Intervention de Pierre N'Gahane

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 26 mars 2015 à 9h00
Audition de M. Pierre N'gahane secrétaire général du comité interministériel de prévention contre la délinquance cipd

Pierre N'Gahane, secrétaire général du Comité interministériel de prévention de la délinquance :

Monsieur le sénateur, parlez-vous de la délinquance ou de la radicalisation ? Pour ma part, je distingue bien les deux phénomènes.

Si le Comité interministériel de prévention de la délinquance a été sollicité sur la problématique de la radicalisation, c'est tout simplement en raison de l'approche qui est la sienne pour régler les problèmes des jeunes.

Le plan national de prévention de la délinquance est organisé en trois grands axes, le premier visant à prévenir la délinquance des jeunes.

Nous avons considéré que, pour prévenir la délinquance des jeunes, trois éléments sont nécessaires. Premièrement, il faut être capable de repérer ce qui pose problème, à savoir les situations. Deuxièmement, il faut pouvoir, de manière partenariale, partager les informations sur les personnes concernées, c'est-à-dire les informations nominatives. Les travailleurs sociaux et les policiers ayant chacun leur déontologie particulière et étant désireux de préserver le secret attaché à leur profession, ce partage a été compliqué à mettre en oeuvre. Troisièmement, il faut apporter une réponse individualisée à chaque jeune car, dans son parcours, il y a toujours quelque chose qui le conduit à cette situation. Il faut accorder une réelle attention aux jeunes et traiter leur situation, le cas échéant, même après qu'ils ont été sanctionnés.

Pour prévenir la récidive, la démarche est à peu près la même. En gros, nous intervenons juste avant que les jeunes ne tombent dans le couloir pénal et carcéral. Si par mésaventure ils y tombent, nous les récupérons un peu avant leur sortie afin d'éviter la rechute. Nous ne travaillons qu'en marge du couloir pénal et carcéral. Telle est notre mission. Nous ne nous situons pas très en amont, ou très en aval. Nous ne faisons pas de prévention primaire, nous ne faisons que de la prévention secondaire et de la prévention tertiaire, mais de l'autre côté du fleuve pénal et carcéral.

Notre méthodologie consiste à prendre en charge les situations individuelles, alors que la stratégie précédente consistait à faire de la prévention situationnelle. On considérait alors que pour améliorer la situation dans un bassin de vie, il fallait au préalable le sécuriser et pour ce faire mettre en place de la vidéosurveillance et des patrouilles de policiers. Cette réponse n'étant pas suffisante, le plan actuel prévoit aussi de mettre en oeuvre une approche individuelle. Le Gouvernement a estimé que cette méthodologie pouvait être appliquée à la prévention de la radicalisation.

Aujourd'hui, 3 000 signalements ont été effectués au niveau national, 1 500 par la plateforme téléphonique et 1 500 par les territoires. Je confirme devant votre commission que le problème n'est pas d'ordre religieux. Quand on examine l'histoire des personnes qui ont fait l'objet d'un signalement, on se rend compte qu'elles chutent après une phase un peu chaotique. La question est de savoir pourquoi elles s'accrochent à la branche de la radicalisation. Elles pourraient s'accrocher au suicide. J'estime d'ailleurs que certaines de celles qui font le choix d'aller en Syrie décident en fait de se suicider, sachant qu'elles ont un risque sur deux de mourir en se rendant dans une zone de combat pour participer à un conflit qui n'est même pas le leur. La question qui se pose est donc de savoir pourquoi elles s'accrochent à cette branche-là, et non à la secte Moon ou à autre chose de comparable. Comme je l'ai dit tout à l'heure, on a l'impression que les personnes sensibles à l'offre faite par des groupes comme Daech y trouvent quelque chose de construit répondant davantage à leur demande. Certaines d'entre elles ont un parcours personnel chaotique, marqué par l'échec et la frustration, mais d'autres sont de toutes jeunes filles jouant de la musique classique et appartenant souvent même à des communautés dont on ne soupçonnerait pas qu'elles puissent avoir des sympathies islamistes - je pense à la communauté juive par exemple. Les parcours, les profils de ces personnes sont donc très différents.

Nous avons eu l'intuition que la meilleure réponse face à ces situations était le sur-mesure. Il faut aller chercher les personnes qui ont décroché là où elles sont, d'abord, pour les reconstruire et, ensuite, peut-être, pour les remettre dans une trajectoire différente et plus sécurisante.

La méthodologie que nous appliquons pour prévenir la radicalisation est la même que celle que nous mettons en oeuvre pour prévenir la délinquance, mais les profils concernés ne sont pas forcément les mêmes. Il est donc très important de savoir de qui on parle.

Avec les jeunes délinquants, la méthode consiste à aller les chercher afin de leur éviter de rebasculer et de leur permettre de trouver un autre chemin que la délinquance. Avec les personnes en désespérance, complètement perdues, qui se sont fourvoyées et dont certaines ont été endoctrinées, on peut proposer le même type d'approche, de nature psychologique souvent. Ça peut marcher. Une fois que ces personnes ont décroché et qu'elles tiennent un discours plus cohérent, après que l'on a déconstruit le discours islamiste, qu'on leur a expliqué que les promesses qu'on leur a fait miroiter - quitter la terre de mécréants pour une terre où coulent le miel et le lait et où l'on trouve des vierges - ne sont que des boniments, il faut leur offrir des perspectives et leur permettre de se reconstruire.

Telle est la réponse publique qui a été organisée par le Gouvernement et que l'on a demandé au Comité interministériel de prévention de la délinquance de piloter à l'échelon national. L'intitulé de ce comité peut prêter à confusion. Je vous confirme que la réponse publique que nous avons organisée n'est pas cultuelle, malgré la nature du phénomène - je parle là de la radicalisation, non de la délinquance -, tout simplement parce que nous sommes convaincus que le problème n'est pas à la base de nature religieuse ou cultuelle.

Aujourd'hui, nous dénombrons environ 3 000 situations de décrochage. Ces chiffres nous permettent d'avoir un peu de recul. L'examen du parcours des personnes concernées montre qu'elles étaient dans une grande fragilité et qu'elles ont décroché à un moment donné.

Ne croyons pas que notre jeunesse soit déconnectée de tels phénomènes. Elle y est au contraire très sensible. Nous devons absolument veiller à ce qu'elle ne bascule pas dans la radicalisation.

La radicalisation n'est pas, c'est notre conviction, un problème religieux. Pour autant, l'école est bien confrontée à des questions religieuses. Au fond, et c'est ce que je disais tout à l'heure, notre tâche est finalement bien plus simple que celle de l'école ! Intellectuellement, la notion de « sanctuarisation » me laisse un peu perplexe. J'ai du mal à concevoir que l'école, chargée de forger le socle de notre nation, puisse se fermer sur elle-même et se protéger de tout ce qui fait notre vie.

Les réponses que nous devons apporter préventivement concernent la laïcité et les normes sociales. Mais c'est sur ce second volet qu'il y a le plus de problèmes. Je pense notamment aux revendications identitaires, en particulier dans nos quartiers populaires ; des gens sont en grande souffrance.

Je tire une conviction de mes entretiens avec un certain nombre de professeurs : si des jeunes ont récemment refusé d'observer une minute de silence, c'est parce que beaucoup ont le sentiment d'être en marge, de ne pas faire partie de la communauté nationale. Il faut y répondre.

Nous devons aussi nous pencher sur la question des ignorances. Un jeune issu d'une famille très croyante à qui l'on ne cesse de répéter qu'il faut honorer le « Très-Haut » ne sait plus comment se situer quand il a le sentiment que ce Très-Haut est blasphémé. C'est aux adultes, à ses parents, à son entourage de lui expliquer qu'il ne s'agit pas forcément d'un délit. On peut parfaitement tolérer des actes que l'on n'approuve pas : cela fait partie de la vie et de la conscience collective.

Si nous ne prenons pas à bras-le-corps la question de l'appartenance à la communauté nationale, nous passerons à côté d'une dimension importante. Il y a une construction collective à réussir. C'est un défi pour l'école, qui est au coeur de cette problématique.

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