Intervention de Loys Bonod

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 26 mars 2015 à 9h00
Audition de M. Loys Bonod professeur de lettres certifié auteur du blog la vie moderne

Loys Bonod, professeur de lettres certifié, auteur du blog La vie moderne :

Vous jugez contradictoire de ma part de réclamer de la bienveillance à l'égard des professeurs et de railler celle dont il faudrait faire preuve à l'égard des élèves.

J'éprouverais la plus grande honte à ne pas être bienveillant l'égard de mes élèves. Imaginez combien il peut être violent de nous demander que l'école devienne bienveillante : elle l'est, nous sommes bienveillants, nous voulons le bien des élèves qui sont devant nous. Prétendre nous imposer d'être bienveillants, c'est porter atteinte à notre dignité. C'est pour cette raison que ce message est terrifiant : c'est une façon de plus de jeter l'opprobre sur les professeurs de la République.

Quelle organisation me séduirait le plus ? Je suis là pour alerter, observer, constater, je ne suis pas dans un ministère. Je vous ai indiqué de petites pistes. Je rêve d'une école qui ferait bénéficier ses élèves - au moins ceux des zones d'éducation prioritaire - des mêmes horaires, des mêmes conditions d'enseignement que ceux qui avaient cours avant la mise en place du collège unique. Puisque nous n'avons pas les moyens de notre école actuelle, faisons au moins cet effort pour mettre en place des réseaux d'aide spécialisée aux élèves en difficulté (RASED) dans les quartiers déshérités, pour y envoyer des accompagnants, pour que les professeurs y soient plus nombreux dans les classes.

En 1975, un professeur certifié en sixième se voyait confier deux classes. Il pouvait ainsi connaître chacun de ses élèves, les suivre. Aujourd'hui, un professeur certifié se voit confier quatre ou cinq classes. Dès lors, comment voulez-vous qu'il soit possible d'assurer le suivi personnalisé de 100 ou 120 élèves, de répondre à cette injonction de personnalisation ?

S'il fallait définir une priorité pour les ZEP, ce serait de fournir un effort extraordinaire en faveur de l'apprentissage du français et de revenir sur le « moins d'école » qui a cours actuellement.

Avec la semaine de quatre jours, on est passé à vingt-quatre heures de cours hebdomadaires en primaire. Malgré le retour à la semaine de quatre jours et demi, on en est resté à ce chiffre, le plus bas de l'histoire de la République ! Et l'on s'étonne que les élèves ne sachent pas grand-chose ! Malgré tout, on leur impose de l'anglais, de l'histoire de l'art, on leur demande maintenant - c'est la nouvelle lubie - de s'initier au code informatique. Comment voulez-vous que cela fonctionne ?

Je ne suis pas nostalgique, je suis tourné vers demain ; l'école des années trente ou des années cinquante, qui était inégalitaire, sexiste, nationaliste - en tout cas celle des années trente - ne me fait pas du tout envie. Néanmoins, on peut y trouver de bonnes choses : le respect du maître, bien sûr, son autorité, la confiance qu'on pouvait avoir en lui - je ne vois pas pourquoi on devrait y renoncer -, la capacité à enseigner la lecture et l'écriture très rapidement. Jean Zay s'inquiétait que certains élèves ne maîtrisent pas la lecture fluide en sortant du CE2... Aujourd'hui ce sont des élèves de lycée qui ne la maîtrisent pas ! Il faudrait renoncer à ces objectifs parce qu'ils datent ? Il n'y a aucune raison ; ils ont un caractère permanent. L'émancipation commence par l'apprentissage de l'écriture, de la lecture, une lecture qui ne soit pas un ânonnement, qui permette la compréhension.

J'en viens à la détestation de la discipline.

Nous vivons actuellement une réforme du collège qui porte terriblement atteinte aux différentes disciplines : après avoir réduit les heures consacrées à chacune d'entre elles, il s'agit, dans ce projet, de poursuivre dans cette voie. Pensez-vous réellement que j'invente ? Non, je fais un constat, j'observe cette détestation. Faisons confiance aux professeurs !

Par ailleurs, je ne m'oppose pas au travail en équipe. Ce serait absurde. Je dis simplement qu'on ne doit pas l'imposer. Le travail en équipe doit reposer sur la confiance de l'enseignant. Or, tel qu'il est conçu, tel qu'il a déjà été mis en oeuvre par le passé à l'école, il vient d'en haut, il est imposé. On ne fait pas confiance à l'enseignant, on estime qu'il est insuffisant. Faites confiance à l'enseignant ! Un professeur qui est au fait de sa matière est parfaitement capable de faire le lien entre celle-ci et d'autres. La transversalité, il connaît !

Compte tenu des moyens dont dispose actuellement l'école, il n'est pas possible de payer les professeurs pour assurer suffisamment d'heures de cours ; partant, peut-on vraiment dégager du temps pour organiser des ateliers qui vont durer six mois ? Car c'est bien ce qui se prépare avec les pratiques interdisciplinaires : des projets ponctuels d'une heure et demie qui vont dévorer une énergie folle chez les professeurs et les empêcher d'assurer leur travail dans leur propre discipline.

Je vous donne un exemple absurde d'interdisciplinarité. On a demandé à des élèves d'étudier un tableau qui représentait Narcisse se mirant dans l'eau. Au nom de l'interdisciplinarité avec les mathématiques, on leur a demandé d'en observer la symétrie axiale. C'est absurde ! Quel intérêt d'étudier la symétrie axiale d'une image représentant Narcisse ? On veut donner du sens, mais tout cela est factice. Le sens vient des disciplines professées qui sont approfondies et maîtrisées par les élèves. Rien de plus !

S'agissant des inspections, je suis le premier à être attristé par le sort qui est réservé aux enseignants du primaire. Leurs rémunérations sont indignes, ils sont surveillés, obligés de faire des cours en cachette. C'est terrifiant. De fait, il est de plus en plus difficile de les recruter. Les rythmes scolaires les ont dépossédés de leur classe et, au nom de l'interdisciplinarité, on leur demande d'enseigner l'anglais, même s'ils ne le pratiquent pas. Voyez les chiffres : alors que les petits Français sont désormais formés à l'anglais depuis le cours préparatoire - auparavant, l'apprentissage commençait en CM2 -, leur niveau en langue ne fait que baisser. On a voulu avoir le beurre et l'argent du beurre, le français et l'anglais, et finalement on n'a rien !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion