Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de vous être engagés dans cette commission d'enquête relative au coût économique et financier de la pollution de l'air car c'est un sujet de santé publique majeur. Il y a aussi un enjeu social car ce sont les populations les plus fragiles qui sont exposées à la mauvaise qualité de l'air. Les coûts sanitaires de la pollution de l'air sont estimés entre 20 et 30 milliards d'euros par an selon une étude de 2012, publiée par mon ministère au Commissariat général du développement durable. Si ces coûts sont essentiellement liés à la mortalité, il faut y ajouter les coûts liés à l'inconfort, à l'inquiétude, à la souffrance du fait d'être malade. Sur ces 20 à 30 milliards d'euros, un à deux milliards d'euros pourraient être économisés chaque année pour le système de soins par des mesures simples. Plusieurs dizaines de millions d'habitants en France sont exposés à une mauvaise qualité de l'air dans certaines zones du territoire et particulièrement dans les zones urbaines à forte densité. La France vient de recevoir un avis motivé de la Commission européenne pour non-respect des valeurs sanitaires pour les particules PM 10. Dix zones sont visées : Marseille, Toulon, Paris, Douai-Béthune-Valenciennes, Grenoble, Lyon, Nice, la Martinique et quelques zones urbaines en région Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte-d'Azur. Nous allons très prochainement répondre à cet avis motivé en faisant état des actions engagées, des résultats obtenus qui conduisent déjà à considérer que le nombre de zones en dépassement s'est probablement réduit, des nouvelles actions engagées. Je pense que les travaux de votre commission d'enquête pourraient fort utilement aussi être transmis comme éléments d'appui aux politiques gouvernementales qui tiendraient compte de vos recommandations. Le Gouvernement pourrait reprendre ces éléments à son compte et les communiquer à la Commission européenne. Je souligne ainsi l'importance de vos auditions et propositions, auxquelles je serai particulièrement vigilante.
Des dépassements de valeurs sanitaires pour le dioxyde d'azote concernent également une quinzaine de territoires en France. La commission européenne a engagé le 13 février 2014 une procédure Union européenne pilote. La commission a clôturé la procédure et la France vient de recevoir une mise en demeure pour dix-neuf zones. Dans ce contexte, la participation de tous les acteurs est indispensable, d'abord pour réduire de manière pérenne les concentrations de polluants dans l'atmosphère en agissant sur le transport, sur l'industrie, sur l'agriculture et sur les constructions, mais aussi pour éviter les pics de pollution et le dépassement récurrent des seuils réglementaires, notamment lorsque les conditions météorologiques les favorisent et enfin pour informer les Français des risques et des sources de pollution, protéger leur santé et les inciter à agir à chaque fois qu'ils le peuvent. Le bilan national de la qualité de l'air, qui sera publié par le ministère en septembre, montrera qu'en 2014 la situation s'est améliorée, preuve que l'action collective est payante. Sur les PM10, seule une agglomération de 250 000 habitants a dépassé les seuils réglementaires contre cinq en 2013. Pour le dioxyde d'azote, treize agglomérations de plus de 250 000 habitants n'ont pas respecté le seuil de concentration contre quinze en 2013 - ce qui est une petite amélioration - mais il reste beaucoup à entreprendre et j'ai engagé des actions qui ont été remises en perspective devant le Conseil national de l'air du 2 juin 2015.
La création du certificat qualité de l'air, sur laquelle je m'étais engagée devant la conférence environnementale, va être expérimentée pour donner des avantages aux véhicules les moins polluants. Cette classification va s'appuyer sur les émissions polluantes des véhicules particuliers, des deux roues, des poids lourds, des autobus et comportera sept classes en fonction de la motorisation et de l'âge du véhicule. Une classe spécifique est réservée aux véhicules électriques « zéro émission ». Une dérogation sera accordée aux véhicules d'intervention et d'urgence. Cette échelle de classement va permettre aux collectivités, et notamment aux maires des grandes agglomérations, aux présidents d'intercommunalités, de moduler finement les mesures incitatives ou restrictives que ces collectivités souhaitent mettre en place en concertation avec les habitants et les acteurs économiques du territoire. Elles pourront par exemple - et je fais référence à la loi de transition énergétique pour la croissance verte - créer des zones à circulation restreinte pour la qualité de l'air, qui seront réservées à certaines classes de véhicules toute l'année ou certains jours de la semaine pour diminuer drastiquement la pollution.
