Intervention de Jean-Luc Domenach

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 17 février 2015 à 16h45
Chine — Audition de M. Jean-Luc Domenach directeur de recherche au ceri-sciences po

Jean-Luc Domenach, directeur de recherche au CERI-Sciences Po :

dont le sort aurait été en bonne partie déterminé par la répartition des forces politiques et économiques. C'est Shanghai qui a mis son poids dans la balance.

Quoi qu'il en soit, le plus grand défaut du système demeure la corruption. Son second défaut vient de la police : l'affaire est toujours difficile pour ceux qui ont maille à partir avec elle. Ses agissements vis-à-vis des pauvres gens ne sont sujets à aucun véritable contrôle. La situation dans les camps de travail reste épouvantable, il faut le dire ! Pour la masse de la population, les choses se sont assouplies, mais dans les campagnes, sur les chantiers peu surveillés ou dans nombre d'entreprises qui ont de l'argent et des contacts avec la police, la situation est effroyable.

Dans l'ensemble, lorsqu'on est dans la norme, qu'on n'a pas commis de délit et qu'on mène une vie sans histoire, on n'a pas trop de problèmes avec la police. Le totalitarisme n'est plus de rigueur, ni même (parfois) l'autoritarisme. Comment tout ceci va-t-il évoluer ? Je ne le sais pas. Le tempérament des Chinois complique tout : ils sont amoureux de l'ordre parce qu'ils se connaissent eux-mêmes et savent que leur capacité la plus développée est celle du désordre. Ce pays est un « bazar » absolument épouvantable ! Au fond, ils ont peur d'eux-mêmes. La seule vraie force du gouvernement, c'est la peur du désordre et la peur des paysans : si jamais on instaure la démocratie, les paysans voteront ; or, personne n'a confiance en eux, à tort ou à raison. De fait, il arrive que la démocratie joue véritablement quand on analyse les scrutins locaux.

Le grand problème du passage à la démocratie est de créer une culture permettant aux personnes de s'accepter les unes les autres.

Dans leur vision du monde, seul compte le fait de compter parmi les puissants. Ils n'éprouvent pas de sympathie particulière pour les autres pays, mais ils ont compris tout l'intérêt de la mondialisation. Ils savent exactement ce qui les sépare des Américains. Ils ne veulent pas de la parité absolue, mais d'une apparence de parité. Ils souhaitent être consultés.

Au Pakistan et en Afghanistan, les Chinois restent très prudents politiquement. Ils n'interviennent pas dans les endroits dangereux, comme au Moyen-Orient, auquel ils ne comprennent rien. J'ai discuté avec des membres du Comité central chinois : ils n'arrivent pas à comprendre une passion qui n'est pas dirigée par des motifs stratégiques ou financiers. Ils ne comprennent pas pourquoi Israël et la Palestine ne s'arrangent pas ensemble. Lorsqu'ils ne comprennent pas quelque chose, ils ne s'en occupent pas et laissent les autres prendre les risques. C'est ce qui se passe au Moyen-Orient.

Leur intérêt vis-à-vis de l'Afghanistan s'explique par un motif égoïste et compréhensible. Beaucoup de fanatiques s'y forment et se retrouvent ensuite dans la province du Xinjiang.

La Chine continue par ailleurs de travailler avec le Pakistan pour gêner les Indiens. Je crois qu'ils devraient plutôt travailler avec l'Inde. C'est là la voie de l'avenir, qu'ils finiront par emprunter.

Quant aux conditions sociales, s'il existe une preuve que l'augmentation du salaire dépend largement des conditions économiques, mais aussi de la turbulence de la main-d'oeuvre, c'est bien en Chine qu'elle se trouve. On a vu les salaires augmenter de façon remarquable depuis 2004-2005, avec des gains de 15 % à 20 %. Cela a commencé par les jeunes hommes dont les entreprises se trouvaient sur la côte. Chose magnifique, ce sont à présent les femmes qui sont en train d'en bénéficier. Le progrès est évident et rapide. Il ne touche plus seulement les salaires, mais s'attache également aux conditions de vie des employés notamment pour les femmes dont la situation a longtemps été effroyable. Dans l'ensemble de la Chine, ce sont d'ailleurs les femmes qui poussent au changement.

En ce qui concerne les chrétiens et le Saint-Siège, il faut rester prudent : il est très difficile d'établir des généralités. Certains prétendent qu'il existerait à présent 80 millions d'évangélistes. Le pouvoir aimerait bien s'en débarrasser, mais on ne les trouve qu'au fin fond de la campagne, dans des zones sans intérêt économique. En revanche, le nombre des autres protestants et des catholiques progresse beaucoup moins rapidement. Il y aurait environ dix à quinze millions de catholiques et un peu plus de protestants. La mode est au christianisme, mais il s'agit d'une apparence : cela fait chic de marier sa fille à l'église. Les prêtres chinois qui sont, comme beaucoup d'autres Chinois, très attirés par l'argent, louent volontiers les églises. Surtout, la situation est très variable selon le territoire.

La réunion est levée à 18 h 05

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