Au risque d'être un peu répétitif, le principal message que je souhaite vous transmettre à l'heure où vous vous penchez sur l'avenir du numérique est le suivant : surtout, ne faisons rien ! Une maxime des paysans américains me paraît tout à fait pertinente en l'occurrence : « If it's not broken, don't fix it » (« Ne réparez pas ce qui fonctionne ! »). Le secteur de la radio est en équilibre et il est de tous les médias celui qui a résisté le mieux à la révolution du numérique qui a, dans le même temps, bouleversé à la fois la télévision et la presse écrite. Lorsque vous examinez l'audience de la radio depuis dix ans, celle-ci est stable ou en relative progression. Pluraliste par la diversité de ses offres, aux niveaux national et régional, et du fait de l'absence d'acteur dominant, ce secteur s'est engagé dans la révolution numérique, comme en témoigne le développement de l'écoute sur le réseau numérique ou encore de nouvelles technologies comme les podcasts. Ne bousculons pas cet équilibre.
Je ne vous appelle pas à un « laissez-faire » d'inspiration libérale, mais je revendique plutôt un « laissez-nous-faire citoyen » car la situation actuelle nous semble satisfaisante.
Ne modifions pas les équilibres de recettes au sein du paysage radiophonique national. Radio France représente quelque 700 millions d'euros de revenus pour 25 % de l'audience, tandis que les radios privées reçoivent quant à elles 500 millions d'euros de revenus pour 75 % de l'audience. Je ne conteste pas cette allocation des ressources. Les revenus de Radio France au cours des dix dernières années, si j'en crois le rapport de la Cour des comptes, ont augmenté de 20 %, tandis que celles du secteur privé ont connu une chute de 17 %, en raison de la baisse de la recette publicitaire. Si demain on ouvre les antennes de Radio France à la publicité, on va du même coup aggraver la situation des radios privées qui subsistent grâce à la publicité et qui vont subir une baisse générale de l'ordre de 2 à 3 % de leurs revenus cette année. N'ajoutons donc pas à cela un transfert de recettes du privé vers le public qui induirait un effet d'éviction certain dans un système de répartition qui est déjà très favorable au secteur public !
Concernant la RNT, je m'inscris en total désaccord avec M. Patrice Gélinet. Le déploiement de cette technologie s'apparente aux mesures qui ont fait l'objet d'un ouvrage intitulé Sociologie des décisions absurdes et pourrait fort bien en constituer un nouveau chapitre ! Le numérique est partout et accessible. Pourquoi faudrait-il se lancer dans un projet dont on voit bien, à travers les exemples étrangers, qu'il est coûteux et inefficace ? Un dispositif numérique qui plafonne, au bout de vingt ans et dans le meilleur des cas, à 48 % ou 50 % d'accès comparé à la vitesse de propagation du numérique qui atteint un niveau comparable en deux ou trois ans, témoigne de son inadaptation. La RNT est ainsi un produit poussé par les pouvoirs publics et non tiré par la consommation.
Se lancer aujourd'hui dans la RNT est une démarche comparable à celle d'investir dans le Minitel à l'heure d'Internet ! Nous sommes en retard d'une bataille. Certes, on peut toujours favoriser les investissements des radios qui n'ont pas les moyens de se positionner dans le numérique à haut débit, comme les radios associatives ou locales. Mais n'ajoutons pas des investissements inutiles ! Nous avons un plan national de développement des infrastructures à haut débit et le haut débit va passer par l'IP. Nous commettrions ainsi une erreur d'analyse et d'investissement à développer une technologie qui est dépassée alors que les consommateurs sont ailleurs. Les révolutions technologiques qui fonctionnent sont celles qui sont demandées par les consommateurs et non poussées par les pouvoirs publics, en tout cas en matière de numérique.
Je reviendrai, en guise de conclusion, à ma formule initiale : la radio est un secteur qui fonctionne, qui est pluraliste et en équilibre, assez exemplaire y compris en Europe, laissons-le travailler !