Intervention de Albéric de Montgolfier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 8 juillet 2015 à 9h47
Débat d'orientation des finances publiques dofp — Examen du rapport d'information

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier, rapporteur général :

Après avoir examiné les résultats de l'exercice 2014, nous en arrivons maintenant à la partie prospective, portant sur l'évolution des finances publiques en 2016 et au-delà. Toutefois, avant d'examiner la trajectoire budgétaire qui nous est soumise par le Gouvernement, je souhaiterais développer quelques éléments relatifs à la Grèce ; en effet, un éventuel défaut grec expose la France à certains risques qu'il convient de connaître. Beaucoup de chiffres circulent sur cette question et une clarification paraît donc nécessaire.

Depuis le déclenchement de la crise de la dette grecque, au cours du premier semestre de l'année 2010, de nombreux programmes d'assistance financière se sont succédé. Après un premier plan d'aide en faveur de la Grèce, décidé en 2010, la dégradation de la conjoncture économique ajoutée aux retards pris dans la mise en oeuvre du plan d'ajustement ont conduit à écarter l'éventualité d'un retour de la Grèce sur les marchés financiers au premier semestre de l'année 2012 comme cela était initialement prévu.

Aussi, à la suite de la décision du 21 juillet 2011 des chefs d'État et de gouvernement de la zone euro, un deuxième plan d'aide en faveur de la Grèce a été décidé, dont les modalités concrètes ont été arrêtées lors de la réunion de l'Eurogroupe du 20 février 2012. Ce plan d'aide a comporté trois volets. Tout d'abord, un abandon de créance a été demandé au secteur privé, qui a consenti une décote nominale de 53,5 % des titres obligataires détenus, ce qui a permis une réduction de la dette souveraine de la Grèce d'un montant de près de 105 milliards d'euros. Ensuite, les États de la zone euro ont accepté de restructurer les prêts bilatéraux qu'ils avaient accordés, abaissant les taux d'intérêt et prolongeant la maturité ainsi que la période de grâce des prêts. Enfin, une aide financière supplémentaire a été accordée à la Grèce, d'un montant maximal de 171,6 milliards d'euros, dont 143,6 milliards d'euros financés par le Fonds européen de stabilité financière (FESF) et 28 milliards d'euros apportés par le FMI.

Ainsi, au 31 mars 2015, le total des programmes d'assistance établis au profit de la Grèce s'élevait à 244,6 milliards d'euros, dont 215,7 milliards d'euros avaient été déboursés. Le montant des aides versées directement ou indirectement, soit également par le biais du Fonds européen de stabilité financière (FESF), à la Grèce par les États de la zone euro - soit 183,8 milliards d'euros - représentait donc 1,8 % du PIB de la zone au début de l'année 2015.

En outre, des mesures en faveur de la Grèce ont été prises dans le cadre de l'Eurosystème. Tout d'abord, en mai 2010, la Banque centrale européenne (BCE) a engagé le programme pour les marchés de titres, dit SMP, visant à réduire les tensions sont les taux d'intérêt des États du Sud de l'Europe. Du fait des acquisitions de titres dans le cadre de ce programme, les avoirs grecs détenus par l'Eurosystème s'élevaient à 18,1 milliards d'euros au 31 décembre 2014. Ce montant était encore de 30,8 milliards d'euros au 31 décembre 2012.

Le programme SMP a été remplacé, à compter de septembre 2012, par le programme d'opérations monétaires sur titres (OMT). Ce dernier consiste, dans son principe, en des achats conditionnés, sur les marchés secondaires, d'obligations souveraines des États de la zone euro sans aucune limite quantitative fixée au préalable. S'il n'a jamais été effectivement mis en oeuvre, le programme OMT est néanmoins parvenu à contenir les primes de risque appliquées aux titres de dette des États périphériques de la zone euro.

Par ailleurs, en dépit des difficultés apparues dans le cadre des négociations entre le « groupe de Bruxelles » et le gouvernement grec, la Banque centrale européenne (BCE) a maintenu l'accès des banques grecques au mécanisme de liquidité d'urgence, dit ELA. Ce dispositif permet d'apporter des liquidités aux banques commerciales grecques dont l'accès au marché interbancaire est limité.

