Intervention de Pierre N'Gahane

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 26 mars 2015 à 9h00
Audition de M. Pierre N'gahane secrétaire général du comité interministériel de prévention contre la délinquance cipd

Pierre N'Gahane, secrétaire général du Comité interministériel de prévention de la délinquance :

Je vais tenter d'apporter quelques réponses à ces trois séries de questions.

La première portait sur la dégradation du climat scolaire. Pour ce qui concerne la délinquance, nous travaillons avec la mission menée par M. Debarbieux qui est consacrée à ces questions.

Cette mission a en effet vocation à repérer les différentes situations qui se présentent, à analyser de manière très fine les divers comportements et à apporter au ministère de l'éducation nationale des solutions pratiques visant à la mise en oeuvre de politiques et de réponses publiques, dans la sphère de l'éducation nationale et de l'école.

En revanche, ce sujet, c'est tout à fait normal, dépasse l'école : il concerne le bassin de vie dans lequel elle s'inscrit. La relation que nous avons avec cette mission est donc naturelle, puisque le périmètre situé aux abords des écoles relève souvent de la compétence de la collectivité et des politiques publiques de prévention de la délinquance, telles que nous les concevons.

Ces politiques, d'ailleurs, sont éminemment partenariales ; l'éducation nationale n'est pas toute seule ! Nous l'intégrons en effet dans le cadre de l'approche de tranquillité publique définie par le maire, approche que nous soutenons à travers le programme national de prévention de la délinquance.

Pour ce qui nous concerne, nous travaillons sur ces questions surtout aux abords des écoles et des collèges. Quand les problèmes se posent à l'intérieur, l'initiative est davantage prise par l'éducation nationale elle-même, notamment via la mission que j'ai évoquée, qui élabore un certain nombre de propositions en la matière.

Notre relation est donc très fine et se fonde sur cette méthodologie. En matière de prévention de la délinquance, nous restons convaincus que le suivi individualisé permet de régler le problème rencontré par certains jeunes. Un tel dispositif de suivi nous permet de découvrir d'autres difficultés, qui dépassent souvent les seuls aspects relatifs à la délinquance.

J'en viens à la question portant sur la prévention de la radicalisation, qui reste relativement nouvelle dans notre paysage institutionnel. Avant le 29 avril 2014, je vous le rappelle, nous n'avions pas de réponse publique organisée en la matière.

Avant cette date, en effet, quand un proche venait voir les services de police et les éducateurs, notamment les éducateurs de rue, ou quand il se confiait à son psychologue et lui faisait part de sa difficulté à faire face au changement brutal de comportement d'un membre de sa famille - son enfant, sa soeur, son frère -, il recevait pour seule réponse que c'était une affaire religieuse sur laquelle ses interlocuteurs n'étaient donc pas compétents.

Avant cette date, beaucoup de parents se sont heurtés, auprès de nos institutions, à une fin de non-recevoir, tout simplement parce que personne n'avait envisagé qu'il s'agissait là d'un sujet différent de la seule question religieuse. Au regard des principes de laïcité, il semblait hors de question que les différentes institutions s'investissent sur ces sujets extrêmement délicats.

Nous avons néanmoins constaté qu'un nombre grandissant de nos compatriotes partait dans des zones de combat. Il est même arrivé que, dans certains jugements prononçant la séparation d'un couple, le juge aux affaires familiales attribue à égalité la garde d'enfants aux deux parents. Or celui des deux qui était radicalisé profitait de son temps de garde pour partir avec l'enfant en zone de combat.

Nous en sommes donc venus à considérer que nous faisions face à un phénomène spécifique, auquel il était nécessaire d'apporter une réponse. C'est ce que nous avons fait dans le domaine de la prévention.

Il nous a d'abord fallu comprendre le phénomène, savoir le distinguer de la question religieuse. Pour nous, il s'agissait surtout de savoir qui se mettait en danger et qui mettait en danger la collectivité, plutôt que de savoir qui pratiquait plus ou moins bien sa religion.

Il nous a ensuite fallu apporter, et cela très rapidement, une réponse publique. Cela requiert de pouvoir détecter les situations à enjeux ; d'où la création du numéro vert. Ce dernier a en effet été mis en place pour détecter très précisément ceux qui se mettaient en danger ou qui étaient susceptibles de nous mettre en danger. L'idée ici était de permettre aux proches de signaler des situations préoccupantes.

Pendant quelques mois, seuls les très proches, souvent des membres de la famille, se sont inquiétés de certains changements constatés. Ce n'est que progressivement que les acteurs locaux, y compris les agents de l'éducation nationale, se sont approprié cet outil.

Depuis les actes terroristes de janvier dernier, cette plateforme connaît un afflux d'appels et de signalements, qui proviennent davantage des institutions ; auparavant, ils provenaient essentiellement des familles, plutôt issues, d'ailleurs, des classes moyennes et supérieures - les classes populaires n'ont vraiment commencé à appeler la plateforme que très récemment.

Pour la réponse publique, il fallait donc que nous soyons capables de bien discerner les choses. Pour ce qui concerne l'école, bien entendu, nous sommes davantage entrés dans l'analyse des enjeux, dans la mesure où l'on y rencontre des problèmes que nous ne connaissions pas au travers de la seule problématique de la radicalisation.

Il s'agit là en effet d'une dimension particulière : nous parlons d'une idéologie qui peut conduire à la violence. L'école connaît, bien sûr, ce type de problèmes, car elle s'inscrit dans le paysage de son bassin de vie ; elle ne peut pas en être totalement exempte.

L'école est confrontée à d'autres difficultés. Au-delà de la problématique de la radicalisation, elle doit également faire face aux questions de laïcité - la présence religieuse dans la sphère de l'école ne peut pas être négligée - et de respect des normes sociales, tous problèmes qu'elle est tenue de régler. Peut-être est-ce pour cela que vous parliez de sanctuarisation tout à l'heure. À l'école, tout le monde vient avec ses différents attributs. Elle est un lieu de confrontation entre personnes devant apprendre à vivre ensemble afin de créer un socle commun. La difficulté de l'école est donc triple.

Pour notre part, nous ne sommes concernés que par le seul problème de la radicalisation dangereuse. La question religieuse ne nous concerne pas. Nous estimons très clairement qu'un salafiste n'entre pas dans notre sphère de compétences. Il a une approche quiétiste, dont on peut à la limite estimer que la pratique n'est pas en phase avec les valeurs de la République, mais ce n'est pas notre affaire. Notre problème est de savoir à partir de quel moment les personnes nous mettent en danger.

L'école, elle, est confrontée non seulement à la question religieuse, mais aussi à la question culturelle, à la question sociale, à la question du partage de tous ces attributs dans la perspective de la création du socle commun. La question religieuse, la question du partage des normes culturelles et sociales au niveau de l'école est un tout autre enjeu. Le défi que doit relever l'école est à mon avis plus ample que celui auquel nous sommes confrontés et qui concerne la seule radicalisation.

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