Intervention de Thomas Groh

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 6 mai 2015 à 9h02
Enjeux de l'assurance vie — Stabilité financière financement de l'économie concurrence réglementaire et fiscale en europe - Audition de M. Thomas Groh sous-directeur des assurances de la direction générale du trésor Mme Sandrine Lemery secrétaire générale adjointe de l'autorité de contrôle prudentiel et de résolution M. Bastien Llorca sous-directeur du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques et M. Pierre de Villeneuve président-directeur général de bnp paribas cardif

Thomas Groh, sous-directeur des assurances de la direction générale du Trésor :

Je focaliserai mon intervention sur la question du financement de l'économie ; je suis à votre disposition pour répondre à d'autres questions sur les taux bas et le Luxembourg si nécessaire.

S'agissant de la question fondamentale du rôle des assureurs dans le financement de l'économie, je commencerai par dire que la première préoccupation du Trésor reste malgré tout de nature prudentielle. Il s'agit de disposer d'une réglementation qui pose des règles de prudence suffisantes pour protéger les assurés. Il est important de le rappeler.

Cela étant, la question du financement de l'économie et de l'État par les assureurs est bien évidemment centrale, compte tenu de son importance particulière, en France, dans le domaine de l'épargne financière des ménages. Sandrine Lemery en a rappelé les ordres de grandeur : l'assurance vie représente aujourd'hui une part très importante des supports d'épargne des Français. Sur les quelque 1 500 milliards d'euros évoqués, environ un tiers est investi dans des obligations souveraines, un peu moins de 40 % dans des obligations d'entreprise, près de 20 % dans les fonds propres des entreprises, qu'il s'agisse d'actions cotées ou non, et le reste dans l'immobilier, les placements monétaires, etc.

La question du financement de l'économie est d'autant plus importante que, pour toute une série de raisons, les placements des assureurs ont connu certaines inflexions ces dernières années, notamment depuis le milieu jusqu'à la fin des années 2000, époque durant laquelle on a observé une stagnation de la part investie en actions, voire une légère baisse, selon les données dont nous disposons. C'est évidemment un sujet qui attire l'attention, compte tenu des montants concernés.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer l'évolution des décisions des assureurs en matière de détermination de l'allocation de leurs investissements, dont découlent de fait les politiques publiques.

Le premier facteur est celui des engagements de passif des assureurs : plus l'assureur est contraint de servir à tout instant des taux garantis élevés à court terme, plus il doit investir dans des supports très liquides dont le rendement est assuré, et donc dans des obligations essentiellement souveraines, d'où une interrogation sur la mutation du marché de l'assurance vie pour répondre à des besoins de supports plus diversifiés.

Le second facteur résulte du contexte financier et macroéconomique. En période de crise, certains investisseurs peuvent se détourner des actions et revenir à des produits plus sûrs. Le niveau des taux d'intérêt a bien évidemment un impact très fort : si les taux baissent, les actions augmentent et l'intérêt financier des nouvelles obligations se réduit. Cela peut pousser les assureurs à rechercher plus de rendement en allant vers l'immobilier, l'action cotée ou non cotée, etc.

Le troisième facteur réside dans le cadre prudentiel, sur lequel je vais revenir dans quelques instants.

Compte tenu de ces déterminants, la politique mise en oeuvre par le Gouvernement et approuvée par le Parlement s'est articulée autour de plusieurs axes.

Le premier a consisté à libéraliser les possibilités d'investissement des assureurs en anticipant le nouveau régime Solvabilité 2, qui pose un principe nouveau, celui de la liberté totale en matière d'investissements. La première étape est celle des fonds de prêts à l'économie, qui permettent à des assureurs de prêter ou de racheter sur le marché secondaire des créances sur des entreprises sans aucune garantie. C'est un levier puissant pour financer les PME dans le pays. 14 milliards d'euros ont été levés pour ce faire, et 8 milliards d'euros ont été aujourd'hui engagés.

Des opérations particulières ont été montées dans ce cadre, notamment avec la Caisse des dépôts et consignations, et les assureurs se sont mobilisés de façon importante, comme pour les fonds Novo, qui constituent des produits particuliers dans ce cadre général.