Le 28 juin 2015, la Banque centrale européenne a maintenu le plafond de l'aide d'urgence aux banques grecques à son niveau antérieur, soit 89 milliards d'euros. Selon les dernières informations disponibles, la Banque centrale européenne avait refusé un nouveau relèvement de ce plafond demandé par la Banque de Grèce au lendemain du référendum.

L'Eurosystème a également accumulé les créances sur la Banque de Grèce à travers le système de paiement TARGET2. En temps normal, les paiements sont compensés par des financements privés par le biais du marché interbancaire. Toutefois, en l'absence de financements interbancaires, la Banque de Grèce accumule une dette dite « TARGET2 » en contrepartie des paiements de gros réalisés pour le compte des banques commerciales du pays. Selon les états financiers de la Banque de Grèce publiés le 31 mai 2015, cette dette atteignait à cette date 100,3 milliards d'euros.

Au total, l'Eurosystème est donc « exposé » à un éventuel défaut grec à hauteur d'environ 118,4 milliards d'euros, compte tenu des avoirs détenus au titre du programme SMP et de la dette dite « TARGET2 » de la Banque de Grèce.

Enfin, à la suite de la réunion de l'Eurogroupe du 26 novembre 2012, au cours de laquelle de nouveaux allègements de la dette publique grecque ont été consentis, il a été décidé que les États de la zone euro rétrocéderaient à la Grèce les revenus perçus par les banques centrales nationales sur les titres obligataires grecs ; les montants ainsi rétrocédés représenteraient 13,9 milliards d'euros sur la période 2012-2025.

Envisager un éventuel défaut grec, en particulier au lendemain d'une large victoire du « non » au référendum organisé le 5 juillet dernier par le gouvernement grec, implique de s'interroger sur l'exposition de la France à un tel risque. Je vais donc m'attacher à revenir sur les coûts supportés par notre pays au titre de l'assistance financière apportée à la Grèce, avant d'envisager les risques qui s'y rattachent.

Les coûts supportés par la France au titre de l'assistance financière apportée à la Grèce sont de différentes natures. Viennent, tout d'abord, les coûts budgétaires, qui intègrent en premier lieu le prêt bilatéral accordé à la République hellénique, dont le montant total atteint 11,4 milliards d'euros, déboursé en 2010 et 2011.

En second lieu, des moindres recettes budgétaires résultent des versements de la France à la Grèce au titre de la restitution des revenus perçus par la Banque de France sur les titres grecs détenus pour compte propre ou dans le cadre du programme SMP ; ceci a pour effet de minorer le dividende versé par la Banque de France à l'État. Au total, les rétrocessions représenteraient 2,8 milliards d'euros sur la période 2012-2025.

S'agissant des garanties apportées par la France au Fonds européen de stabilité financière (FESF), celles-ci n'ont pas donné lieu à la mobilisation de crédits budgétaires - une dépense effective n'étant à prévoir que dans l'éventualité d'un appel des garanties. Toutefois, les prêts accordés par le FESF à cette dernière accroissent la dette publique française, en vertu d'une décision d'Eurostat.

Par conséquent, le montant de la dette publique de la France imputable aux prêts accordés par le FESF à la Grèce s'élevait à 31 milliards d'euros en 2014 et devrait représenter 29 milliards d'euros en 2015.

Au total, l'assistance financière apportée à la Grèce au titre du prêt bilatéral et des garanties accordées au FESF représentait 42,4 milliards d'euros de dette publique française en 2014, soit 1,5 % du PIB.

Ce qui vient d'être dit permet de mieux identifier les risques portés par la France dans l'éventualité d'un défaut grec ou du déploiement d'un nouveau programme d'assistance.

