Intervention de Jean-Michel Blanquer

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 26 mars 2015 à 9h00
Audition de M. Jean-Michel Blanquer directeur général du groupe essec

Jean-Michel Blanquer, directeur général du groupe ESSEC :

Sur la dégradation du climat scolaire, il existe de nombreuses études et de nombreuses données.

Je ne pense pas être la personne la mieux à même de dire ce qu'il en est pour la période récente, dans la mesure où je ne suis pas actuellement au ministère de l'éducation. Néanmoins, j'ai le sentiment que c'est plutôt dans les années 1990 que l'on observait une sorte de « trou d'air » dans le climat scolaire, à la fois sur le plan pédagogique et sur le plan éducatif, et que, depuis, nous sommes sur un « plat », qui demeure cependant à un niveau de violence élevé ; la situation mérite donc qu'on y soit attentif. Au cours des années 2000, je n'observais pas une augmentation de la violence, mais je la voyais installée à un niveau qui justifiait qu'on s'en préoccupe, même s'il y a toujours une part de violence dans tout système. Il reste que nous pourrions faire nettement mieux.

Disposons-nous de remèdes appropriés ?

À cet égard, la relation entre les professeurs et les parents d'élèves me paraît déterminante. Toutes les études internationales montrent que c'est un des trois facteurs principaux de la réussite du système scolaire. Reste à savoir comment un système scolaire réussit à associer les parents, et surtout dans quelle mesure une convergence entre les valeurs de la famille et celles de l'école peut exister.

Après les événements de janvier, il a beaucoup été dit qu'il ne fallait pas faire de l'école la cause de tous les maux de la terre. En effet, beaucoup de choses naissent en dehors d'elle et, de ce point de vue, la communication entre parents et établissements est essentielle.

Nous savons que ce n'est pas un point fort du système français, pour des raisons historiques bien connues, qui sont de bonnes et de mauvaises raisons. Quoi qu'il en soit, il n'existe pas aujourd'hui un climat de confiance entre les uns et les autres.

Je considère toujours le mot « confiance » comme le mot-clef. On considère souvent que la référence nostalgique au passé, à la IIIe République en particulier, relève d'une vision éthérée de ce passé, qui fait abstraction des nombreux problèmes qui existaient à l'époque, notamment celui des inégalités. Certes, mais la confiance était à l'époque plus présente qu'aujourd'hui. Cette nostalgie que nous éprouvons, selon moi, c'est celle de la confiance.

C'est donc au premier chef la confiance qu'il convient de restaurer. Voilà pourquoi le travail que réalise votre commission d'enquête est si important. Il est nécessaire de créer un consensus à la fois sur le plan local et sur le plan national. En effet, de la même manière qu'une division entre les parents vis-à-vis de l'enfant ne peut donner de bons résultats, une division entre l'école et la société et entre l'école et la famille ne peut donner de bons résultats.

J'aimerais vous faire part d'une expérience intéressante qui illustre mon propos, celle de la « mallette des parents ». En 2009, dans l'académie de Créteil, des réunions entre les parents et les professeurs de 50 collèges ont été organisées, notamment au premier trimestre, concernant les classes de sixième, pour familiariser les parents aux enjeux du collège, aux devoirs à faire, au fonctionnement général de l'établissement et aux moyens nécessaires pour favoriser la réussite de l'enfant. L'étude à laquelle cette expérience a donné lieu a représenté une avancée dans la vie de l'éducation nationale dans la mesure où c'était la première fois que quelque chose d'aussi scientifiquement fondé était réalisé, la méthode de randomisation permettant de mesurer très précisément l'impact de cette politique. De ce fait, nous avons pu observer des effets très notables sur l'absentéisme des élèves, sur la violence et même, quoique dans une moindre mesure, sur les résultats des élèves.

Fort de cette expérience, j'ai élargi ce dispositif à 1 300 établissements lorsque j'étais directeur de l'enseignement scolaire.

Nous avons ensuite réalisé deux autres expérimentations : une en troisième concernant l'orientation, dans l'académie de Versailles, et une autre en cours préparatoire, toujours avec le souci d'associer les parents.

La ministre de l'éducation nationale a déclaré que, dans le cadre des nouvelles mesures, elle envisageait une généralisation de ce dispositif, ce que je ne peux que trouver très positif. Bien sûr, il faut voir ce qui est concrètement prévu, mais tout ce qui vise à une meilleure relation entre parents et établissements - c'est certainement, parmi d'autres éléments, l'un des plus importants - ne peut être que positif.

