Intervention de Bernard Beignier

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 16 février 2015 à 16h00
Audition de M. Bernard Beignier recteur de l'académie d'aix-marseille

Bernard Beignier, recteur de l'académie d'Aix-Marseille :

Dans ma faculté, j'avais créé en quatrième année un cours sur le droit des nationalités et des étrangers. Le sujet était récurrent à Toulouse, à cause de la proximité d'un centre de rétention. En France, la nationalité n'est pas un droit du sang, mais un droit du sol. En Allemagne, au contraire, c'est un droit du sang. La France est un territoire, l'Allemagne est une nation. En France, la nation s'est construite sur le territoire et à travers l'État. Il est intéressant de voir comment s'est opérée cette construction, quelles en sont les particularismes par rapport à des pays comme les États-Unis ou le Canada, quels sont ceux qui acceptent la double nationalité, comme la France, et ceux qui la refusent. Il faudrait évidemment conclure en citant la conférence de Renan sur le référendum au quotidien. Un cours d'instruction civique pourrait ainsi expliquer ce qu'est la nation et ce qu'elle implique comme devoirs.

Bien sûr, avant qu'un dialogue s'instaure entre le maître et l'élève, c'est d'abord au maître de parler. Nous prendrons le tournant du numérique dans l'enseignement, dans les dix prochaines années. Je suis convaincu que, pour les élèves de lycée, les cours se feront de plus en plus sur un support numérique, laissant davantage d'espace pour la discussion et le dialogue, en classe. L'apport des connaissances reste essentiel. Il faut d'abord que le maître parle avant d'engager le débat. Un débat permanent ne peut aboutir qu'au morcellement des points de vue. Depuis deux ans, on expérimente en section de terminale littéraire un cours sur le droit et les enjeux du monde contemporain. Deux méthodes sont possibles : partir des questions des élèves pour que le professeur fasse ensuite la synthèse de ce magma, ou bien laisser l'enseignant intervenir pendant une demi-heure pour organiser le débat. L'autorité du maître est intacte dès lors qu'il veut agir de manière à la faire valoir. Certes, ce sera d'une manière différente qu'en 1950, 1930 ou 1910, mais l'autorité reste réelle.

Quant aux programmes, la variété des points de vue est effectivement la bonne méthode pour traiter les sujets délicats, en étudiant, par exemple, celui des chroniqueurs arabes sur les croisades. Aussi magnifique que soit le tableau qu'on admire à Versailles, la question algérienne ne peut pas se résumer à la prise de la Smala d'Abd El Kader. Rassurez-vous : nous n'avons rien supprimé de l'histoire de France dans les programmes mais l'histoire ne faisant que s'enrichir, il nous faut bien compresser certaines périodes. La vraie question, c'est de savoir si les programmes doivent valoriser ce qui a fait l'unité de notre territoire ou bien faire état de toutes les fragilités de l'histoire de France ; pour comprendre l'histoire, il faut savoir « vibrer au souvenir du sacre de Reims ou à celui de la fête de la Fédération », disait Marc Bloch. La plupart des élèves se contentent de peu. L'an dernier, à Amiens, lors d'une exposition sur les pouvoirs de la presse évoquant le fameux « J'accuse ! », nous avons constaté que si quelques élèves connaissaient Zola par leurs cours de littérature, très peu savaient qui était Clemenceau. Un programme d'histoire n'est jamais neutre. Mais il n'y a pas de blanc dans l'histoire nationale, même si depuis quelques années on s'intéresse également à l'histoire d'autres pays.

S'agissant des signes ostensibles, il y a deux catégories de mamans voilées, celles qui respectent leur religion sans attitude provocante envers la société française, et celles qui sont en guerre contre cette société. Le terme de « voile » recouvre lui-même des réalités très diverses. Les instructions de la ministre sont claires : protéger les enfants contre un prosélytisme qui serait une captation de leur conscience et de leur intelligence. Dans la pratique, ça peut être compliqué. Dans l'académie d'Aix-Marseille, nous avons un collège où 90 % des enfants sont musulmans. À la cantine, on propose deux menus, l'un à base de poisson, l'autre végétarien. Les prescriptions alimentaires sont ainsi satisfaites, sans faire référence au hallal. Le respect et l'écoute sont les garants d'un dialogue constructif. L'opposition frontale rend la discussion difficile. À la mi-décembre, un directeur d'école a refusé l'accès au goûter de Noël à des mamans voilées, par excès de prudence, ce qui a provoqué un sentiment de stigmatisation. L'affaire s'est terminée devant le tribunal administratif.

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