Intervention de Sandrine Lemery

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 6 mai 2015 à 9h02
Enjeux de l'assurance vie — Stabilité financière financement de l'économie concurrence réglementaire et fiscale en europe - Audition de M. Thomas Groh sous-directeur des assurances de la direction générale du trésor Mme Sandrine Lemery secrétaire générale adjointe de l'autorité de contrôle prudentiel et de résolution M. Bastien Llorca sous-directeur du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques et M. Pierre de Villeneuve président-directeur général de bnp paribas cardif

Sandrine Lemery, secrétaire générale adjointe de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution :

Merci de me donner l'occasion de m'exprimer devant vous sur des sujets primordiaux pour l'assurance vie en France.

Tout d'abord, un rappel de l'importance de l'assurance et de l'assurance vie, en particulier dans le paysage économique français.

Quelques chiffres : 140 000 emplois en France pour l'assurance, 113 milliards d'euros de primes collectées en 2014 en assurance vie, à comparer en termes d'encours à 1 200 milliards de produits bancaires. Fin 2013, les assureurs étaient engagés à hauteur de 1 560 milliards d'euros vis-à-vis des ménages sur le marché français au titre de l'assurance vie, et les placements de tous les organismes d'assurance français s'élevaient à plus de 1 900 milliards d'euros.

Pourtant, cette industrie, stabilisatrice par sa gestion prudente et ses stratégies centrées sur des perspectives de long terme, pourrait être fragilisée par les évolutions récentes, notamment financières, et la baisse des taux, qui changent les perspectives des investisseurs de long terme.

Je voudrais évoquer les trois défis auxquels font face les assureurs vie.

En premier lieu, vous l'avez rappelé, madame la présidente, les conditions macroéconomiques ont conduit les taux d'intérêt à baisser très fortement pour atteindre des niveaux historiquement bas, qui pourraient à terme créer des vulnérabilités dans le secteur de l'assurance vie.

Ces niveaux de taux sont favorables pour une entreprise ou pour un particulier ; en revanche, l'assureur vie collecte des primes et les investit pour en retirer un rendement qui va servir à rémunérer l'épargne des assurés. C'est pourquoi le niveau actuel des taux bas suscite des inquiétudes pour la stabilité des organismes. L'ACPR est extrêmement vigilante à ce sujet.

Si le contexte de taux bas a permis aux groupes d'assurance d'améliorer sensiblement leur solvabilité réglementaire, mesurée avec les normes Solvabilité 1, il impose cependant une grande vigilance à moyen terme, même si certains acteurs ont d'ores et déjà fait évoluer leurs modèles en privilégiant la vente de contrats en unités de compte.

En effet, chaque nouvel euro collecté sur un contrat en euros réduit aujourd'hui le rendement de l'actif s'il est placé en obligations. Même si la proportion de taux garanti supérieur à zéro reste contenue en France, la marge financière se réduit. Il est donc impératif que les assureurs ajustent la revalorisation des contrats d'assurance vie pour préserver leur solvabilité, l'utilisation des réserves qu'ils ont constituées jusqu'à présent devant être soigneusement pesée. C'était le sens du message du gouverneur de la Banque de France de l'année dernière, qui appelait les assureurs à la modération sur les taux servis.

Deuxième défi : les assureurs sont appelées à jouer un rôle essentiel dans le financement de l'économie, en raison de leur place prépondérante dans les choix de placements patrimoniaux des ménages français. Cette évolution doit être suivie, du point de vue du superviseur, avec vigilance pour deux raisons.

Premièrement, les assureurs doivent adapter leur stratégie d'investissement aux engagements qu'ils portent. Il s'agit d'abord de passifs. Ils doivent donc avoir les actifs correspondant aux promesses qu'ils ont faites.

Deuxièmement, les assureurs n'ont pas encore cette expertise de financeurs en direct qu'ont acquise les banques. Il faut veiller que cela ne se fasse pas au détriment des assurés au travers d'une prise de risques trop accrue, qui serait in fine déstabilisatrice pour le secteur, et que les prises de risques soit évaluées de manière équivalente, que le financement soit fourni par un assureur ou par une banque.

