Intervention de Laurent Fabius

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 17 février 2015 à 16h45
Situation en ukraine en irak et en syrie — Audition de M. Laurent Fabius ministre des affaires étrangères et du développement international

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international :

Le voyage en Égypte était prévu. L'Égypte et la Russie ont traditionnellement de bonnes relations. Ce voyage résultait de la volonté du Président al-Sissi et du Président Poutine, qui désirait vendre ses Soukhoï. Cela n'a d'ailleurs pas été le cas.

Pour en revenir aux questions, on oublie souvent qu'il s'agit d'une initiative franco-allemande ou germano-française remarquable. Cela prouve que, lorsque la France et l'Allemagne additionnent leurs forces et leur influence, le résultat est décisif.

Du même coup, je réponds à la question portant sur l'Europe. Lorsque la Chancelière et le Président ont rendu compte de leur mission, tout le monde a applaudi - mais je n'étais pas dans le coeur des uns et des autres... Vous savez comment fonctionne l'Europe : si on ne fait rien, cela pose un problème ; si on fait quelque chose, cela en pose davantage encore !

La Grande-Bretagne a estimé que ces accords n'étaient pas suffisants. C'était aussi la position américaine, mais sur le fond, il n'y a pas eu de contestations. Donald Tusk, Jean-Claude Junker et Frederica Mogherini ont été tenus au courant.

Quant aux sanctions personnelles, celles-ci ont été décidées après Marioupol. Une réunion des ministres des affaires étrangères, tenues avant le sommet de Minsk, aurait dû les arrêter, mais c'était très peu opportun. En effet, de telles sanctions auraient donné une bonne raison à Vladimir Poutine de ne pas aller à Minsk. On les a donc suspendues, mais elles devaient être réexaminées par les chefs d'État et de gouvernement lors de leur conseil informel. Ceux-ci ont décidé de les appliquer ; elles sont effectives depuis lundi. Cela n'a d'ailleurs pas une grande influence. Il s'agit de sanctions limitées aux séparatistes, etc.

Pour ce qui est des sanctions plus importantes, l'idée générale est la suivante : si l'accord a vraiment lieu, si le cessez-le-feu est respecté, si les discussions sont positives, on atténuera les sanctions ; en revanche, si les séparatistes et les Russes « tirent au renard », il est probable que l'on se dirigera vers une aggravation.

M. Bockel m'a interrogé sur le statut des régions de l'Est. J'ai eu une impression étrange durant toutes ces négociations. Au fond, les uns et les autres défendent mordicus leurs positions, mais chacun est extrêmement gêné. Du côté russe, M. Poutine veut peser dessus, comme sur d'autres. Je ne pense toutefois pas qu'il veuille se charger du poids financier qu'elles représentent. Mais après avoir, au nom du nationalisme, monté l'opinion comme il l'a fait, il est très difficile pour lui de ne pas soutenir ces régions. Du côté de M. Porochenko, il faut bien entendu défendre l'intégrité de l'Ukraine, mais mettez-vous à sa place : certains territoires votent à 98 % contre lui - quand ils votent - et constituent en outre une charge considérable, certaines personnes prenant les armes contre sa propre armée. Ce n'est donc guère facile.

Quel statut prévoir pour ces régions ? Je ne vais pas me lancer ici dans un cours de droit constitutionnel. Si ces régions votent, elles éliront les mêmes candidats que ceux qui sont déjà présents. M. Porochenko en accepte l'idée, mais c'est un ouvre-boîte que M. Poutine utilise pour que la discussion ait lieu à la fois sur ces régions de l'Ukraine et sur d'autres. Je pense que les juristes et les diplomates trouveront une formule leur permettant une certaine autonomie.

Cela a-t-il une influence positive sur l'Europe de la défense ? Grand sujet ! Pour pouvoir répondre, on doit introduire l'OTAN dans le jeu. Le Président français a réaffirmé - et il a eu bien raison de le faire - que nous n'étions pas favorables à l'entrée de l'Ukraine dans l'OTAN, pour des raisons géostratégiques, mais aussi à cause de l'article 5. L'article 5 stipule que si l'un des pays de l'OTAN est attaqué, les autres doivent se porter à son secours. Encore faut-il savoir où commence et où finit le pays ! Il faut donc que les pays reposent sur une définition géographique qui ne tire pas à conséquence, sinon il est extraordinairement risqué de s'engager dans une alliance militaire.

Il y a là une différence entre la France, l'Allemagne - Mme Merkel partageant heureusement la même position - et d'autres pays. On ne raisonne malheureusement pas tellement en termes d'Europe de la défense, mais plutôt en termes d'appartenance ou non à l'OTAN.

Mme Durrieu, à qui j'ai déjà répondu à un certain nombre de questions, désire connaître les sanctions en cas d'échec du cessez-le-feu. Il faut être raisonnable : nous n'allons pas faire la guerre à la Russie ! Cela n'a pas de sens.

Il est vrai que toute la partie est de l'Ukraine parle russe et a le sentiment d'être russe. C'était certainement une grave erreur que d'interdire la langue russe.

Il ne faut pas schématiser, vous avez raison. Rien n'est tout blanc, ni tout noir. Le risque est que si ce conflit continue, les caricatures vont devenir des réalités : tous les Russes vont devenir farouchement anti-Ukrainiens et tous les Ukrainiens vont devenir farouchement anti-Russes.

Je remercie M. Pozzo di Borgo d'avoir souligné l'effort que nous avons réalisé.

Quelle est la position américaine ? Pour l'opinion américaine - et le Président Obama n'y est pas insensible - il faut fournir des armes. Nous ne partageons pas cet avis. Certains conflits nécessitent d'équilibrer les rapports avant de trouver des solutions diplomatiques ; dans le cas présent, cela nous paraît relever d'autre chose.

Je participais à la réunion de Munich sur la sécurité, où se trouvaient beaucoup de sénateurs américains des deux bords. Ils n'avaient qu'un seul mot à la bouche : « Armons, armons, armons ! ». Que comptent-ils résoudre ainsi ?

L'argument sur les échanges qu'a employé M. de Montesquiou, je l'ai brandi moi-même, mais quelqu'un de très compétent m'a fait remarquer qu'il fallait vérifier les chiffres. Les Américains ont de petits échanges en valeur absolue. L'argument notamment utilisé par les Russes est de dire que les Européens sont des benêts, puisque ce sont les Américains qui ont profité des sanctions. Ce n'est pas complètement faux, et je ne prendrais pas la défense de ceux qui ont dressé la liste des sanctions, mais si nous en avons beaucoup pâti, les Américains n'ont pas profité de la situation tant que cela. Ce sont les Russes qui en ont le plus subi les conséquences, mais le rapport qu'ils ont avec la population et l'état de leur économie sont complètement différents des nôtres. Ils se trouvent dans une situation extrêmement mauvaise.

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