Intervention de Bernard Beignier

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 16 février 2015 à 16h00
Audition de M. Bernard Beignier recteur de l'académie d'aix-marseille

Bernard Beignier, recteur de l'académie d'Aix-Marseille :

Depuis deux ans, les Écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ) ont pris la suite des IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres). Un tronc commun d'enseignement est prévu pour l'ensemble des professeurs en formation, qu'ils se destinent aux écoles, aux collèges ou aux lycées. C'est une nouveauté qui, au-delà des difficultés d'emploi du temps, s'est aussi heurtée à l'impératif de ne pas alourdir excessivement les programmes. Ce tronc commun fait la part belle à l'enseignement des valeurs de la République. Depuis 1930, le ministère de l'Éducation nationale a remplacé celui de l'Instruction publique : la mission des enseignants est d'instruire, de former, mais aussi d'éduquer, avec la notion de civisme que cela implique. Dans ce corpus, l'enseignement de la laïcité peut néanmoins poser problème, aussi bien sur le plan théorique - la distinction conceptuelle entre laïcité de l'État et sécularisation de la société serait à préciser - que surtout sur le plan pratique. Les enseignants veulent savoir comment réagir dans des situations concrètes. J'ai été confronté à ce genre de problèmes quand j'exerçais comme professeur de droit. Que faire quand un étudiant sort un sandwich en plein cours, parce que la rupture du jeûne du ramadan tombe au beau milieu d'un cours sur la prescription biennale ! Comment réagir lorsqu'un étudiant refuse de composer un jour de fête juive ? Dans certains collèges de mon académie, il n'y a quasiment pas d'élèves en classe les jours de grande fête musulmane. La question des calendriers est très importante.

À Aix-Marseille, nous avons décidé récemment de diffuser les textes fondateurs de la laïcité. On parle souvent de la loi de 1905, mais un texte plus essentiel encore en a été la Charte constitutionnelle de 1830, qui mettait fin à l'existence d'une religion d'État en France. À cela s'ajoutent les lois de la IIIe République sur l'école, soit, en tout, quelques dizaines de textes fondateurs qu'il est bon de connaître. Nous réfléchissons également à un vade-mecum qui prendrait en compte l'aspect pratique des situations à traiter. Un chef d'établissement me faisait part du cas de deux professeurs qui portaient ostensiblement au front la marque du musulman pieux. Peut-on y voir un signe ostensible d'attachement à une religion sans porter atteinte à la dignité de la personne humaine et aux libertés individuelles ? Cette notion de « signe ostensible » reste très floue.

J'ai été cité treize fois devant le tribunal administratif d'Amiens par des mamans de la ville de Méru qui n'avaient pas pu accompagner une sortie scolaire parce qu'elles étaient voilées. La circulaire de 2012 est-elle toujours valable ? Le discours de la ministre indique très clairement que les décisions doivent être prises au cas par cas sur ce sujet, laissant au chef d'établissement le soin de distinguer si un goûter de Noël ou une sortie relèvent du scolaire ou du périscolaire. Les enseignants doivent être en mesure de répondre - souvent dans l'instant - à ce type d'interrogations.

On cite souvent la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 comme repère de la République. Celle de 1946, pourtant mentionnée dans la Constitution de 1958, est souvent oubliée, alors qu'elle a le mérite de réactualiser les valeurs démocratiques. Elle mériterait d'être également affichée. Enfin, il n'y a rien sur la nationalité dans le tronc commun d'enseignement des professeurs en formation. Il serait intéressant de travailler à définir ce qui fait la nation en France, par comparaison avec ce qui se pratique dans d'autres pays. Nous avons beaucoup à faire pour répondre aux demandes fortes que nous adressent les enseignants. Un enseignant ne se réduit pas à la discipline qu'il enseigne.

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