Le champ « santé-environnement » constitue un domaine prioritaire pour les travaux d'évaluation des risques de l'Anses, avec notamment le défi du développement des maladies chroniques dont le facteur environnemental mérite d'être mieux documenté.
Parmi les sujets investigués, l'air, qu'il s'agisse de l'air extérieur ou de celui des environnements clos, est susceptible d'être pollué par des substances chimiques, des bio-contaminants ou des particules et fibres pouvant nuire à la santé. Ces polluants peuvent être d'origine naturelle - pollens, émissions des volcans -, ou être liés à l'activité humaine - particules issues des activités industrielles, de l'agriculture, du transport routier, ou encore issus de composés organiques volatils émis par les matériaux de construction. Pour l'air intérieur, la nature des polluants dépend notamment des caractéristiques du bâti, des activités et des comportements individuels. L'Anses travaille tant sur l'air intérieur qu'extérieur pour évaluer les risques liés aux polluants présents dans ces environnements.
La problématique de la pollution atmosphérique est une problématique environnementale d'ampleur dans le sens où elle concerne toute la population et où elle est sans frontières, multi-polluants et multi-sources. Elle est aussi à l'origine d'effets sur la santé aigus et chroniques. Elle est enfin liée à des émissions directes dans l'atmosphère ainsi qu'à des phénomènes complexes de chimie et photochimie atmosphériques rendant possible la formation de substances secondaires nocives.
Au sein de l'Anses, une entité dédiée se consacre à l'évaluation des risques liés à l'exposition aux milieux aériens, que ce soit en matière de pollution atmosphérique et de pollution de l'air intérieur, appuyée par un collectif d'experts de vingt-deux scientifiques extérieurs, sélectionnés par appel à candidature ouvert sur des critères de compétence scientifique, d'indépendance et de pluridisciplinarité.
La connaissance des effets sanitaires et environnementaux de la pollution de l'air ambiant par un grand nombre de polluants chimiques est bien établie depuis de nombreuses années.
Au cours des années 1990, l'état des connaissances était déjà suffisant pour alimenter le débat alors en vigueur dans le contexte de la préparation de la loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie (LAURE) de 1996. En France, c'est avec le programme Erpurs (Évaluation des risques de la pollution urbaine sur la santé), mis en place par l'Observatoire de santé régional Ile-de-France (ORS) en 1990, que des premiers résultats, publiés en 1994, montrent qu'il existe des liens entre niveaux de pollution et état de santé de la population. Ces résultats sont comparables à ceux alors retrouvés dans la littérature, à savoir une augmentation des problèmes de santé en relation avec l'accroissement des niveaux de particules.
La loi sur l'air du 30 décembre 1996 transpose en droit français la directive communautaire 96/62/CE qui introduit un cadre pour le développement de la législation communautaire relative à la surveillance de la qualité de l'air. Elle impose à la Commission de soumettre des propositions de fixation de valeurs limites réglementaires (en moyenne annuelle, voire en période de pic) pour le dioxyde de souffre (SO2), le dioxyde d'azote (NO2), les particules, l'ozone (O3), le benzène (C6H6), le monoxyde de carbone (CO), ou encore les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), l'arsenic (As), le cadmium (Cd), le mercure (Hg) et le Nickel (Ni).
Cette directive a été à l'origine de quatre directives filles fixant des valeurs limites réglementaires pour ces différents polluants. En 2008, la législation européenne a été simplifiée et clarifiée en matière de qualité de l'air avec la directive unique 2008/50/CE du 21 mai 2008 qui fusionne dans un seul acte la directive-cadre de 1996, trois des directives filles (99/30/CE, 2000/69/CE et 2002/3/CE) et qui prévoit des mesures relatives aux particules fines (PM2,5), la dernière directive fille n° 2004/107/CE relative à la fixation de valeurs limites pour les HAP, l'As, le Cd, le Hg et le Ni restant en vigueur.
Ces textes sont encore largement d'actualité aujourd'hui. Les valeurs de référence - normes - associées à ces réglementations européennes qui s'imposent aux États membres résultent de travaux portés par l'OMS et disposent donc de fondements sanitaires robustes. Il est ainsi clairement établi aujourd'hui que le dépassement des valeurs limites fixées réglementairement présente des risques sanitaires avérés, sachant que les études épidémiologiques menées au cours des dernières années ont permis d'objectiver les risques sanitaires, même à des concentrations de polluants inférieures aux valeurs limites actuellement établies par l'Union européenne : à court terme, ce sont des hospitalisations pour causes cardiovasculaires et respiratoires, et des décès prématurés et à long terme ; les études indiquant des augmentations du risque de développer un cancer du poumon ou de maladies cardio-vasculaires ou respiratoires (infarctus du myocarde, asthme et bronchopathies).
Aujourd'hui, les études les plus récentes qui font référence sur les impacts sanitaires de la pollution chimique de l'air ambiant sont les suivantes :
- d'une part, l'étude européenne « Aphekom » pilotée par l'Institut de veille sanitaire (Invs) sur la période 2008-2011 et publiée en 2012. Ce projet a évalué l'impact sur la santé de la pollution de l'air dans 25 villes européennes, représentant 39 millions d'habitants et conclut que le dépassement de la valeur guide de l'OMS se traduit chaque année par 19 000 décès prématurés (dont 1 500 pour les neuf villes françaises concernées), dont 15 000 pour cause cardiovasculaire, et par 31,5 milliards d'euros en dépenses de santé et coûts associés ;
- d'autre part, la revue de l'OMS Europe de 2013, Review of Evidence on Health Aspects of Air pollution, dite « Revihaap ». Cette revue avait pour objectif d'appuyer la révision de la législation sur la qualité de l'air ambiant en Europe. Les 26 questions posées par la Commission européenne concernaient un certain nombre de polluants incluant les particules (PM10 et PM2,5 dites particules fines), l'ozone (O3), le dioxyde d'azote (NO2), le dioxyde de soufre (SO2), des métaux (arsenic, plomb, dadmium, mercure, nickel), les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). Cette revue conclut clairement pour les particules à un lien de causalité renforcé entre l'exposition aux PM2,5 et la mortalité et la morbidité cardiovasculaire et respiratoire. Les études tendent à montrer des augmentations du risque de développer un cancer du poumon ou une maladie cardio-pulmonaire (infarctus du myocarde, broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO)) à la suite d'une exposition à long terme à la pollution atmosphérique. Ces effets sont a priori plus importants que ceux à court terme. L'impact en termes de santé publique est donc nettement identifiable : décès prématurés, qualité et espérance de vie nettement réduites.
Cette revue mentionne des études reliant l'exposition à long terme aux particules fines et des effets incluant l'athérosclérose, des issues indésirables de la grossesse, comme les faibles poids de naissance et les naissances prématurées, ainsi que des pathologies respiratoires chez l'enfant, infections respiratoires et asthme notamment. Elle mentionne également des études récentes indiquant un lien possible entre l'exposition à long terme aux particules fines, une atteinte du neuro-développement et des fonctions cognitives, et le développement du diabète. En outre, elle confirme l'absence de seuil en deçà duquel les particules n'auraient pas d'effet.
- enfin, je rappellerai l'expertise du Centre international de recherche sur le cancer (Circ) en 2013 qui classe la pollution de l'air extérieur comme cancérogène pour l'homme, ainsi que les particules en suspension composant cette pollution dans le groupe 1, soit risque avéré. Le Circ conclut notamment au fait qu'une exposition à la pollution atmosphérique provoque le cancer du poumon et note une association positive avec un risque accru de cancer de la vessie. Par ailleurs, en juin 2012, le Circ a classé les effluents d'échappement des moteurs diesel comme cancérogènes pour l'Homme (groupe 1) et les effluents d'échappement des moteurs à essence comme possiblement cancérogènes pour l'Homme (groupe 2B). Il a également conclu à un niveau de preuve suffisant de l'expérimentation animale de la cancérogénicité des particules composant les effluents d'échappement des moteurs diesel.