La deuxième action que je porte est de proposer certains avantages de stationnement ou de circulation sur les voies réservées aux véhicules électriques ou aux véhicules les plus faiblement émetteurs pour en encourager l'usage. Je souhaite que ce dispositif soit simple et lisible pour les usagers comme pour les agents chargés du contrôle. Ce certificat a été élaboré en lien avec le ministre de l'intérieur dans la mesure où, pour l'efficacité du contrôle, il doit être lisible. Il sera délivré par voie postale à titre individuel à chaque propriétaire de véhicule qui en fera la demande par internet. Il est mis en place à partir du 1er janvier 2016. Les expérimentations seront lancées dès l'automne. Le coût du certificat sera au maximum de cinq euros. C'est une démarche à la fois pédagogique, nullement porteuse d'exclusion puisque les entreprises seront amenées à s'interroger sur l'offre de mobilité qu'elles peuvent proposer à leurs salariés, les usagers seront responsabilisés sur leur contribution à la qualité de l'air, les élus disposeront d'un nouveau moyen d'action, les constructeurs automobiles et les industriels seront incités à innover et à mettre sur le marché des transports propres, les pouvoirs publics pourront adapter les mesures d'urgence en cas de pic de pollution, en interdisant la circulation aux véhicules les plus polluants et pas seulement avec un système d'immatriculation paire ou impaire, qui n'a aucun sens en terme de ciblage des véhicules les plus polluants. J'ai entendu un certain nombre de réactions, notamment de la part des foyers qui n'ont pas les moyens de s'acheter une voiture moins polluante. Je précise que le Gouvernement a mis en place une prime de dix mille euros cette année pour inciter à l'achat de véhicules électriques, qui a été étendue aux véhicules propres d'occasion. L'idée est aussi d'inciter les constructeurs à mettre sur le marché des véhicules avec des paiements mensualisés afin que tous les niveaux de revenu puissent y accéder. J'ajoute aussi qu'afin de ne pas faire de l'écologie punitive, ce certificat est facultatif. Ainsi, seules les voitures propres vont demander le certificat et bénéficieront des avantages. La stigmatisation qui était crainte par les certificats sur les voitures les plus polluantes n'existera pas. En revanche, ces dernières ne bénéficieront pas des avantages réservés aux véhicules propres. Il faut prendre en considérations tous ces aspects pour s'inscrire dans une dynamique positive et que ce soit surtout les constructeurs qui s'engagent, les entreprises qui fassent vraiment des plans de mobilité comme c'est prévu dans la loi de transition énergétique, les collectivités territoriales qui développent des transports propres ou des transports de substitution propres en cas de pic de pollution.
J'ai également lancé l'appel à projets « Villes respirables en cinq ans » pour mobiliser les collectivités et tester les solutions innovantes. Le cahier des charges a été rendu public. Les collectivités comme les agglomérations jouent un rôle essentiel dans la lutte contre la pollution de l'air et elles ont des compétences pour agir concrètement. Cet appel à projets permettra d'expérimenter des mesures radicales pour la qualité de l'air afin de faire baisser sensiblement la pollution. Ils vont bénéficier d'une aide financière pouvant aller jusqu'à un million d'euros par lauréat pour déployer localement les dispositifs du projet de loi de transition énergétique et notamment définir rapidement des zones à circulation restreinte, engager rapidement le renouvellement des flottes publiques, des autobus et des taxis. Les gens ne comprennent pas pourquoi on leur demande de rouler propre alors qu'ils voient des bus ou des taxis polluants. Cette aide financière permettra également de mettre en place les primes de conversion, y compris pour les deux roues et les utilitaires, de développer la mobilité électrique avec le déploiement des bornes de recharge, d'inciter toutes les entreprises à avoir des plans de circulation, de multiplier les incitations au covoiturage et enfin d'engager les déplacements en deux roues.
