Intervention de Jean-Marc Lacave

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 30 septembre 2015 à 9h30
Météo france — Audition de M. Jean-Marc Lacave candidat proposé aux fonctions de président-directeur général

Jean-Marc Lacave :

Je commencerai par dresser la fiche d'identité de Météo-France, car il n'est pas inutile de rappeler ce qui caractérise aujourd'hui l'établissement public, avant de vous livrer ce qu'a été mon regard depuis mon arrivée, il y a vingt mois pour vous dire ensuite mes ambitions et mes projets pour la période à venir.

Météo-France est un établissement public administratif, créé en 1993 pour succéder à la direction de la météorologie nationale. Il regroupe près de 3 200 personnes, dont 350 outre-mer, à forte connotation technique et scientifique puisque 1 000 d'entre elles sont des ingénieurs et 1 600 des techniciens, tandis que le siège, situé à Saint-Mandé, regroupe quelque 250 personnes. L'important pôle de Toulouse, dédié à la recherche et à la production, compte à lui seul 1 100 personnes, le reste des effectifs se répartissant dans les différentes directions interrégionales - sept en métropole et quatre outre-mer.

Il vaut de rappeler, car cela n'est pas banal, que Météo-France compte un nombre important de personnels dits « postés » ou H24, c'est-à-dire assurant une présence 24 heures sur 24, ainsi que des semi-permanents, assurant une présence 12 heures par jour y compris les week-ends : 570 dans le premier cas, 650 dans le second.

Quelles sont nos missions principales ? En premier lieu, la sécurité des personnes et des biens, ce qui passe par un nombre important de conventions avec le monde institutionnel : 23 conventions avec l'État et ses opérateurs, dont le ministère de l'écologie mais aussi celui de l'intérieur pour la sécurité civile, celui de la défense, de la santé, et j'en passe. Viennent ensuite le soutien aux forces armées, l'appui à la navigation aérienne et le service aux acteurs économiques, ce qui inclut le grand public et les secteurs professionnels.

Cette activité se déploie dans un certain nombre de métiers, dont les plus caractéristiques sont ceux de la recherche - le site de Toulouse regroupe ainsi 300 chercheurs - ; de l'observation, via les réseaux de radars et stations météorologiques, qui représentent, avec quelque 500 agents, une énorme partie de notre activité ; de la prévision, avec 1 000 personnes qui font tourner les modèles numériques et assurent une expertise ; de l'informatique, enfin, avec 480 personnes.

Le budget 2015 s'est élevé à 385 millions, dont 20 millions d'investissements. Il est couvert à 63 % par la subvention pour charge de service public, à hauteur de 200 millions ; pour 23 % par la redevance aéronautique - 85 millions - ; pour 8 % par les recettes commerciales, de l'ordre de 30 millions ; et pour 6 %, enfin, par d'autres ressources, comme celles liées aux contrats européens ou de recherche.

Météo-France compte quatre filiales. Météo-France International (MFI), qui s'emploie à développer le système français à l'international, notamment dans les pays les plus exposés au changement climatique, Météorage, Predict et Météo-France Régie (MFR). S'y ajoutent deux organismes de recherche, le Cerfacs et Mercator Océan.

Météo-France est en prise avec le monde international. Il représente la France au sein de l'Organisation mondiale de la météorologie, du Centre européen de prévision, situé en Angleterre, d'Eumetsat, agence dédiée au développement de satellites de météorologie, du consortium de services météorologiques européens Eumetnet, enfin.

Forces indéniables et sujets de préoccupation : tel est, en quelques mots, le bilan que je tire des vingt mois passés à la tête de Météo-France depuis ma nomination.