Le prêt bilatéral accordé à la Grèce est, sans aucun doute, le plus exposé au risque de non remboursement de la Grèce car il ne dispose pas de garanties propres. Ainsi, en cas de « répudiation » par la Grèce de la dette née du prêt bilatéral accordé par la France, le déficit public français s'en trouverait dégradé à hauteur du montant de la dette annulée. En effet, la perte observée correspond, en comptabilité nationale, à un flux de dépenses enregistrée l'année où elle est constatée. Par conséquent, si un défaut total sur ce prêt venait à être constaté en 2015, le besoin de financement de notre pays serait accru de 11,4 milliards d'euros au titre de cet exercice - soit de près de 0,5 point de PIB. À cela viendraient s'ajouter les pertes de recettes du fait du non remboursement du capital et des intérêts devant débuter en 2020.

De même, une restructuration partielle du capital du prêt bilatéral conduirait à une augmentation des dépenses publiques, et donc du déficit, au cours de l'année de l'annulation, ainsi qu'à des pertes de recettes au titre des exercices au cours desquels le prêt devait être remboursé. Concrètement, un abandon de 10 % du capital du prêt bilatéral en 2015 aurait pour conséquence de dégrader le déficit public de 1,1 milliard d'euros.

Enfin, une nouvelle baisse des taux d'intérêt demandés par les États membres de la zone euro ou un allongement de la maturité du prêt aboutiraient à de moindres recettes lors des années supposées de remboursement du prêt, participant à une hausse du besoin de financement de la France.

Si, en application de l'article 24 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), les pertes résultants d'une dénonciation ou d'une restructuration du prêt bilatéral de la France devraient être retracées dans le compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers » - qui a porté le prêt bilatéral - et faire l'objet d'une disposition dans la loi de règlement de l'exercice concerné, les opérations de restructurations - comme les allègements de charges d'intérêt ou la modification des délais de remboursement - ne sont pas soumises à l'autorisation du Parlement, contrairement à d'autres États, et ce en dépit de leurs éventuelles incidences sur le déficit public ou le compte général de l'État. Seul l'octroi du prêt a dû faire l'objet d'une autorisation parlementaire.

S'agissant des garanties apportées par France au Fonds européen de stabilité financière (FESF), celles-ci ne seraient appelées que si le Fonds risquait de ne pas être en mesure d'honorer le paiement des sommes dues au titre des obligations émises afin d'apporter des prêts à la Grèce. Toutefois, une publication du FESF précise qu'« aussi longtemps que le [Fonds] continue à bénéficier d'un accès favorable au marché et est en mesure de refinancer ses instruments de dette, il ne sera pas nécessaire d'appeler la garantie des États membres », avant de conclure qu'« il n'y a aucune raison de croire que le FESF perdra son accès au marché ». En tout état de cause, les principaux remboursements de la Grèce au FESF doivent intervenir entre 2023 et 2054 ; avant cela, les paiements grecs ne présenteront qu'une ampleur modeste, permettant au Fonds de faire « tampon » sans faire appel à la garantie des États. Il n'y a donc pas lieu d'anticiper des dépenses budgétaires au titre du FESF - ce qui impliquerait une autorisation parlementaire.

Il convient malgré tout de relever qu'une dénonciation totale ou partielle de la dette de la Grèce à l'égard du Fonds viendrait dégrader, en comptabilité nationale, le déficit de la France au prorata des garanties apportées - le Fonds étant « transparent » du point de vue de la comptabilité nationale.

Par ailleurs, il convient de relever les risques portés par la France du fait son appartenance à l'Eurosystème. En effet, comme cela a été indiqué précédemment, ce dernier est exposé à un défaut grec à hauteur d'environ 118,4 milliards d'euros en raison des avoirs détenus au titre du programme SMP et de la dette dite « TARGET2 » de la Banque de Grèce. Dès lors, compte tenu de sa quote-part dans le capital de la Banque centrale européenne (BCE), soit 20,26 % en 2014, l'exposition de la France à ce titre est de près de 24 milliards d'euros. Un défaut grec pourrait conduire à devoir recapitaliser la Banque de France par l'État, entraînant une dégradation du déficit en comptabilité budgétaire et en comptabilité nationale.

L'exposition totale théorique de la France à un défaut total grec n'est donc pas de 40 milliards d'euros, comme nous l'entendons souvent, mais de près de 65 milliards d'euros - soit environ 3 % du PIB.

