuse. Sur ce point, j'ai apprécié le soutien apporté par la ministre de l'éducation nationale à l'équipe enseignante du collège de Charleville-Mézières.

Citons également l'accompagnement des sorties scolaires par les « mamans » voilées. En tant qu'inspecteur, j'ai été confronté à la question en 2005, à Saint-Denis. La circulaire ministérielle relative à la loi du 15 mars 2004 précisait que « la loi ne concerne pas les parents ». Encore faut-il distinguer les parents qui se rendent aux réunions avec les professeurs ou représentent leurs pairs dans les instances de concertation de l'établissement, qui peuvent librement arborer des signes d'appartenance religieuse, et ceux qui encadrent des activités pédagogiques comme les sorties scolaires. Dans ce dernier cas, n'en déplaise au Conseil d'État, ils doivent être considérés comme des collaborateurs occasionnels du ministère de l'éducation nationale, et à ce titre être rappelés à une obligation de neutralité. J'insiste, ce ne sont pas les personnes que je refuse, mais les signes d'appartenance religieuse. On a vu des mères porter le voile en déposant leur enfant le matin, puis accompagner une classe dans la journée la tête découverte, ce qui montre qu'elles comprennent la règle.

La ministre de l'éducation nationale a déclaré que l'accueil des parents voilés devait être la règle ; j'aurais préféré que ce soit l'exception. Il est préférable de se montrer ferme quant aux principes et souple sur leur application, notamment pour les parents d'enfants qui ont un rapport particulier avec l'école. Dans ces situations, il faut afficher clairement l'autorisation comme exceptionnelle.

Nous avons eu l'occasion de nous prononcer, au sein du Haut conseil, sur l'enseignement des langues et cultures d'origine (ELCO), qui existe depuis 1973. Ce dispositif a été critiqué de manière récurrente, car il établit une distinction entre les élèves d'origine étrangère et les autres au sein d'un lieu qui devrait rassembler. Les cours de langue, assurés par des professeurs venus des huit pays avec lesquels la France a signé un accord, ont souvent lieu hors du temps scolaire ; ce ne fut pas toujours le cas. Il faut réfléchir à des propositions de sortie de ce dispositif, qui n'a pas permis le développement de l'enseignement des langues concernées au sein du lycée. Le sociologue de l'immigration Abdelmalek Sayad, qui était opposé à ces enseignements, rappelait en 1989 que « le foulard était déjà dans l'ELCO ».

8 commentaires :

Le 23/09/2023 à 09:05, aristide a dit :

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"a mis un terme à ce flottement en honorant le principe de laïcité."

En déshonorant le principe de laïcité plutôt. Cette loi raciste et antisémite de 2004 est anticonstitutionnelle et n'a pas à être appliquée, selon la hiérarchie des normes.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 23/09/2023 à 09:06, aristide a dit :

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"Le premier de ces problèmes est la formation des enseignants et des personnels des établissements. "

On ne va quand même pas les former à être raciste et antisémite ?

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Le 23/09/2023 à 09:07, aristide a dit :

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" il n'est aucunement question de mesurer la longueur et la couleur des jupes des élèves."

Mais si, on y est arrivé, avec les abayas...

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Le 23/09/2023 à 09:09, aristide a dit :

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"Remarquons en passant que la laïcité est tout à fait compatible avec la prise en compte des interdits religieux."

Ben oui, pas de porc à la cantine après appel des élèves, histoire de bien les discriminer, comme ça tout le monde sait qui est musulman de qui ne l'est pas. Mais un bout de tissu, et on appelle le GIGN...

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Le 23/09/2023 à 09:10, aristide a dit :

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"n'en déplaise au Conseil d'État,"

Non mais, il va obéir celui-là ?

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Le 23/09/2023 à 09:11, aristide a dit :

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Votre école est une vraie secte privée, elle n'a de public que le nom.

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Le 23/09/2023 à 09:13, aristide a dit :

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"Il est préférable de se montrer ferme quant aux principes"

Essayez de comprendre ce qu'est la laïcité, plutôt que de dire des conneries à tout le monde.

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Le 23/09/2023 à 09:15, aristide a dit :

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"On a vu des mères porter le voile en déposant leur enfant le matin, puis accompagner une classe dans la journée la tête découverte, ce qui montre qu'elles comprennent la règle."

Elles n'ont rien compris du tout, elles en avaient juste assez de dialoguer avec des tarés endoctrinés.

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