L'Agence a rendu, à l'époque de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale (Afsse) en 2004, puis de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset) en 2009, un rapport sur l'impact sanitaire de la pollution atmosphérique urbaine ainsi qu'une synthèse des éléments sanitaires en vue d'un appui à l'élaboration de seuils d'information et d'alerte du public pour les particules dans l'air ambiant. Les conclusions du rapport de 2009 étaient que les effets à court terme des particules méritent certes une attention mais qu'au vu des études sur le sujet, la priorité doit être donnée aux effets à long terme, et qu'une politique visant, je cite, à « l'abaissement de la valeur moyenne de la concentration particulaire sur le long terme amènerait à un bénéfice sanitaire plus important qu'une stratégie de gestion focalisée sur les pics journaliers de pollution particulaire ». Ceci reste vrai aujourd'hui. Au-delà, de la question de la gestion des alertes et des pics, c'est donc la lutte contre la pollution chronique, tous les jours, toute l'année, qui doit être privilégiée par la mise en place de mesures permanentes de maîtrise des émissions.
Concernant la pollution atmosphérique, l'enjeu aujourd'hui se situe en termes de gestion des risques, dans la mesure où l'état des connaissances scientifiques est bien établi pour un très grand nombre de polluants chimiques. L'Anses a toutefois deux travaux en cours qui sont d'importance. Le premier porte sur l'état des connaissances de la physico-chimie des particules de l'air ambiant : le lien entre particules PM10 et PM2,5 et effets sanitaires est établi, mais on ne connait pas de façon précise les effets sanitaires associés à la composition et à la granulométrie de l'aérosol particulaire. Ces éléments peuvent être très utiles pour mieux cibler les mesures de réduction relatives aux sources d'émission de particules. Par ailleurs, concernant la source « trafic routier », il est prévu : de définir l'évolution rétrospective et prospective des émissions de particules selon le parc roulant français et en fonction de cycles se rapprochant d'usages réels en considérant différents scénarios ; d'identifier les impacts différenciés des technologies de dépollution sur les émissions de particules par la source « trafic ». Ces éléments pourront être mis en regard avec les données d'émissions disponibles concernant les autres sources de particules.
Le second travail concerne la réflexion sur l'extension de la surveillance nationale aux pesticides dans l'air ambiant. Il s'agit d'une mesure du nouveau plan national santé environnement (PNSE) 2015-2019 qui va conduire l'Anses à identifier une liste prioritaire de 10 à 20 substances pesticides à surveiller et à émettre des recommandations en termes de modalités de surveillance afin que celle-ci puisse être utile à terme à des exercices d'évaluation des risques pour la santé. Ces travaux font suite à l'état des lieux des connaissances quant à la présence de résidus de pesticides dans le compartiment aérien et les environnements intérieurs qu'elle avait lancé en 2008 dans le cadre de l'Observatoire des résidus de pesticides (ORP). Ces travaux avaient abouti, en octobre 2010, à la publication d'un rapport de « Recommandations et perspectives pour une surveillance nationale de la contamination de l'air par les pesticides ».
Ces dernières années, l'Agence s'est principalement mobilisée sur la qualité de l'air intérieur, car l'état des connaissances était beaucoup moins développé, avec des enjeux sanitaires également importants. A la différence de la pollution de l'air extérieur, plus médiatisée, celle de l'air intérieur est restée relativement méconnue jusqu'au début des années 2000. Pourtant, nous passons, en climat tempéré, en moyenne 85 % de notre temps dans des environnements clos, et une majorité de ce temps dans l'habitat. L'habitat, les locaux de travail ou destinés à recevoir du public, les moyens de transport, sont des lieux dans lesquels nous pouvons être exposés à de nombreux polluants. Les écoles représentent le second environnement où les enfants passent le plus de temps après les logements et il s'agit d'une population sensible. La qualité de l'air respiré dans ces environnements peut avoir des effets sur le confort et la santé, depuis la simple gêne - gêne olfactive, somnolence, irritation des yeux et de la peau - jusqu'à l'apparition ou l'aggravation de pathologies graves que sont les allergies respiratoires, l'asthme, le cancer, ou les intoxications mortelles ou invalidantes.