Pour finir, il convient de souligner qu'une éventuelle intervention du Mécanisme européen de stabilité (MES), que ce soit pour accorder une nouvelle aide à la Grèce ou pour faire face aux désordres susceptibles de découler d'un « Grexit », ne devrait pas donner lieu à de nouvelles dépenses de la France. En effet, le Mécanisme dispose d'un capital propre de 80 milliards d'euros ; en outre, les emprunts émis par le MES ne viennent pas abonder la dette publique des États de la zone euro, en application d'une décision d'Eurostat.

Pour résumer, notre exposition à la Grèce est à la fois multiforme et non négligeable dans son ampleur - 65 milliards d'euros, soit environ 3 %. Je ne porte pas de jugement de valeur à ce stade mais il est important de savoir exactement quelle serait la traduction comptable, pour la France, d'un défaut de la Grèce.

Concernant le rapport préalable au débat d'orientation des finances publiques, les données révélées par le Gouvernement ne sauraient nous surprendre, dans la mesure où elles sont à peu près identiques à celles qui avaient été publiées dans le programme de stabilité pour les années 2015 à 2018. Dans ces conditions, mon propos ne portera que sur les principaux aspects du scénario macroéconomique et de la trajectoire budgétaire.

Dans son avis du 13 avril 2015, relatif aux prévisions macroéconomiques associées au projet de programme de stabilité, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a considéré que les anticipations gouvernementales étaient « prudentes ».

Le caractère prudent des prévisions pour l'année 2015 semble confirmé par les informations conjoncturelles récentes et les prévisions de la Commission européenne, du FMI, de l'OCDE ou encore du consensus des économistes.

Il faut dire que le Gouvernement bénéficie de l'intervention de facteurs favorables - comme le recul des prix du pétrole ou encore la baisse du taux de change de l'euro - qui devraient conforter, je l'espère, la compétitivité des entreprises européennes.

Le rapport sur l'évolution de l'économie nationale et sur les orientations des finances publiques rappelle le principal objectif budgétaire du Gouvernement, à savoir le retour du déficit public en deçà de 3 % du PIB en 2017. De ce point de vue, la trajectoire du solde structurel semble désormais être passée au second plan.

Quoi qu'il en soit, le Gouvernement intègre à son scénario financier une baisse des prélèvements obligatoires. En effet, les prochaines années devraient être marquées par la mise en oeuvre des mesures - fiscales et non fiscales - annoncées le 8 avril dernier par le Premier ministre, Manuel Valls, afin de remédier à l'atonie de l'investissement.

À titre de rappel, s'agissant de l'investissement des entreprises, une majoration de 40 % de l'amortissement fiscal appliqué aux investissements industriels réalisés entre le 15 avril 2015 et le 14 avril 2016 a été annoncée. Aussi, les entreprises pourront déduire ces investissements à hauteur de 140 % du montant de l'impôt sur les sociétés dû. Le coût de ce dispositif - qui a été introduit dans le projet de loi « Macron » - est estimé à 2,5 milliards d'euros sur cinq ans, soit entre 2015 et 2019. Sur ce point, le Sénat a eu raison trop tôt puisque je tiens à rappeler qu'un amendement de la commission des finances visant à mettre en place un mécanisme d'amortissement accéléré avait été adopté à la quasi-unanimité à l'automne dernier. Si le dispositif du Gouvernement est plus ambitieux, il aurait été souhaitable de l'inclure dans la loi de finances pour 2015.

Il est également prévu un plan de travaux autoroutiers de 3,2 milliards d'euros. Par ailleurs, la Banque publique d'investissement devrait accorder 2 milliards d'euros de prêts de plus qu'initialement prévu d'ici 2017, financés grâce au « plan Juncker ». Enfin, des mesures devraient être prises pour orienter davantage l'épargne des ménages vers le financement des entreprises ; il s'agirait, en particulier, de favoriser la diffusion des contrats d'assurance-vie Euro-Croissance et du dispositif PEA-PME.