Je souhaite également mettre en place avec les professionnels concernés des mesures de lutte contre la pollution. Dans les transports publics, le ministère a engagé des discussions avec les compagnies d'autobus pour mettre en place des plans d'élimination des véhicules diesel les plus polluants. Dans l'industrie, nous avons lancé des audits et des programmes d'actions, notamment dans les petites et moyennes entreprises. L'activité agricole est également une source de pollution importante : la question est taboue mais il faut avoir le courage de le dire car c'est aussi l'intérêt des agriculteurs d'identifier ces sources de pollution, les nommer. La santé des agriculteurs est également en jeu. Les produits d'épandage dispersent des polluants dans l'air : là aussi il est parfaitement possible, de même que j'ai interdit les épandages aériens, de trouver des techniques permettant d'arrêter les épandages par pulvérisation, qui ont joué un rôle important par exemple dans les pics de pollution à Paris. Dans le secteur de la construction, la rénovation thermique des logements, les constructions à énergie positive, les filtres à particules pour le chauffage au bois, le remplacement des appareils de chauffage anciens, sont également en mouvement. Dans les appels à projets « Villes respirables », les villes devront mettre en place des actions d'information des citoyens.
Toutes ces actions ne sont pas réservées aux lauréats de l'appel à projets « Villes respirables ». L'idée est de montrer comment on peut concentrer et accélérer, avec une impulsion plus forte, la mutation de la civilisation urbaine. Elles seront prioritairement réservées aux agglomérations situées dans l'une des 36 zones couvertes par un plan de protection de l'atmosphère approuvé ou en projet. La date limite de dépôt des dossiers est fixée au 5 septembre pour une annonce des lauréats le 25 septembre, lors de la Journée nationale de la qualité de l'air. Ce laps de temps est très court : sur toutes les sources de pollution, il faudra apporter des projets structurés, souvent déjà en gestation. Les lauréats bénéficieront d'un appui financier et méthodologique, les aides de l'Ademe, le financement du Fonds pour la transition énergétique et le programme des investissements d'avenir. Pour les actions agricoles, les financements du ministère seront mobilisés, notamment le plan Ecophyto, bénéficiant de fonds important qui pourront être concentrés sur les projets intégrés.
Comme cela a été annoncé par le Gouvernement lors de la Conférence environnementale, il faut rééquilibrer progressivement la fiscalité entre le gazole et l'essence en prenant en compte les impacts écologiques pour les entreprises et les citoyens. Le bonus automobile et le nouveau bonus portent déjà leurs fruits, pour aider à diffuser les véhicules propres. Au premier trimestre de l'année 2015, même si le niveau de départ est bas, on constate une progression de 89 % en un an des ventes de véhicules électriques, soit 2 903 voitures particulières électriques immatriculées au premier trimestre, contre 1 500 le trimestre précédent. Selon les constructeurs, les commandes de véhicules électriques sont déjà en forte hausse en avril, avec des volumes quatre à huit fois supérieurs à ceux constatés en avril 2014. Les derniers chiffres de vente connus en mai confirment la tendance. On sait très bien que pour déclencher ces achats, il faut déployer des bornes électriques, comme le prévoit le programme d'investissements d'avenir mais il faut aussi améliorer l'autonomie. En tout état de cause, on observe que lorsque des entreprises ou des particuliers ont fait le choix du véhicule électrique, ils ne reviennent pas en arrière tant le progrès qualitatif et financier est considérable. Une des solutions sans doute serait de déployer des flottes électriques dans les entreprises avec des systèmes de location aux salariés. Le covoiturage de véhicules électriques pourrait également être intéressant ainsi que le déploiement des deux roues électriques.
Le Parlement a souhaité inscrire dans la loi relative à la transition énergétique plusieurs dispositions pour encourager les salariés à utiliser leur vélo : l'indemnité kilométrique et la réduction d'impôt pour les sociétés qui mettent à disposition de leurs salariés des flottes de bicyclettes.
Dans le secteur des transports, ces mesures viendront en complément de l'engagement de l'Etat et des collectivités territoriales, à qui la loi pour la transition énergétique demande de renouveler leurs flottes avec des véhicules propres, dont les flottes de bus et de cars. Je rappelle également que dans ce texte, il est prévu que les collectivités territoriales doivent obligatoirement, lorsqu'elles renouvellent leurs flottes de véhicules, acheter un véhicule propre sur deux véhicules achetés.