La première force de Météo-France tient à sa notoriété. Élément du patrimoine commun de la France, l'établissement bénéficie d'une large reconnaissance tant auprès du grand public que des entreprises et des services publics. Chaque jour, notre site internet reçoit au moins un million et demi de visites. De même pour notre site mobiles. Et la fréquentation peut s'élever jusqu'à 4 millions de visites en cas d'intempéries. Ceci nous place au 19ème ou 20ème rang parmi les sites internet français, derrière des sites comme Google ou Amazon. Nous sommes, de loin, le premier des sites météorologiques. Des enquêtes du Credoc (Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie), il ressort que 75 % des Français font confiance à nos prévisions, même s'il existe des variations selon les catégories sociales, et que neuf personnes sur dix connaissent la carte vigilance, faite pour aider les populations à prendre les bonnes dispositions en cas de phénomène extrême. Cette notoriété est un point fort, qu'il convient de préserver.

Météo-France peut compter sur un certain nombre de secteurs d'excellence, au premier rang desquels la recherche. Nos 300 chercheurs signent chaque année quelque 150 publications scientifiques à l'échelle internationale. Ils sont très bien intégrés au monde de la recherche, tant au plan national qu'international, ont produit des modèles climatiques fort reconnus et sont des contributeurs importants aux rapports du GIEC. Les instances de contrôle et de qualification de la recherche comme le Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur, par exemple, s'accordent à reconnaître la qualité de ce secteur de Météo-France.

Autre élément notable, nos modèles de prévision, logiciels numériques qui, à partir des données de l'observation, élaborent des prévisions. En la matière, la compétition entre services météorologiques est mondiale. Meilleure compréhension de l'atmosphère et maillage toujours plus fin du territoire, telles sont les caractéristiques de ces modèles, qui en sont, en France, conformément aux objectifs fixés dans le contrat d'objectifs et de performance (COP), à une précision de 1,3 km de maille, ce qui les classe parmi les plus fins. Ces modèles sont en perpétuelle évolution : nous en viendrons, bientôt, à des modèles probabilistes.

Troisième secteur important, la gestion de crise H24. La France n'est pas épargnée par les crises météorologiques, qui pourraient même, avec le changement climatique, s'amplifier en fréquence et en intensité. Le personnel de Météo-France, dans ces moments-là, est sur le pont. Il est capable, jour et nuit, d'anticiper, d'accompagner les services de sécurité civile et les collectivités territoriales, mais aussi de caractériser ex-post la crise au regard des intensités observées sur les dernières décennies. Les agents sont très attachés à ce versant opérationnel, dans lequel s'exprime au premier chef l'essence du service public.

Autre atout très positif, l'expertise des prévisionnistes. Car dans les situations difficiles, on ne peut entièrement s'en remettre aux logiciels de calcul. Il y faut une expertise incarnée, capable d'apporter les correctifs nécessaires. Je pense en particulier aux phénomènes cévenols, parmi les plus complexes à prédire et à suivre, ou aux phénomènes de vagues-submersion, notamment sur le littoral atlantique. Nos prévisionnistes, dans de tels cas, vont jusqu'à s'intégrer dans les systèmes opérationnels des décideurs : ils ne se contentent pas de livrer un bulletin mais apportent une expertise conforme au mode opérationnel du client, qu'il s'agisse de la sécurité civile ou d'industriels ou bien encore de services publics, avec la SNCF ou EDF.

Dernier point remarquable, enfin, la volonté d'engagement des agents, toujours très ardents pour faire plus encore que ce qu'exigent d'eux leurs missions institutionnelles. C'est ainsi que Météo-France a été contributeur aux rapports du GIEC au-delà de ce qui avait été prévu ; que de nombreuses initiatives ont été prises dans le cadre de la pré-Cop 21 ; que beaucoup d'ardeur est mise dans la réponse aux appels d'offre européens en matière de recherche - je pense au programme Sesar pour l'aéronautique ou au programme Copernicus pour les services climatiques. Nos agents sont également très engagés dans le monde de l'éducation et de la formation, ainsi qu'à l'international, pour améliorer les services dans les pays les plus touchés par le changement climatique - je pense notamment, dans l'actualité, à l'Angola ou à l'Indonésie.