D'autres opérations ont été conduites avec la BPI et les assureurs ; elles ont représenté plusieurs centaines de millions d'euros et ont permis le développement des placements privés, l'accès élargi des assureurs aux fichiers sur la santé financière des entreprises, afin de leur permettre de prêter en toute confiance, etc.

J'en arrive aux deux derniers items, qui me permettront de répondre plus directement à vos questions. Il s'agit d'une part de la réforme de l'assurance vie, d'autre part de l'évolution des règles prudentielles aux plans européen et français.

La réforme de l'assurance vie engagée fin 2013 repose sur deux piliers qui peuvent contribuer au financement de l'économie de manière importante.

Le premier pilier est constitué par le nouveau contrat vie-génération, qui impose d'investir au moins un tiers de l'actif, au choix, soit dans du logement socialement intermédiaire, soit dans l'économie sociale et solidaire, soit dans les actions de PME et d'ETI, ce qui représentera sans doute un montant d'investissements important. Dès lors, lors de la transmission, le niveau d'imposition est réduit grâce à un barème spécifique.

Le second pilier est représenté par le contrat euro-croissance. Il s'agit de desserrer les passifs en intéressant l'assuré, qui peut espérer un rendement supérieur en échange d'une garantie moindre, l'un n'allant pas, en toute logique, sans l'autre.

Le contrat euro-croissance a été lancé en 2013. L'ordonnance a été approuvée au début de l'été 2014. Son démarrage reste modeste, la collecte représentant environ 100 millions d'euros par mois, pour un stock s'élevant aujourd'hui à 1,5 milliard d'euros compte tenu des contrats existants qui ont été transformés. Ce démarrage prudent tient à la baisse très forte des taux d'intérêt. Les contrats d'assurance vie en fonds euros présentent une certaine inertie qui permet de bénéficier encore de certaines obligations à haut rendement qui demeurent dans le portefeuille des assureurs, alors qu'un contrat euro-croissance implique d'investir dans de nouveaux actifs, ce qui ne permet pas de bénéficier de la performance passée. Ceci suppose de respecter un horizon de temps suffisamment long ou d'investir suffisamment en actions pour compenser le différentiel.

Ce constat est partagé et connu. Le Premier ministre a annoncé que des mesures seraient prochainement prises pour renforcer l'attractivité relative des contrats euro-croissance. Les solutions techniques ne sont pas encore complètement arrêtées. Elles présentent plusieurs options. Le gouverneur de la Banque de France a appelé à la prudence concernant la rémunération des fonds en euros. Les assureurs doivent maîtriser l'évolution de cette rémunération, afin d'inciter les souscripteurs à choisir d'autres supports.

Le second item concerne l'évolution éventuelle des règles prudentielles, afin d'inciter les assureurs à davantage de prudence dans la distribution des bénéfices au sein du fonds euros, de sorte que l'attractivité relative des autres produits présentant un niveau de risques un peu plus élevé soit, là encore, améliorée.

Enfin, une troisième option consiste à transférer une certaine quote-part de richesse, afin qu'une personne qui aurait investi dans un fonds euros et qui opterait aujourd'hui pour un fonds euro-croissance puisse « emporter » avec elle une quote-part de performance latente du fonds euros, qu'elle perdrait dans le droit actuel si elle quittait cet actif général. Il s'agit d'une option que nous sommes en train d'examiner avec beaucoup d'attention, en mesurant tous les incidences en termes de protection des droits des assurés et de sécurité juridique. Tout est sur la table ; les solutions techniques ne sont pas encore complètement arrêtées aujourd'hui.

Enfin, s'agissant de Solvabilité 2, un certain nombre de modifications importantes ont été négociées avec l'appui de la France pour améliorer le financement de l'économie. Il s'agit de mesures transitoires et de mesures destinées à limiter la sensibilité du régime aux fluctuations de cours terme des marchés financiers.

Nous sommes en contact avec la Commission européenne pour aller encore plus loin et renforcer le traitement des investissements des assureurs dans les entreprises, que ce soit en matière d'endettement ou de fonds propres, en reconnaissant pleinement le fait qu'il s'agit d'investisseurs de long terme, et que la maîtrise du risque à un an seulement comporte certaines limites.

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