Deuxième question : les valeurs républicaines sont-elles suffisamment inculquées ? Comment doit être pensé l'enseignement moral et civique ?

Évidemment, le contenu de l'enseignement moral et civique est fondamental dans la mesure où il peut donner lieu à quelque chose d'artificiel ou d'inutile, voire de contre-productif s'il n'est pas correctement enseigné. Afin d'éviter cet écueil, des choses très simples peuvent être mises en place et la vertu de l'exemplarité doit être à nouveau soulignée.

En 2011 avait été publiée, concernant l'école primaire, une circulaire qui traduisait, à mon sens, l'essentiel sur le sujet. Ce que Vincent Peillon a affirmé ensuite était également tout à fait intéressant - en cette matière aussi, il peut y avoir de la continuité dans les politiques publiques -, à savoir qu'il est nécessaire, en particulier à l'école primaire, de mettre en place une sorte de rappel quotidien des principes moraux à travers des illustrations tirées de la vie quotidienne des élèves. Cela se faisait couramment et c'est encore pratiqué par beaucoup d'enseignants, mais ce n'est pas généralisé. Et surtout, quand on prône une telle pratique, on craint de passer pour quelqu'un de nostalgique, d'archaïque, ayant une vision désuète. C'est absurde !

Après tout, c'est bien cela que l'on fait en tant que parent quand on explique à son enfant que ne pas traverser dans les clous est dangereux. Pourquoi, alors, s'interdirait-on de le faire à l'école, en écrivant le matin une petite maxime au tableau, en tirant une leçon de morale du conte qu'on lit avec les élèves ? Cela crée un moment collectif, un peu solennisé, qui permet aux enfants de s'imprégner des principes de respect d'autrui, qui est absolument fondamental.

Au collège et au lycée, je crois beaucoup dans le fait de rendre plus mûrs les adolescents, de les responsabiliser davantage dès l'entrée en sixième. J'ai la conviction que le passage du CM2 en sixième constitue une césure, toujours présentée comme problématique, s'agissant d'enfants qui ont connu un maître ou une maîtresse unique et qui se retrouvent devant plusieurs professeurs, lesquels n'agissent pas nécessairement de concert.

Cette césure doit être atténuée. Plusieurs ministres successifs se sont efforcés de le faire, mais sans doute insuffisamment. Certes, on a progressé un peu durant ces dernières années. Toutefois, il faut encore atténuer cette césure et, en même temps, l'assumer. En effet, puisqu'il y a de toute façon le primaire, puis le collège, faisons de ce moment une forme d'initiation républicaine pour le préadolescent qui entre en sixième, qui est encore enfant tout en étant déjà un adolescent en devenir.

Nous sommes dans des sociétés sécularisées, où le sacré n'est plus au coeur des principes de la République, mais où le besoin d'appartenance est très fort et peut s'exprimer de manière en quelque sorte non canalisée si la République ne fait pas elle-même droit à ce besoin de sens.

On parle souvent du fondamentalisme religieux. S'ajoute le phénomène des gangs ou des bandes. Ce sont, en réalité, des phénomènes d'appartenance. On le voit dans certains pays, le cas typique étant celui de l'Amérique centrale. Quand la collectivité n'a pas assumé le besoin de sens et de vie collective de l'enfant, la nature ayant horreur du vide, apparaissent des phénomènes de ce genre.

Le collège n'est pas là seulement pour dire à un enfant : « À neuf heures tu vas faire du français, à dix heures de l'histoire, et à onze heures des mathématiques », avec ce que cela comporte d'artificiel, sans parler de la difficulté à le faire comprendre à beaucoup d'enfants. Au début de la sixième, il est nécessaire de rassembler, avec les professeurs, dès le mois de septembre et pendant une certaine durée, les enfants pour leur expliquer ce qui va leur arriver, pour donner du sens, pour relier les disciplines, pour que les enjeux moraux et civiques et les enjeux de devenir - devenir adolescent, puis adulte - soient explicités.

Il nous faut prendre au sérieux le préadolescent, comme le font toutes les sociétés, depuis toujours : à l'adolescence, un moment de solennité est nécessaire. Or ce moment n'existe plus. Si nous ne le suscitons pas, d'autres s'en chargent.