Pour ce qui est de l'investissement des ménages, afin de stimuler les dépenses dans le domaine du logement, il est prévu de prolonger le crédit d'impôt transition énergétique (CITE) d'une année et d'accroître le budget de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) de 70 millions d'euros en 2015. À titre de rappel, le « coût » du CITE est estimé à 1 320 millions d'euros pour 2016 ; la prolongation du dispositif aurait donc pour effet une hausse des dépenses fiscales d'un montant proche, voire supérieur, au cours de l'exercice 2017.

Enfin, concernant l'investissement public, il a été annoncé que la Caisse des dépôts et consignations mettrait des prêts à taux zéro à disposition des collectivités territoriales pour qu'elles bénéficient d'une avance sur les sommes que l'État leur verse au titre du Fonds de compensation de la TVA.

Le Gouvernement estime que le « coût cumulé de l'ensemble des mesures annoncées [fiscales ou non] est estimé à environ 2,5 milliards d'euros sur la période 2015 à 2017, dont 0,5 milliard d'euros en 2015 » - qui intègre, pour ces trois années, les coûts résultant de la mise en oeuvre du dispositif de « suramortissement ».

Par ailleurs, la baisse du taux de prélèvements obligatoires serait favorisée par la réduction du coût du travail. Ce processus, engagé avec la mise en place du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), est amplifié par les mesures prévues dans le cadre du Pacte de responsabilité et de solidarité.

Au total, les mesures en faveur des entreprises représenteraient une baisse du niveau des prélèvements de 32,5 milliards d'euros en 2017 et de 40,5 milliards d'euros en 2018.

Malgré cela, la baisse des prélèvements obligatoires serait limitée en raison de la hausse de certains impôts, qui viennent partiellement neutraliser les mesures qui viennent d'être évoquées. À titre d'illustration, la baisse des prélèvements ne serait que de 2,3 milliards d'euros en 2015, selon une estimation de la Cour des comptes, en raison de plusieurs mesures venant en augmentation. Les principales sont l'ajout d'une composante carbone à la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) pour 1,8 milliard d'euros, la hausse des tarifs de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) pour 1,1 milliard d'euros, la limitation de la déductibilité des charges financières des entreprises pour 1,3 milliard d'euros, la hausse des taux des impôts locaux pour 0,9 milliard d'euros et les hausses des taux des cotisations aux régimes de retraite de base et complémentaires pour 1,8 milliard d'euros. Par ailleurs, le Gouvernement attend un surplus de recettes de 0,4 milliard d'euros sur l'année 2015 puis de 0,4 milliard d'euros supplémentaires en 2016 du fait des mesures prises en matière de fraude fiscale. Par conséquent, la diminution du taux de prélèvements obligatoires serait d'une ampleur très limitée, soit de 0,2 point entre 2015 et 2017, pour atteindre 44,2 % du PIB - un niveau relativement stable.

À compter de l'exercice 2015, la consolidation budgétaire doit reposer exclusivement sur des efforts en dépenses. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a proposé une trajectoire d'ajustement reposant sur 50 milliards d'euros d'économies au cours de la période 2015-2017, ce qui suppose un fort ralentissement de la dépense publique.

Le Gouvernement a fait le choix de répartir les efforts d'économies entre les différents sous-secteurs des administrations : 19 milliards d'euros pour l'État et ses agences entre 2015 et 2017, 11 milliards d'euros pour les collectivités territoriales, et 21 milliards d'euros pour les administrations de sécurité sociale (ASSO). Le montant des économies totales à réaliser s'élèverait donc à 21 milliards d'euros en 2015, puis à 15 milliards d'euros en 2016 et à 14 milliards d'euros en 2017.

Toutefois, afin de respecter ce programme d'économies annoncé dans un contexte de faible inflation - qui a réduit le rendement attendu de certaines mesures, comme le « gel » du point d'indice des agents de la fonction publique -, le Gouvernement annoncé des efforts supplémentaires d'un montant de 4 milliards d'euros en 2015. Ceux-ci ont été détaillés dans un rapport adressé le 10 juin dernier à la Commission européenne.

