Intervention de Daniel Keller

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 19 mars 2015 à 9h00
Audition de M. Daniel Keller grand maître du grand orient de france

Daniel Keller, Grand maître du Grand Orient de France :

Merci de votre invitation. Je préside une obédience maçonnique de plus de 50 000 membres, parmi lesquels de nombreux enseignants et acteurs du monde éducatif et universitaire. Nous considérons l'école publique comme le pilier et le creuset de la République : c'est en effet à l'école qu'elle se construit et se perpétue. C'est là aussi que doit être mis en pratique le principe de laïcité. Pour de nombreux maçons, la laïcité est un principe d'organisation de la société et non une conviction qui s'opposerait à d'autres croyances. Ce principe se traduit par la séparation des Églises et de l'État, par une organisation des services publics imposant la neutralité confessionnelle à ses agents et, à l'école, à ses usagers. C'est en laissant les signes d'appartenance confessionnelle à la porte de l'école que nous la rendrons apte à transmettre des savoirs et à former des citoyens. Or, 15 % des élèves quittent l'enseignement primaire en ne sachant ni lire ni écrire : il est urgent d'agir, autrement que par des débats sur la réforme de la notation scolaire... Il est vrai qu'en tant que maçons nous déclarons tous ne savoir « ni lire ni écrire », mais c'est au sens symbolique...

Il est donc urgent de restaurer l'éthique républicaine de l'école publique. Bien entendu, nous n'avons pas d'arrière-pensées nostalgiques : il ne s'agit pas de comparer nos enseignants aux « hussards noirs de la République » d'il y a plus d'un siècle. Mais nous devons armer intellectuellement le corps enseignant en le formant aux enjeux de la laïcité et à son histoire, laquelle passe par de grandes lois qui structurent notre République, afin qu'il puisse les transmettre. La séparation du politique et du religieux, qui fonde la laïcité, est une spécificité française : le président des États-Unis prête serment sur la Bible et au Royaume-Uni, qui n'est pas une République, mais une démocratie où il fait bon vivre, le chef de l'État est aussi chef de l'Église. La laïcité nous est propre : elle résulte de notre Histoire depuis la Révolution et tout au long du XIXe siècle. Elle est davantage un contenant qu'un contenu. Il faut donc former les professeurs à enseigner ses enjeux, et à l'appliquer en milieu scolaire.

Le Grand Orient de France a pris position contre le port du voile à l'université. Certes, les étudiants sont majeurs et les universités doivent continuer s'administrer librement. Mais l'interdiction du voile s'applique déjà, dans les lycées, aux élèves des classes préparatoires, qui relèvent de l'enseignement supérieur, et aux élèves majeurs de terminale. La question se pose donc. Loin de revêtir la moindre dimension punitive, la laïcité doit constituer un facteur d'émancipation. Si les espaces de cours, à la différence d'espaces commerciaux par exemple, ne s'accommodent pas de signes religieux, c'est parce que l'université n'est pas un supermarché, mais un temple du savoir, ou triomphe la règle du libre examen, où s'épanouit l'esprit critique : toute manifestation renvoyant à un dogme - quel qu'il soit - y est donc malvenue. Nous sommes inquiets d'apprendre qu'un pays aussi proche de nous que l'Espagne aurait rétabli, au titre de l'enseignement religieux, des cours sur le créationnisme. Gardons-nous d'emprunter cette voie !

La reviviscence de certaines expressions religieuses - aujourd'hui l'islam, demain, le christianisme évangélique ? - rend notre société de plus en plus hétérogène. Il ne s'agit pas de stigmatiser une religion en particulier. Nous devons réaffirmer notre modèle de civilisation, nullement dominateur, qui repose sur des principes universels, issus de la Déclaration des droits de l'homme. La liberté d'expression en est un. Pour comprendre qu'une caricature n'a rien de blasphématoire et ne cherche pas à blesser, il faut avoir parcouru un processus complexe de civilisation. À nous de défendre notre modèle, qui a de beaux jours devant lui, à en juger par la situation des droits de l'homme dans d'autres pays.

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