Intervention de Jean Baubérot

Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants — Réunion du 16 février 2015 à 16h00
Audition de M. Jean Baubérot président d'honneur et professeur émérite de l'école pratique des hautes études

Jean Baubérot, président d'honneur et professeur émérite de l'École pratique des hautes études :

Bien des gens à l'étranger me disent que la laïcité est une spécificité française ; mais lorsque je leur explique qu'il s'agit, pour assurer la liberté de conscience et la non-discrimination religieuse, de séparer l'État de la religion et d'assurer la neutralité de ce dernier, ils réalisent que leur pays, avec les mêmes objectifs, présente lui aussi des éléments de laïcité - exactement comme la France, où elle est d'ailleurs loin d'être absolue : on pourrait parler de l'Alsace-Moselle ou des écoles sous contrat ; aux États-Unis, on m'en parle ! Là où ces éléments n'existent pas, des forces revendiquent la liberté de conscience, mais sans pour autant faire référence à la laïcité qu'on confond avec un athéisme d'État, comme en Russie.

La laïcité française a toutefois ses spécificités, parce que la France moderne s'est construite face à la religion - ce qui était loin d'être inéluctable : un quart des membres de l'Assemblée qui a proclamé les droits de l'homme étaient des ecclésiastiques. Ce dissensus a duré tout le XIXe siècle, car l'instabilité des régimes a empêché de pacifier la question politico-religieuse jusqu'à la loi de 1905 et ses suites. La spécificité, c'est le combat entre cléricalisme et anticléricalisme. La laïcité a pacifié ce combat. La morale laïque a également des inspirations étrangères. Elle doit beaucoup à un Allemand, Emmanuel Kant ; l'article 4 de la loi de 1905 est directement inspiré des législations américaine et écossaise ; Aristide Briand et les milieux maçonniques avaient pris en exemple le Mexique, où malgré la séparation opérée en 1859, les églises restaient pleines. Une autre présentation de la laïcité sera inefficace et scientifiquement fausse. Sans dissoudre la laïcité dans la liberté de conscience à laquelle elle ne se résume pas, il ne faut pas non plus la voir comme une forteresse incommunicable. J'en ai parlé dans quarante pays sans avoir de difficultés à être compris.

C'est une valeur républicaine, certes, mais plus largement une valeur démocratique : le Danemark, cette royauté démocratique, nous le montre. Évitons de croire que la situation est mieux ici qu'ailleurs, ou le contraire. Il faut montrer ce qui va bien et mal pour être crédibles vis à vis des élèves. Nous sommes en retard pour l'égalité hommes-femmes, mais les Françaises sont à la fois celles qui font le plus d'enfants et les mieux insérées dans le marché du travail. La question n'est pas de savoir si la laïcité est suffisamment enseignée, mais quels sont les moyens de l'enseigner. Actuellement, les enseignants se débrouillent avec les moyens du bord ; certains se sentent abandonnés.

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