Ce document précise, tout d'abord, les économies complémentaires d'un montant de 1,2 milliard d'euros devant être réalisées par l'État et ses opérateurs ; à ce titre, le décret d'annulation de 0,7 milliard d'euros publié le 10 juin 2015 consiste essentiellement en une mesure de « rabot », qui touche les crédits de tous les ministères sauf celui de la défense. En outre, le Gouvernement constate opportunément un ralentissement des dépenses de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) et des décaissements du programme d'investissements d'avenir (PIA), pour un montant total de 0,5 milliard d'euros - mais cela s'apparente finalement à de la régulation budgétaire. À cela viendrait heureusement s'ajouter une révision à la baisse de la charge de la dette au titre de l'exercice 2015 pour 1,2 milliard d'euros, en lien avec le recul récent des taux d'intérêt. Les administrations de sécurité sociale (ASSO), quant à elles, contribueraient à hauteur de 1 milliard d'euros à l'effort supplémentaire. Enfin, les mesures complémentaires annoncées pour 2015 tiennent compte d'un surcroît de recettes de 0,4 milliard d'euros provenant du service de traitement des déclarations rectificatives (STDR) et de dividendes reçus par l'État supérieurs de 0,2 milliard d'euros. En bref, les 4 milliards d'euros d'économies supplémentaires reposent largement sur des mesures de « rabot » ou d'opportunité.

Pour l'année 2016, un effort supplémentaire de 5 milliards d'euros a également été annoncé par le Gouvernement. Toutefois, les mesures sont pour l'instant imprécises et peu détaillées dans les différents documents que nous avons reçus.

Ainsi, le Gouvernement prévoit, par exemple, un effort supplémentaire de 1,2 milliard d'euros pour les collectivités territoriales, qui passe notamment par la mise à jour de l'objectif d'évolution de la dépense locale (Odedel), lequel n'est pourtant pas un objectif contraignant. Cette économie devrait s'expliquer par le ralentissement de l'inflation ; toutefois, l'hypothèse de rigidité de la dépense à la baisse retenue par le Gouvernement pourrait être sous-estimée. Aussi, il y a lieu de se demander si cette réduction de 1,2 milliard d'euros ne se traduira finalement pas par une baisse supplémentaire des dotations, afin de contraindre les dépenses des collectivités territoriales. Les concours financiers de l'État aux collectivités territoriales ont déjà été réduits ; le seront-ils encore ?

Par ailleurs, 2,2 milliards d'euros d'économies supplémentaires seraient réalisées en 2016 par les administrations de sécurité sociale (ASSO). Tout cela doit être précisé.

Au total, l'économie supplémentaire prévue dans le champ des collectivités territoriales demeure très incertaine, à tel point que les services de la Commission européenne n'ont pas jugé opportun d'en tenir compte dans les projections réalisées lors de l'évaluation des actions prises par la France en réponse à la recommandation du Conseil de l'Union européenne du 10 mars 2015.

Pour résumer, l'objectif du Gouvernement réside dans un retour du déficit public en deçà de 3 % en 2017, conformément à la recommandation du Conseil de l'Union européenne précitée. Fort de résultats au titre de l'exercice 2014 plus favorables qu'initialement prévu, le déficit public s'élevant à 4 % du PIB et non à 4,4 % comme l'anticipait la loi de programmation des finances publiques 2014-2018, le Gouvernement a retenu une cible de déficit effectif de 2,7 % du PIB, légèrement inférieure à l'objectif de 2,8 % du PIB arrêté par le Conseil de l'Union européenne.

Le déficit structurel, quant à lui, passerait de 2 % du PIB en 2014 à 0,1 % du PIB à 2018, correspondant à un ajustement structurel de 0,5 point de PIB par an entre 2015 et 2018. Cet ajustement serait supérieur à celui figurant dans la loi de programmation des finances publiques (LPFP) qui prévoyait un ajustement structurel de 1,6 point de PIB sur la période 2015-2018. Toutefois, les éléments relatifs au solde structurel et à l'ajustement structurel sont difficilement comparables dès lors que le Gouvernement a fait le choix de modifier les hypothèses de produit intérieur brut (PIB) potentiel et de croissance potentielle. Nous avons eu le débat avec le ministre : l'exercice de comparaison est difficile si l'on modifie le « thermomètre ». Le Sénat avait pourtant obtenu que la loi organique de décembre 2012 prévoie que la même hypothèse de PIB potentiel soit utilisée tout au long d'une période de programmation. En modifiant les hypothèses de croissance potentielle - ce qui signifie que plusieurs trajectoires de solde structurel peuvent exister en même temps -, le Gouvernement n'applique donc pas l'esprit de la loi organique de décembre 2012 et rend le contrôle particulièrement difficile.