Les principaux polluants de l'air intérieur sont en effet des polluants chimiques - composés organiques volatils (COV), oxydes d'azote (NOx), monoxyde de carbone (CO), hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), phtalates -, des bio-contaminants - moisissures, allergènes domestiques provenant d'acariens, d'animaux domestiques et de blattes, pollens - des polluants physiques - radon, particules et fibres, amiante, fibres minérales artificielles. La présence de ces polluants est issue de différentes sources d'émission : constituants du bâtiment, du mobilier, appareils de combustion - chaudières, poêles, chauffe-eau -, transfert de la pollution extérieure - air ambiant, sols contaminés - mais dépend également des modes de vie, comme par exemple le tabagisme ou la présence d'animaux domestiques.
L'Agence travaille depuis sa création sur les risques sanitaires liés à la pollution de l'air intérieur. Ces travaux se sont déployés dans un contexte pionnier au niveau national et international. Parmi les principaux et emblématiques travaux de l'Anses, il est possible de citer, d'une part, l'élaboration, depuis 2004, de valeurs guides de qualité d'air intérieur. Elles sont définies comme des concentrations dans l'air en dessous desquelles aucun effet sanitaire n'est attendu pour la population générale. Onze polluants d'intérêt ont fait l'objet d'une expertise de l'Anses à ce jour, parmi lesquels le formaldéhyde, le CO, le benzène ou encore les particules. D'autre part, l'expertise de 2009 relative à un protocole visant à caractériser les émissions des produits de construction et de décoration. Ces travaux sont à la base des dispositifs d'étiquetage rendus obligatoires dans le cadre des lois Grenelle, pour les produits de construction et de décoration. Ils permettent d'éclairer le choix du consommateur sur l'émission de ces produits. Par ailleurs, et toujours dans le cadre des lois Grenelle, l'Agence poursuit actuellement son travail sur les produits d'ameublement. Elle publiera d'ici l'été 2015 le résultat d'une saisine visant à proposer une liste restreinte de substances qui pourraient faire l'objet d'un étiquetage, avec des propositions de seuils sanitaires pour les meubles les moins émissifs.
Enfin, l'Anses a conduit de nombreuses expertises sur les substances et fibres présentes dans les environnements intérieurs - formaldéhyde, perturbateurs endocriniens, particules, pollens, amiante - ainsi que sur les sources présentes (tapis puzzle, produits de consommation).
A noter également différents travaux de l'Agence pour évaluer plus spécifiquement les risques pour les travailleurs travaillant dans des environnements particulièrement pollués : les égoutiers, ceux qui travaillent dans les parkings souterrains, ou encore dans les enceintes ferroviaires souterraines.
Pour finir cette revue synthétique des travaux et recommandations de l'Agence, il est important de souligner le fait que les travaux ont essentiellement porté sur les contaminants chimiques de l'air. Or, il serait pertinent de définir également un cadre pour la surveillance biologique de l'air. L'Agence a travaillé sur l'impact sanitaire lié à l'exposition aux pollens, avec de possibles interactions entre pollens et polluants chimiques, sur la prise en compte des conséquences du changement climatique, et sur les liens entre allergies respiratoires et alimentaires. Elle travaille également sur les agents présents en milieu intérieur, notamment les moisissures.
En complément, l'Agence a réalisé une étude exploratoire du coût socioéconomique des polluants de l'air intérieur, en lien avec un professeur de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et l'Observatoire de la qualité de l'air intérieur (OQAI). S'il y a plusieurs études de ce type sur la pollution atmosphérique, il s'agit de la première sur les polluants de l'air intérieur au niveau français. Ce travail, qui reste à ce stade exploratoire, vise à approcher les coûts attribuables par an à une exposition à six polluants de l'air intérieur. Il aboutit à un coût pour la collectivité de l'ordre de 19 milliards d'euros par an.
Enfin, l'Agence mène depuis plusieurs années un travail de fond sur la question de la toxicité des substances chimiques, et notamment sur le caractère de perturbateur endocrinien de certaines d'entre elles. Si ces substances ne sont pas principalement émises par les émetteurs majoritaires en matière de pollution atmosphérique - transports, sources fixes industrielles, agriculture -, elles sont néanmoins potentiellement émises par différents produits de consommation et susceptibles d'exposer la population par l'air ambiant.
Les travaux de l'Agence ont donc vocation à conduire à des recommandations visant à limiter les expositions de la population à certaines de ces substances, susceptibles d'effets à des concentrations parfois très faibles.