Aucune prospective, aucun bilan des nouvelles niches fiscales comme la loi l'impose pourtant... Aucune rationalisation de la dépense fiscale, puisque l'on crée en permanence de nouvelles niches, par exemple dans la loi dite « Macron » ou encore dans la loi de transition énergétique. Il n'y a pas d'analyse approfondie a posteriori, et la suppression d'une dépense fiscale par voie d'amendement en loi de finances rectificative tient même lieu d'évaluation.
L'augmentation des dépenses et la diminution des recettes ont conduit à un dérapage du déficit budgétaire, qui entretient l'augmentation de la dette de l'État. Le déficit de l'État s'est élevé à 85,6 milliards d'euros, soit 3 milliards d'euros de plus que la prévision de la loi de finances initiale et 11 milliards d'euros de plus qu'en 2013. Cette augmentation ne peut pas être seulement expliquée par les dépenses « exceptionnelles » du PIA : même en écartant les dépenses exceptionnelles en 2014 et en 2013, le déficit budgétaire reste supérieur en 2014 à son montant de 2013. L'État s'est plus endetté que prévu et sa dette a augmenté de nouveau. Certains ministres font valoir que la charge de la dette est moins élevée du fait des faibles taux d'intérêt : la dette de l'État a crû de plus de 100 milliards d'euros entre 2013 et 2014, soit une hausse de 4,6 % tandis que la charge de la dette a diminué de 1,7 milliard d'euros, soit une baisse de 4 %. Cette situation favorable est fragile. Le directeur de l'Agence France Trésor que nous avons entendu, a bien montré qu'une augmentation de 100 points de base entraînerait un risque budgétaire considérable. Or l'actualité immédiate nous impose la prudence et il est difficile de prévoir quelle sera l'appréciation, demain, des investisseurs sur la zone euro. Je vous renvoie au débat qui se tiendra cet après-midi en séance autour de la situation de la Grèce.
Le projet de loi de règlement est aussi l'occasion d'examiner le suivi de la performance de l'État. François Marc, notre précédent rapporteur général, avait engagé l'année dernière des travaux inédits d'analyse de l'atteinte des objectifs et des cibles. J'ai poursuivi ce travail, qui est une spécificité sénatoriale. Le taux de renseignement global des sous-indicateurs représentatifs s'élève à 76 %. Seuls un peu plus des deux tiers de ces sous-indicateurs permettent de confronter les résultats obtenus à une prévision fixée dans les projets annuels de performances (PAP). La qualité de renseignement varie fortement d'une mission à l'autre. Pour la mission « Enseignement scolaire », aucun indicateur ne confronte la réalité des recrutements avec les objectifs fixés dans la loi pour la refondation de l'école de la République. Je vois que Gérard Longuet, rapporteur spécial de cette mission, approuve à ma remarque !
Il est également regrettable, comme nous l'avons souligné lors de l'audition de la déléguée générale à l'emploi et à la formation professionnelle, que la mission « Travail et emploi » ne contienne aucune information sur l'efficacité des contrats aidés, dont le coût s'élève à plus de 3 milliards d'euros. Les marges de progrès sont considérables.
De plus, pour 58 % des sous-indicateurs qui ont fait l'objet d'un renseignement, les objectifs assignés ne sont pas atteints. Pour neuf missions, la performance est inférieure de moitié à la cible : « Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation », « Défense », « Immigration, asile et intégration », « Outre-mer », « Recherche et enseignement supérieur » et « Sécurités ».
La vigilance s'imposera lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2016 : j'invite chaque rapporteur spécial à s'assurer que les moyens alloués à sa mission et les réformes éventuellement mises en oeuvre prennent bien en compte ces indicateurs et visent à leur amélioration.
Enfin, il existe depuis 2008 des indicateurs permettant une analyse comparative de l'efficience des fonctions de support entre les missions : délais de publication des textes d'application des lois, efficience de la fonction achat, mètres carrés par agent... Vous trouverez, dans le rapport, divers renseignements sur ce point.
Il faut maintenant que notre commission prenne position sur le projet de loi. Nous devons regarder la loi de règlement sous ses deux facettes : sur la forme, il s'agit essentiellement d'un projet de loi de constatation de la manière dont les recettes et les dépenses ont été exécutées et qui comporte en annexe les comptes de l'État, certifiés par la Cour des comptes. Il n'y a de ce point de vue pas de doute sur la sincérité des écritures comptables, en dépit de certains artifices budgétaires.
Mais si la loi de règlement fait l'objet d'un vote, c'est aussi qu'elle retrace une gestion budgétaire, voire une politique budgétaire. De ce point de vue, les différents éléments que j'ai présentés dans le rapport me conduisent à proposer au Sénat de ne pas adopter ce projet de loi, afin de marquer le désaccord de la majorité du Sénat avec la politique conduite.