Autre point, il faut vraiment mobiliser la profession agricole sur la qualité de l'air. Je le rappelle, ce ne sont pas les agriculteurs qui polluent mais les activités agricoles qui subissent aussi elles-mêmes les dégâts causés par la pollution de l'air. Les rendements agricoles peuvent notamment être impactés par les épisodes de pollution. Les baisses de rendements peuvent aller jusqu'à 20 % sur le blé pendant les périodes de forte concentration en ozone. Mais certaines pratiques agricoles contribuent également à la pollution de l'atmosphère. La diminution d'émissions de polluants agricoles est indispensable et rejoint d'ailleurs la problématique de relance des pollinisateurs et de lutte contre la mortalité des abeilles. Il convient de prendre en considération la question spécifique des épisodes de pollution printaniers avec une conjonction de l'augmentation de la température de l'air et donc de la pollution automobile qui s'accentue et des épandages agricoles. Il y a une forte contribution de l'ammoniac dans la formation des particules, au même titre que les émissions liées au trafic. Des nouveaux financements sont mis en place, avec le soutien du ministère de l'agriculture et de l'Ademe, afin d'expérimenter des pratiques plus performantes. Une enveloppe de vingt millions d'euros sur cinq ans est dédiée à ce programme. Il faut désormais cibler ces moyens financiers sur des actions efficaces.
Une table ronde avec les représentants des professions agricoles sur la qualité de l'air est en cours d'organisation pour examiner quelles solutions s'offrent aux exploitants à l'approche de la période hivernale, également propice aux pics de pollution.
Je souhaite également améliorer le dispositif de gestion des épisodes de pollution. Il y a eu des polémiques en mars dernier. J'ai donc mandaté, avec les ministres en charge de l'intérieur et de la santé, une mission d'inspection sur la gestion des épisodes de pollution afin de disposer de recommandations pour faire face aux prochaines crises. Cette mission a présenté ses réflexions devant le Conseil national de l'air début juin et va rendre son rapport très prochainement.
Je souhaite par ailleurs développer la surveillance des polluants non réglementés pour avoir une approche dynamique. Une campagne nationale exploratoire de surveillance des pesticides a été lancée, comme décidé dans le cadre de la feuille de route de la conférence environnementale. Elle va s'appuyer sur les recommandations de l'Anses, sur le protocole harmonisé de surveillance, établi par le Laboratoire central de surveillance de la qualité de l'air et mis en oeuvre par les associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (AASQA). L'Anses est en cours de saisine pour les autres polluants non réglementés. Une journée nationale pour la qualité de l'air est prévue le 25 septembre pour mobiliser tous les Français. Il serait intéressant qu'à ce moment-là, on puisse déployer les actions et recommandations qui seront les vôtres.
Il y a enfin toutes les actions de mesure de la qualité de l'air dans les établissements qui reçoivent du public, en particulier dans les écoles. J'avais été saisie par les maires pour tenter d'être pragmatique sur la question de la mesure de la qualité de l'air dans chaque pièce de chaque crèche, école maternelle ou encore collège ou lycée. En tant que présidente de région, je m'étais rendue compte de ce problème en voyant le budget réservé à ce contrôle. J'ai donc assoupli le texte réglementaire et j'ai fait mettre au point par l'Ineris un kit de mesure de la qualité de l'air. Les employés municipaux peuvent ainsi procéder eux-mêmes à ces mesures dans les établissements municipaux, les départements dans les collèges ou les régions dans les lycées, sans avoir recours à des cabinets privés très coûteux, et procéder à des analyses complémentaires s'ils souhaitent approfondir ces premiers résultats.
Il y aurait encore certainement beaucoup de choses à dire mais je voudrais laisser du temps pour vos questions. Voici les éléments que je souhaitais porter à votre connaissance. Je serai très attentive et je suis très demandeuse des propositions que vous ferez. Le contentieux européen dans lequel la France est engagée doit être vu de manière positive. Au lieu d'être dans une position défensive, il faut au contraire saisir cette occasion donnée par la mise en demeure européenne pour être à la hauteur et changer de modèle.