Intervention de Laurence de Cock

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 7 mai 2015 à 9h00
Audition de Mme Laurence de Cock professeure d'histoire-géographie chercheuse en sciences de l'éducation membre du collectif aggiornamento hist-geo

Laurence de Cock, chercheuse en sciences de l'éducation, membre du collectif aggiornamento hist-géo :

professeure d'histoire-géographie, chercheuse en sciences de l'éducation, membre du collectif aggiornamento hist-géo. - Le diagnostic que je vous présenterai d'abord est celui du collectif aggiornamento hist-géo. Nous sommes particulièrement surpris, non par l'injonction faite à l'école d'accompagner le recueillement de la société à la suite des attentats de janvier, mais par le procès qui lui a été fait immédiatement après sa prétendue défaillance ; il aurait été possible tout autant de pointer sa réussite : n'avait-elle pas contribué à faire descendre des millions de gens dans la rue le 11 janvier.

Le collectif n'est pas en accord avec la grille d'interprétation qui pose la laïcité comme un préalable à la sortie de crise. Nous avons fait remonter une soixantaine de témoignages qui font entrer dans cette boîte noire qu'est une classe ; s'ils font état de très graves difficultés, aucune n'est inhérente à la laïcité et au rapport avec la République : ils révélaient en revanche l'angoisse des enfants, d'abord directement liée aux attentats, puis l'angoisse d'être considérés comme responsables, voire comme les continuateurs potentiels des auteurs.

Nous constatons une extériorisation des élèves des quartiers populaires vis-à-vis de la chose publique, du politique : moins l'indifférence que la défiance, une méfiance qui sert de tremplin aux attitudes conspirationnistes. Bien au-delà de la laïcité, le défi est d'inscrire ces futurs citoyens dans le temps politique, dans le temps de l'histoire.

Plus personnellement, maintenant, consciente du blocage de l'ascenseur social que constituait l'école, je suis loin de plaider pour le maintien de l'existant. Mais les pistes que je vous proposerai marquent un pas de côté par rapport à ce que vous avez entendu jusqu'à présent.

La première piste, la désaffiliation, part du constat que les adolescents sont pris dans un système de multi-appartenance, qui confine au multi-emprisonnement. L'école, l'enseignement de l'histoire doivent inventer un accompagnement du processus d'émancipation, c'est-à-dire de l'apprentissage de la liberté de penser. Cela passe par la prise de conscience que les élèves doivent être des acteurs d'aujourd'hui s'ils doivent devenir des acteurs demain.

Je ne souscris pas au diagnostic d'une perte de repères républicains ; je crois à une perte des repères politiques et historiques - pas seulement des grandes dates et des grands personnages, parce que les prendre isolément ne ferait que valider leur extériorisation, mais plutôt l'apprentissage d'un raisonnement par lequel les élèves se pensent comme acteurs inscrits dans le temps. Il faut pour cela que l'histoire leur montre que ce sont des hommes et des femmes ordinaires qui la font avancer, et pas seulement les grands personnages validées par l'historiographie officielle.

Monsieur Grosperrin, lors de précédentes auditions, vous avez souvent regretté la disparition de l'enseignement de la nation et de la patrie. La notion de patrie n'est certes plus travaillée ; mais ce n'est pas le cas de la nation ; nous ne l'envisageons cependant plus sous l'angle d'une injonction à l'appartenance, mais comme une construction permanente par des hommes et des femmes qui apportent leur héritage et leur identité. Une nation non pas toujours-déjà-là, mais toujours-en-construction.

La seconde piste est la pédagogie de la critique, cette gageure de demain. Sans une didactique de l'esprit critique, nous laissons prise à des analyses qui se résument à dire : « non, c'est faux ». Sans cet apprentissage d'une construction raisonnée de l'administration de la preuve, l'école ne sera plus qu'un lieu parmi d'autre de l'expression du relativisme.

Il faut certes enseigner la laïcité, mais d'un point de vue historique : enseigner son apparition dans le conflit - Jean Baubérot vous l'a mieux expliqué que je ne le ferais. La laïcité a été contestée dès le début et a fait l'objet de multiples accommodements face aux identités régionales. Il faut enseigner cet opérateur politique, enseigner l'agir-ensemble et non seulement le vivre-ensemble ; non seulement la notion de République, mais aussi son pendant, la notion de démocratie.

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