Intervention de Nils-Axel Braathen

Commission d'enquête coût économique et financier de la pollution de l'air — Réunion du 19 mars 2015 à 9h30
Audition de Mme Nathalie Girouard chef de la division des performances environnementales et de l'environnement et de M. Nils-Axel Braathen administrateur principal à la direction de l'environnement de l'organisation de coopération et de développement économiques ocde

Nils-Axel Braathen :

Notre livre, publié en français en octobre dernier, s'appuie sur les données épidémiologiques fournies par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et l'Institute for Health Metrics and Evaluation basé à Seattle, aux Etats-Unis. A partir de ces données, l'OCDE a précisé la « valeur d'une vie statistique ».

Ces données relatives au nombre de décès résultant de la pollution extérieure ont évolué de manière significative durant ces dix dernières années. En 2000, l'OMS faisait état de huit cent mille décès résultant de ce phénomène, puis l'OCDE a réévalué ce chiffre en 2010 à 1,4 million, tandis que l'Institute for Health Metrics and Evaluation, la même année, estimait ce chiffre à 3,2 millions de décès causés par les particules fines auxquels s'ajoutent 200 000 décès causés par l'ozone. L'OMS a, quant à elle et pour l'année 2012, évalué jusqu'à 3,7 millions le nombre total de décès dus à la pollution atmosphérique. Une telle croissance, doit-on souligner, résulte d'une qualité accrue des données disponibles qui a permis d'affiner les analyses.

D'ailleurs, de tels résultats présentent de réelles disparités entre les pays. En effet, si l'on constate, entre 2005 et 2010, une légère diminution du nombre de morts dans les pays de l'OCDE, les décès dus à la pollution de l'air extérieur enregistrent une hausse dans le reste du monde, en particulier en Chine et en Inde. Des variations très significatives se retrouvent au sein des pays membres de l'OCDE ; les pays qui présentent le moins de décès présentent des caractéristiques géographiques, comme une façade maritime par exemple, qui favorisent une bonne qualité de l'air. Les pays qui appartenaient à l'ancien bloc de l'Est connaissent, en revanche, un nombre de décès plus important, du fait notamment des anciens systèmes de chauffage.

Certes, la réduction de la mortalité due à la pollution de l'air extérieur entre 2005 et 2010 a été plus significative parmi les pays de l'OCDE, en raison notamment de la politique mise en oeuvre par l'Union européenne. Cependant, la réduction enregistrée en France, durant cette même période, figure parmi les performances les plus basses en Europe continentale.

Dès lors, la mortalité a baissé de 4 % entre 2005 et 2010 dans les pays de l'OCDE. Elle a ainsi baissé dans 20 pays et augmenté dans 14. Dans les autres parties du monde, le nombre de victimes augmente concomitamment. Ainsi, en Chine en 2010, la pollution de l'air a provoqué 1,3 million de morts, soit 5 % de plus qu'en 2005 et, durant la même période, elle a entraîné la mort de 700 000 personnes en Inde, soit 12 % de plus qu'en 2005.

L'ensemble de ces données à caractère épidémiologique ne relève pas de l'expertise de l'OCDE. La contribution de notre organisation à ce débat débute réellement avec la publication, en 2012, d'une nouvelle méthode pour calculer la valeur d'une vie statistique en fonction des pays dans notre rapport intitulé « La valorisation du risque de mortalité dans les politiques de l'environnement, de la santé et des transports ».

Il importe, avant tout, de préciser ce qu'on entend par la notion de « coût » dans le domaine économique. Si la valeur désigne ce qui représente un intérêt pour un individu donné, comme la consommation, le loisir, la santé ou encore la vie, le coût correspond à la perte de ces éléments constitutifs de la valeur. Ainsi, le coût de la mortalité est la « valeur d'une vie statistique » ou, en d'autres termes, la consommation à laquelle on est prêt à renoncer pour réduire le risque de mourir prématurément. Le coût de la morbidité est plus difficile à établir. Il impose des calculs multiples, qui ne se limitent pas à la santé mais concernent également les pertes de consommation et de loisir. Si la méthode pour calculer ce coût doit encore être élaborée, il est estimé à environ 10 % du coût de la mortalité.

La valeur statistique d'une vie varie ainsi selon les pays et reflète le niveau de vie des pays pour lesquelles elle est calculée (en effet, plus le pays est riche, plus la valeur de la vie statistique est élevée). Elle s'élève, en France, à quelque 3,2 millions de dollars USD en 2010. Cette valeur est plus haute dans les pays de l'OCDE qu'en Chine et en Inde. Dans les pays où le niveau de vie est plus bas, il est moins possible de renoncer à certains biens pour réduire le risque. Toutefois, un tel écart se réduit : les PIB par habitant de la Chine et de l'Inde ont respectivement augmenté de 65 % et de 40 % entre 2005 et 2010.

Dès lors, les calculs de valeur d'une vie statistique établissent le coût économique des décès liés à la pollution de l'air dans les pays de l'OCDE à presque 1 600 milliards de dollars USD en 2010. Avec 10 % de supplément pour la morbidité, le nombre atteint 1 700 milliards de dollars USD. La part attribuable au transport routier revient à 900 milliards de dollars USD. En outre, le coût économique des morts liées à la pollution de l'air s'élève à 1 400 milliards de dollars en Chine et à 500 milliards de dollars USD en Inde. Certes, le transport routier représente moins de 50 % en Chine et en Inde, mais sa part demeure tout de même conséquente.

Notre estimation ne concerne pas l'impact sur le PIB. Mais on peut souligner que le coût de la mortalité liée à la pollution de l'air représente en moyenne l'équivalent, de 4 % du PIB pour l'ensemble des pays de l'OCDE -3,4 % pour la France.

Le transport routier demeure une source importante de la pollution. Ainsi, dans les pays de l'OCDE, on attribue en moyenne 50 % de la pollution de l'air extérieur au transport. La tendance demeure à la baisse dans la plupart des pays de l'OCDE, mais le nombre croissant de véhicules à la motorisation diesel menace cette tendance. Ainsi, la quasi-totalité des pays membres de l'OCDE, à l'exception notable des Etats situés sur le continent américain, appliquent des taxes plus faibles pour le diesel, ce qui incite à sa diffusion. C'est pourquoi la part du diesel dans les nouvelles immatriculations demeure très élevée dans les voitures de tourisme et la France possède l'un des taux de diésélisation les plus élevés.

Notre rapport se termine avec des préconisations de politique publique. Ainsi, concernant la pollution de l'air en général, il est temps de redéfinir les politiques en faveur du diesel. En effet, les bénéfices d'une réduction de la pollution sont plus élevés que les coûts des mesures nécessaires pour l'obtenir.

L'OCDE conduit actuellement une série de travaux sur le coût macro-économique de la pollution de l'air. Ainsi, le Centre de développement de notre organisation a réalisé des évaluations similaires pour l'Asie du Sud-Est. L'OMS Europe et l'OCDE préparent également ensemble des évaluations pour les 53 pays membres de l'OMS Europe. En outre, les travaux préparatoires se poursuivent pour estimer les coûts économiques de la morbidité, du même type que la valeur d'une vie statistique pour la mortalité. Et l'année 2015-2016 devrait être marquée par de nombreux travaux de l'OCDE sur ces questions.

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