Ce point renvoie à l'organisation de l'établissement. Dans mon introduction j'ai dit à quel point il était nécessaire que la communauté des adultes soit unie. Aujourd'hui, et cela me permettra de passer à votre troisième question, les organigrammes sont beaucoup trop souvent en râteau avec, d'un côté, le chef d'établissement, de l'autre, la salle des professeurs.

Une des clefs d'évolution est une gouvernance beaucoup plus collective, un système plus partagé, où les professeurs prennent des responsabilités, éventuellement à tour de rôle. L'équipe de direction ne doit pas être constituée d'une ou deux personnes, mais de dix personnes, par exemple, incluant tel professeur devenu doyen des lettres, tel autre devenu responsable des études pour la classe de sixième, tel autre de cinquième, de quatrième, de troisième, pour créer une vraie communauté responsabilisée, qui fasse le lien avec l'ensemble des professeurs.

Je pourrais aussi développer mon propos sur le rôle futur des centres de documentation et d'information (CDI) et dire comment en faire des lieux plus collectifs et épanouissants.

Il nous faut tout simplement une communauté plus soudée, qui donne l'exemple.

Ce que je dis n'est ni une utopie ni une rêverie puisque cela existe, et c'est là un élément d'optimisme ! En France, des établissements évoluent en ce sens et réussissent. Les établissements français à l'étranger en sont l'exemple : nous savons tous qu'ils constituent de vrais succès. Évidemment, les conditions sont différentes ! Néanmoins, nous voyons bien que, quand ces fondamentaux-là sont mis en oeuvre, ça fonctionne !

La préparation des enseignants, le soutien de la hiérarchie et le rôle des inspecteurs sont-ils adaptés au regard de ces problèmes ? La réponse est non. Nous recherchons une amélioration de la formation des professeurs qui n'a pas encore eu lieu. Des propos assez schématiques ont pu être tenus de toutes parts sur ces questions. Le fait est que la situation n'est pas bonne, mais la création des écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ) peut être intéressante.

Le problème n'est pas la mécanique institutionnelle : celle de l'institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) n'était pas mauvaise en soi, pas plus que celle des ÉSPÉ. Nous avons effectivement besoin d'un lieu de nature universitaire où l'on apprend aux futurs professeurs à enseigner. La question est de savoir ce qu'il s'y passe réellement et quelles personnes y enseignent. Plutôt que de se focaliser sur les questions de processus - ceux-ci sont convenables, tels qu'ils sont formulés aujourd'hui - il faut se demander qui enseigne et quel est le contenu de l'enseignement. J'estime - ce n'est pas toujours apprécié quand je le dis - que c'est cela qu'il faut repenser complètement.

J'ai insisté au début de mon propos sur l'importance, par exemple, des sciences cognitives. Je considère que la pensée des spécialistes en sciences cognitives est très importante, et qu'elle peut avoir un effet en fontaine sur l'ensemble du système si elle est réellement prise en compte. Si les enseignants connaissent bien les enjeux cognitifs des enfants et des adolescents, ils seront plus à l'aise pour en parler. De même, je pense que certains philosophes et anthropologues, qui ne sont pas guère étudiés aujourd'hui dans les ÉSPÉ, pourraient avec profit l'être davantage.

Enfin, concernant la formation initiale et continue des professeurs - la formation continue est extrêmement importante - il est crucial d'avoir des praticiens chevronnés dans ces établissements.

Quant au rôle de l'inspection, notre vision du système est totalement infantilisante. Voilà encore un des mots-clefs de l'analyse que je propose. Oui, nous avons un système infantilisant, de bout en bout, et cela va de pair avec les organigrammes en râteau. Il maintient l'enfant dans l'infantilisation, mais aussi les professeurs. D'où les situations paradoxales dans lesquelles nous nous trouvons : notre système est à la fois très protestataire et très hiérarchisé. C'est de l'inverse que nous avons besoin : un système qui responsabilise et qui soit moins protestataire. Voilà le grand mouvement de fond que nous devons enclencher.

Pour y arriver, il faut notamment faire évoluer la fonction d'inspection dans un sens complètement différent. Il faut à la fois évaluer l'établissement en tant que tel, c'est-à-dire évaluer la communauté, l'évolution collective encore plus que l'évolution individuelle, et envisager l'évolution individuelle dans un sens constructif, en se basant sur les réussites de l'élève, non sur une sorte de conformisme attendu de la part de l'enseignant, souvent très artificiel et superficiel, et cela dans le cadre d'une gestion des ressources humaines sans grande marge de manoeuvre. Tout ce système est assez stérile et mérite d'évoluer très sensiblement.

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