En bref, avec les hypothèses de croissance potentielle de la dernière loi de programmation, l'ajustement ne serait que de 1,6 point de PIB environ. La révision de ces hypothèses permet au Gouvernement de présenter un ajustement structurel de 0,5 point de PIB par an au titre de la période 2016-2018, soit le niveau minimal requis par le Pacte de stabilité et de croissance.

Pour autant, cela ne permet aucunement d'atteindre les cibles d'ajustement structurel arrêtées par le Conseil de l'Union européenne dans sa recommandation du 10 mars dernier. L'insuffisance des ajustements structurels programmés pour les exercices 2015 et 2016 a, d'ailleurs, été relevée par la Commission européenne dans sa communication du 1er juillet 2015, qui évalue les actions prises par la France en réponse à la recommandation du Conseil de l'Union européenne ; cette communication appelle, en outre, à ce que les économies envisagées pour 2016 et 2017 soient précisées.

Le programme de stabilité 2015-2018 prévoit une progression du niveau d'endettement public jusqu'en 2016, année au cours de laquelle la dette publique représenterait 97 % du PIB, avant d'engager théoriquement une décroissance à compter de 2017. Toutefois, depuis 2012, le Gouvernement n'a cessé de reporter la date à laquelle la part de la dette publique dans le PIB devait diminuer et de revoir à la hausse la trajectoire de celle-ci. Il convient donc d'être très prudent sur cette hypothèse qui évolue en temps réel.

Concrètement, cela démontre que le Gouvernement a une maîtrise des plus limitées de l'évolution de la dette publique. Cela est d'autant plus inquiétant qu'un niveau élevé de dette publique - nous en sommes à 2 089,4 milliards d'euros aujourd'hui - expose l'État concerné à un accroissement rapide de la charge de la dette en cas de remontée des taux d'intérêt. Lors de la conférence de presse sur le rapport annuel de la Banque de France portant sur l'exercice 2014, qui s'est déroulée le 5 mai 2015, Christian Noyer, le gouverneur de la banque centrale nationale, a estimé qu'une hausse permanente des taux de cent points de base sur l'ensemble des maturités de la dette en 2015 « coûterait 40 milliards d'euros aux finances publiques ». Lors de son audition par notre commission le 1er juillet 2015, le directeur général de l'Agence France Trésor, Anthony Requin, avait quant à lui rappelé qu'une augmentation de cent points de base par rapport à notre scénario de référence entraîne, la première année, un alourdissement de la charge de la dette de l'État de 2,4 milliards d'euros. Or, la remontée des taux d'intérêt n'est pas qu'une hypothèse d'école compte tenu de la situation actuelle.

Le Gouvernement rappelle sans cesse le chiffre magique de 50 milliards d'euros, mais en dépit de sa « constance » qui doit être saluée, le programme d'économies demeure peu documenté. La Commission européenne elle-même n'a identifié en février dernier « que » 25 milliards d'euros ; de même, dans son avis sur la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) estimait que le respect de la trajectoire supposait d'« infléchir fortement et sur toute la période de programmation la croissance de la dépense publique ».

Par conséquent, compte tenu du fait que la croissance des dépenses publiques en volume a été de 2 % en moyenne entre 2000 et 2013 et de ce que les gouvernements ont rarement tenu leurs objectifs en la matière, il faudrait réaliser un effort très vif pour réaliser le programme de 50 milliards d'euros d'économies annoncé.

