Les plus importants ne sont pas là.
La France est dotée d'un outil législatif puissant, l'article 209 B du code général des impôts, qui lui permet de taxer immédiatement les groupes français lorsqu'ils réalisent des profits importants dans des pays où ils n'ont pas d'activité. Les concurrents de Sanofi-Aventis sont des groupes américains, suisses ou anglais. Les premiers ont des cash boxes dans les Caraïbes ou dans certaines îles d'Asie. Leur régime fiscal le permet : il ne comporte pas de disposition comparable à notre article 209 B du code général des impôts. Nous pensons que les États-Unis souhaiteront conserver leur régime, qui permet à leurs entreprises de stocker à bas coût près de 2 000 milliards de dollars. Puisqu'elles ne peuvent rapatrier ces sommes, elles les utilisent pour mener à l'étranger des politiques d'acquisition très agressives, face auxquelles nous sommes démunis. Ainsi, la concurrence fiscale entrave la concurrence ! Nous ne souhaitons donc pas le statu quo. Mais il importe que les États-Unis, la Chine, l'Inde ou le Brésil appliquent les nouveaux principes, notamment de transparence, en même temps que nous.
Le projet BEPS vise à obliger les entreprises à déclarer à l'administration fiscale la répartition géographique de leurs profits - comme nous le faisons déjà lors des contrôles sur les prix de transferts. Certains proposent même d'aller plus loin en obligeant les entreprises à publier cette information dans leurs rapports annuels, ce qui la rendra accessible au monde entier. Après tout, pourquoi pas ? Nous n'avons rien à cacher. Mais si nous sommes les seuls à le faire, nos concurrents en tireront avantage. Il n'est pas toujours bon d'être le premier ! Certains pays s'opposent au reporting pays par pays. Voyez la lettre du Congrès américain à l'administration fiscale américaine, s'étonnant de la position prise par le fisc américain sur la question. La France doit-elle transmettre ces informations sans réciprocité ? Nous sommes inquiets, même si l'on nous assure que ce reporting n'est pas fait pour conduire à des redressements, mais simplement pour détecter des profils de risque.
Déjà, certains pays, notamment parmi les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), s'appuient sur les principes BEPS dans leurs contrôles fiscaux. Ces pays se plaignent du fait que les entreprises ne laissent pas assez de profits taxables dans les pays où elles vendent leurs produits. S'ils décident d'agir pour que nous changions nos prix de transferts, nous qui exportons depuis la France, l'Allemagne et les États-Unis, devrons baisser ces prix pour éviter la double imposition. Nous nous y préparons déjà. Ces pays expliquent que les incorporels ne valent rien sans marchés solvables. Les exemples abondent déjà, comme ceux de BMW ou du lait breton en Chine. Même le Canada nous a redressés sur une répartition de profits.
Vu de l'extérieur, on pourrait croire qu'il suffit, comme le prévoit BEPS, de répartir les profits entre pays en fonction de quelques critères. Mais c'est une vision naïve. Cela suppose l'accord de tous. Actuellement, pour chasser l'abus, on attrape tout le monde ! Il faudrait étudier l'impact des propositions avancées. Par exemple, les principes BEPS permettraient sans doute de mieux taxer les GAFA, mais a-t-on mesuré les pertes de recettes fiscales qu'ils occasionneraient pour des entreprises telles que Sanofi-Aventis ou LVMH ? On ne peut pas à la fois prétendre face à Apple que c'est le marché des consommateurs qui compte, et tenir un discours inverse à la Chine ou au Brésil... Nous participons activement aux discussions sur le projet BEPS. Dans sa mise en oeuvre, il faudra ne pas se hâter et bien veiller à ce que nos partenaires avancent au même rythme.