Intervention de Philippe Meirieu

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 16 avril 2015 à 9h00
Audition de M. Philippe Meirieu chercheur en pédagogie professeur des universités émérite en sciences de l'éducation

Philippe Meirieu, chercheur en pédagogie, professeur des universités émérite en sciences de l'éducation :

La nation est évidemment une réalité essentielle. Valmy - où des Français ont crié pour la première fois : Vive la Nation ! » - a joué un rôle essentiel dans l'émancipation d'un peuple contre l'arbitraire. Je pense que c'est cette idée de la nation, porteuse des droits de l'homme et du citoyen et capable de faire vivre la solidarité, qu'il convient de transmettre, et non l'image d'une nation repliée sur elle-même.

Sur la question du rapport entre la pensée religieuse et les savoirs transmis à l'École, il me semble évident que l'École est le lieu où il est nécessaire de « justifier ». Ce n'est pas le lieu où celui qui crie le plus fort, qui est le plus séducteur doit l'emporter, mais le lieu où celui qui justifie le mieux et qui démontre le mieux doit avoir raison : le maître est là pour garantir cela. L'exigence de précision, de justesse et de vérité doit primer sur la loi du plus fort. Il s'agit du fondement même de l'enseignement. Cela a de nombreuses implications en termes pédagogiques : le travail sur la démonstration, le travail sur l'expérimentation, le travail sur la documentation.

Reste la question difficile du « rapport aux origines » : l'École est le lieu où chacun doit avoir cette capacité à se dégager de ce qu'il a acquis sans le trahir mais en le relativisant. Je travaille actuellement sur la réédition du « Dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire » de Ferdinand Buisson. L'article sur la laïcité est très clair. Il n'y affirme pas qu'il est nécessaire d'expurger les élèves de leurs croyances, mais il estime que ces croyances n'ont pas leur place à l'École. Pour Buisson, la laïcité scolaire se situe dans le prolongement de la distinction entre l'ordre civil et l'ordre religieux. Il faut que seuls les savoirs, qui relèvent de l'état stabilisé des connaissances et de ce qui « fait commun », soient enseignés. Ces savoirs ne peuvent « faire commun » que s'ils ne sont pas enseignés comme des croyances.

Or, encore aujourd'hui, une partie des savoirs scolaires sont enseignés comme des croyances. Je pense qu'une réflexion doit être menée dans le cadre de la formation des enseignants, initiale comme continue, afin de travailler sur une pédagogie qui montre, démontre, explique et permette aux élèves de comprendre, d'apprendre et de faire la différence entre ce qu'ils comprennent et ce qu'ils croient.

J'ai moi-même été, en 1998, à l'origine des Travaux personnels encadrés (TPE) dans les lycées, mis en place comme un outil pour former les jeunes à la recherche documentaire interdisciplinaire. Les résultats, de l'avis de tous, ont été très intéressants. Nous avions engagé là un mouvement vers des « élèves-chercheurs », capables de se dégager de leur identité d'« élèves-croyants » ; c'était un mouvement vers une authentique laïcité.

Je souhaiterais terminer en relevant un point. Si on a pu me traiter de « pédagogiste », je ne crois pas avoir jamais négligé l'importance des disciplines et de la transmission. Je crois même avoir insisté sur l'importance de la culture - sens le plus fort du terme - au sein des disciplines scolaires. J'ai mené très tôt des expériences pour apprendre aux élèves à apprendre à lire l'Iliade et l'Odyssée d'Homère. Lorsque j'étais enseignant en lycée professionnel, j'ai travaillé sur la Théogonie d'Hésiode. Ce sont ces textes, forts par leur densité anthropologique et par ce qu'ils interpellent chez l'élève, qui sont en mesure, tout à la fois, de leur faire découvrir la richesse de la langue, de les arracher à certains de leurs préjugés et de les faire accéder à des questions anthropologiques essentielles qui les relient, au-delà de leurs différences et construisent authentiquement du « commun ».

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