C'est dans cet esprit que la réglementation prudentielle a évolué récemment. Auparavant, les investissements dans les sociétés non cotées étaient déjà autorisés, mais les prêts devaient être assortis de garanties, ce qui n'est plus obligatoire.

Les assureurs peuvent à présent investir de manière limitée dans des prêts non sécurisés à des entreprises non cotées ou dans des fonds de prêts à l'économie.

On peut citer deux exemples d'initiative dans ce domaine, la charte de l'Euro private placement, définie sous l'égide de la chambre de commerce et d'industrie de Paris Île-de-France et de la Banque de France, avec un cadre standard pour faciliter l'accès des entreprises au financement obligataire ou au crédit auprès de prêteurs non bancaires, ou encore les fonds Novo et Novi. Le fonds Novo a été créé à l'été 2013 par la Caisse des dépôts et consignations ; il est destiné aux financements non bancaires de PME non cotées. Fin 2014, le montant des prêts octroyés atteignait plus de 2 milliards d'euros, au bénéfice de plus de quarante entreprises.

En outre, depuis 2014 les contrats euro-croissance et vie-génération visent à orienter une partie de l'épargne des ménages vers des secteurs présentant d'importants besoins de financement. Toutefois, la contribution de ces contrats au financement de l'économie sera proportionnelle au volume des encours. Aujourd'hui, on compte 1,3 milliard d'euros sur ces contrats, et probablement quelques dizaines de milliards d'euros à terme.

Troisième défi pour l'assurance vie française : la concurrence en termes d'attractivité réglementaire et fiscale, notamment avec le Luxembourg.

Je voudrais souligner deux points à ce sujet, tout d'abord sur l'importance du phénomène : le marché luxembourgeois, pour les résidents français, est un marché récent qui progresse, mais dont le chiffre d'affaires et l'encours total demeurent relativement faible par rapport à l'ensemble du marché français.

Les primes émises en France et collectées par des assureurs résidant dans d'autres pays passent par deux vecteurs, la libre prestation de services ou la liberté d'établissement. Parmi tous ces assureurs qui opèrent depuis l'étranger, les sociétés localisées au Luxembourg représentent 95 % des primes collectées. C'est un phénomène essentiellement luxembourgeois. Les filiales luxembourgeoises d'assureurs français représentent également une part substantielle de cette collecte.

Le chiffre d'affaires localisé au Luxembourg a fortement crû ces dernières années ; en 2013, il était de près de 6,5 milliards d'euros, à comparer à 111 milliards d'euros pour les organismes français. Le total des engagements des assureurs vie luxembourgeois, en termes de provisions mathématiques, atteignait 29 milliards fin 2013, soit moins de 2 % rapportés à l'assurance vie française. Il s'agit donc d'un phénomène encore marginal.

Quant au rôle de l'ACPR, celle-ci a pour principal levier d'action ses compétences en matière de protection de l'épargne investie. Si la surveillance prudentielle des activités menées par les entités luxembourgeoises relève du Commissariat aux assurances luxembourgeoises, l'ACPR est toutefois fondée à mener des actions de contrôle au titre des réglementations d'application territoriale, selon le droit du contrat français, les règles de commercialisation et la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, ou encore la surveillance des groupes à tête française comportant des filiales luxembourgeoises.

L'ACPR a notamment pour mission de veiller au respect des règles de protection de la clientèle. La conformité des contrats d'assurance et leur commercialisation constituent des axes de préoccupation et font ainsi l'objet de contrôles réguliers.

À ce titre, les contrats d'assurance vie et leur commercialisation auprès de résidents français par des assureurs exerçant en libre prestation de service ou en liberté d'établissement, régis par le droit français, entrent dans le périmètre des contrôles de l'ACPR. Il en est de même du respect des règles applicables en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

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