À cet égard, je vous rappelle les projections que nous avions réalisées lors de l'examen du dernier programme de stabilité. Elles montrent que le non-respect de l'objectif d'évolution annuelle de la dépense publique en volume fixé dans le programme de stabilité aurait pour conséquence de dégrader fortement la trajectoire des soldes structurel et effectif et de la dette publique. Ainsi, si la progression de la dépense publique en volume était de 0,7 % par an au cours de la période 2016-2018 au lieu de 0,4 % comme le prévoit le Gouvernement, le solde effectif passerait de - 1,9 % à - 2,7 % du PIB. La dette publique, elle, s'approcherait des 100 % du PIB. Nous avons également étudié l'hypothèse d'une progression de la dépense publique de 1,1 % par an en volume entre 2016 et 2018.

En dépit de la « prudence » des hypothèses de croissance retenues par le Gouvernement dans le projet de programme de stabilité, il nous a paru utile de montrer l'extrême sensibilité de la trajectoire de solde effectif et de la dette publique à la conjoncture économique. Ainsi, une croissance inférieure d'un demi-point aux hypothèses du Gouvernement aurait un effet très important. Là encore, la dette approcherait les 100 % du PIB à l'horizon 2017.

Concernant le budget de l'État, le Gouvernement transmet au Parlement un document « tiré à part », qui retrace, de manière agrégée, les arbitrages du budget triennal, et notamment les plafonds d'emplois et les crédits des différentes missions. Nous avons reçu ce document dans la nuit ; je vais vous en présenter les grandes lignes, étant donné qu'il ne m'a donc pas été possible d'en faire, en vue de cette présentation, une analyse approfondie.

Le Gouvernement a donc annoncé en 2014 un plan d'économies de 50 milliards d'euros sur la période 2015-2017. En outre, et afin de respecter les engagements pris envers les institutions européennes, des économies supplémentaires ont été annoncées à hauteur de 4 milliards d'euros en 2015 et 5 milliards d'euros en 2016 sur l'ensemble des administrations publiques. La part portée par l'État et ses opérateurs s'élève à 1,2 milliard d'euros. En réalité, toutefois, la majeure partie de la réduction des dépenses de l'État en 2016 ne traduit pas réellement un effort budgétaire mais proviendrait, pour 1,11 milliard d'euros, de la baisse de la contribution au budget de l'Union européenne !

Quant aux crédits qui devraient être alloués aux ministères en projet de loi de finances pour 2016, ceux-ci augmentent de 153 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2015 et de 295 millions d'euros par rapport à l'annuité 2016 de la loi de programmation des finances publiques 2014-2019 : il n'y a donc pas d'économies budgétaires.

Ces écarts s'expliquent pour une part du fait de la réorientation des priorités du Gouvernement intervenue à la suite des attentats de janvier 2015. Les crédits dont bénéficie le ministère de la défense devraient ainsi augmenter en 2016 de 968 millions d'euros par rapport à 2015 et de 566 millions d'euros par rapport à la loi de programmation des finances publiques 2014-2019, afin d'assurer le déploiement sur le territoire de l'opération « Sentinelle », un renforcement des équipements et l'expérimentation du service militaire volontaire. La forte augmentation des crédits alloués au ministère de la ville, de la jeunesse et des sports découle notamment du relèvement de la cible de contrats de service civique. Des annonces faites en cours d'année sur la création de quelque 100 000 contrats aidés supplémentaires expliquent une large partie de l'augmentation de 350 millions d'euros des crédits destinés au ministère du travail et de l'emploi par rapport à la loi de programmation des finances publiques 2014-2019.

Certaines augmentations ou diminutions de crédits paraissent cependant plus surprenantes : le budget du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche devrait augmenter de 137 millions d'euros par rapport à la loi de programmation des finances publiques. Ce ministère conduit, certes, l'une des politiques publiques prioritaires du Gouvernement, mais les créations de postes supplémentaires étaient, en principe, déjà intégrées dans la loi de programmation des finances publiques.

À l'inverse, on peut être surpris par la réduction marquée des crédits alloués à la politique du logement, de 425 millions d'euros par rapport à la loi de programmation des finances publiques, alors qu'elle est censément l'une des priorités du Gouvernement.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion