Intervention de Loys Bonod

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 26 mars 2015 à 9h00
Audition de M. Loys Bonod professeur de lettres certifié auteur du blog la vie moderne

Loys Bonod, professeur de lettres certifié, auteur du blog La vie moderne :

Il y aurait beaucoup à dire sur le programme PISA, bien entendu, mais je voudrais souligner un facteur que j'ai relevé en lisant très attentivement le rapport 2012 et qui n'est évoqué par personne : la France a l'un des moins bons niveaux de discipline de tous les pays de l'OCDE, et se situe, si je me souviens bien, cinquante-neuvième sur soixante-quatre. Pour cette enquête, il est demandé aux élèves combien de temps le cours met à commencer, si le professeur est écouté, etc. Il en ressort que le climat de discipline est catastrophique en France. Tous les professeurs en ont fait l'expérience, notamment dans les établissements difficiles. Il faut dix minutes pour commencer un cours et n'importe quelle interruption vous empêche de poursuivre pendant dix minutes... Au total, sur une heure en théorie, vous pouvez réellement faire cours une demi-heure, ce qui est terrible. On parle des horaires de cours, mais il faut aussi tenir compte de la pratique.

Dans ces conditions, il faut évidemment s'interroger. Je ne fais pas partie des tenants d'une école du père Fouettard ou du retour aux châtiments corporels. Simplement, nous devons prendre conscience qu'à force d'abandonner les professeurs face à ces classes nous avons créé ce climat et cette ségrégation.

Sur la question du soutien des enseignants, j'ai pu constater, lorsque j'étais en poste dans des établissements difficiles, à quel point c'est un facteur crucial. L'établissement dans lequel je suis resté le plus longtemps avait un chef d'établissement à poigne, qui se manifestait, qui venait dans la cour, qui rencontrait les élèves, qui, tout simplement, était connu de ces derniers.

Il faudrait peut-être s'interroger sur le mode de recrutement de nos chefs d'établissement, même si certains d'entre eux sont parfaitement compétents. J'ai en effet rencontré des chefs d'établissement qui faisaient preuve d'une grande servilité à l'égard de leur hiérarchie et qui étaient, par conséquent, dans le déni.

Lors de l'émeute dont je vous ai déjà parlé, j'ai reçu des coups. La principale du collège m'a interpellé en me disant que je prétendais avoir reçu des coups, mais que je n'avais pas fait de rapport. Ainsi, tant que ce rapport n'était pas fait, c'est comme si les coups n'avaient pas existé ! On attend d'un chef d'établissement qu'il nous fasse confiance et non qu'il nous demande de faire un rapport pour nous croire ! On attend d'un chef d'établissement qu'il ne nous dise pas que la voix de l'élève est l'égale de celle du maître, comme j'ai pu l'entendre à de nombreuses reprises.

Je le répète, le recrutement des chefs d'établissement est une question importante : dans un établissement difficile, la nomination d'un bon chef d'établissement permet déjà d'engager une remise en ordre, de relancer les choses. Il faut lui donner une stabilité, pour qu'il ne soit pas obligé de changer d'établissement au bout de cinq ans, comme c'est le cas actuellement.

Il faut aussi assurer la stabilité des équipes, qui est un des moyens permettant aux professeurs de se sentir soutenus. L'instabilité des équipes est l'un des grands problèmes de l'école actuelle. Pour que les équipes soient stables, il faut les choyer, afin qu'elles se sentent bien dans les établissements difficiles. Il faudrait, par exemple, leur accorder une petite remise de service, de quelques heures, sans exiger quoi que ce soit en contrepartie, comme c'est le cas actuellement où on n'hésite pas à culpabiliser les équipes de ne pas bien faire leur travail. Il faut leur prévoir des emplois du temps aménagés pour qu'elles puissent respirer.

Cette « respiration » est nécessaire pour donner envie aux enseignants de rester dans ces établissements. Ce ne sont pas nécessairement des primes, de l'argent ou des points pour partir qui permettront le maintien des équipes. Je le redis, elles doivent se sentir bien et être choyées. Si j'avais ressenti cela, si je m'étais senti soutenu, si on m'avait valorisé en tant que professeur au lieu de me culpabiliser, je serais sans doute resté dans ces établissements.

Toujours sur la question du soutien des enseignants, j'observe que depuis des années, la discipline telle qu'elle s'établit dans les établissements a été, en quelque sorte, « dégradée ». On a accepté des choses inacceptables. J'ai été dans des établissements où un élève pouvait se voir infliger 70 rapports ! Cela n'a absolument aucun sens ! Je ne dis pas qu'il faut une école punitive, mais les élèves doivent voir les conséquences d'un seul rapport. Les élèves attendent cela et le demandent même, car ils ont besoin de cadres.

Les problèmes de délinquance ou d'incivilités dans les établissements scolaires sont liés au fait qu'on a laissé faire, qu'on a exposé les élèves à des sanctions purement théoriques. Certains continuent à brandir, par exemple, l'exclusion définitive d'un établissement comme une sorte de peine de mort. Mais elle conduit simplement à l'affectation de l'élève dans un autre établissement, ni plus ni moins. L'élève, et ses camarades, doit savoir jusqu'où il peut aller. Il n'est pas nécessaire de prévoir de nouvelles sanctions, il suffit d'appliquer celles qui sont déjà à notre disposition.

Autre élément qui m'a toujours choqué en tant que professeur, c'est le fait que les dossiers scolaires des élèves soient « réinitialisés » chaque année. Le dossier d'un élève qui a brûlé des poubelles en juin redeviendra vierge en septembre. On doit pouvoir juger du dossier scolaire d'un élève sur un temps long. Il n'y a aucune raison que des élèves puissent bénéficier d'une sorte de mansuétude automatique les autorisant à continuer leurs incivilités.

J'en viens à la question de la transmission des valeurs républicaines. Je fais partie de ceux qui pensent que l'école n'a pas vocation à transmettre des valeurs. Elle a vocation à émanciper du milieu familial et d'elle-même et à permettre aux élèves de devenir des êtres autonomes. L'autonomie de pensée, l'esprit critique, la culture : voilà les éléments qui sont à même de donner aux élèves le sentiment de faire partie de la République, d'un pays. Les élèves doivent de nouveau faire confiance à l'école.

Je ne crois pas que des cours de citoyenneté servent à quoi que ce soit, ni même, à la vérité, qu'ils aient le moindre sens.

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