Telles sont, à mon sens, les forces de Météo-France, face auxquelles demeurent cependant des sujets de préoccupation. En premier lieu, l'impact de la réorganisation territoriale, décidée en 2008, puis entamée en 2012, après des mouvements sociaux importants, et qui doit s'achever en 2016. Passer de 108 centres territoriaux à 55 suppose d'en fermer 53 - 53 centres de terrain où des prévisionnistes sont en poste pour apporter aux autorités publiques et aux entreprises un service de proximité. Cela a été et reste très mal ressenti. Les syndicats continuent de réclamer un moratoire. Déjà, 43 centres ont été fermés, trois de plus le seront avant la fin de l'année, les sept restants devant l'être en 2016. Cette perte de présence et de substance a provoqué, comme vous pouvez l'imaginer, un traumatisme collectif et individuel chez les personnels. Cette réforme a été trop longue : c'est une expérience qui ne m'incline pas à retoucher à nouveau l'organisation territoriale.

Deuxième préoccupation, la contrainte sur les ressources. Les parlementaires que vous êtes savent sans nul doute de quoi je parle. Cette contrainte est de plus en plus difficile à documenter, comme on dit dans la langue budgétaire ; autrement dit, il devient de plus en plus difficile de trouver les économies pour y répondre. Je déplore de voir trop souvent brossé dans les médias un portrait qui ne correspond pas à la réalité. Météo-France est contributrice à la réduction des dépenses publiques depuis de nombreuses années. La fermeture de 53 centres a représenté un gros effort, qui n'a guère d'équivalent parmi les opérateurs de l'État. Météo-France a perdu 400 personnes en sept ans, et le rythme de non remplacement atteint aujourd'hui 8 personnes sur 10, score très supérieur à celui que l'on observe dans la fonction publique.

Il en va de même en matière budgétaire. Nos ressources se font chaque année plus étroites, dès la loi de finances initiale et à coups de rabot successifs au long de l'année. Du coup, les exercices 2014 et 2015 sont déficitaires, comme le sera très probablement celui de 2016, et notre fond de roulement a atteint un plancher. Les personnels en sont très émus.

J'ai bien conscience que nous devons participer comme les autres à la recherche de l'équilibre de nos finances publiques, mais le rythme imposé depuis des années devient difficilement soutenable. Je vois mal comment nous pourrions poursuivre ainsi au-delà de 2016, d'autant que nous aurons, à l'horizon 2018-2019, des investissements importants à engager pour remplacer notre supercalculateur et au moins un avion de recherche. Vous comprendrez le sentiment d'injustice que suscitent les commentaires de la presse quand elle parle de Météo-France comme d'une grosse machine pléthorique, alors que nous avons fait de gros efforts.

Une autre préoccupation tient aux évolutions exogènes. Sur le Ciel unique européen, nous avons un peu de répit puisque l'Europe a accepté que les États membres conservent la faculté de désigner les services météo affectés à la navigation aérienne. La France a choisi de conserver Météo-France. Mais dans les dix ans à venir, je crains que la situation n'évolue et que nous ne finissions par être soumis à la concurrence.

Vient ensuite la politique d'ouverture des données publiques. Un certain nombre de données, qui contribuent à nos revenus, devront être livrées gratuitement. Outre le manque à gagner, de l'ordre de 3 à 5 millions, nos charges pourraient s'en trouver aggravées, car les données à délivrer sont très volumineuses et très fréquemment renouvelées, ce qui exige des capacités de transfert - des tuyaux, pour faire simple - importantes. Je plaide pour que cette mise à disposition soit à la charge du bénéficiaire, car nous ne pourrions faire face à un afflux de demandes. Sans compter que la concurrence s'en trouvera aiguisée...

Dernière préoccupation, enfin, même s'il est vrai que cela est plutôt positif, les sollicitations ne diminuent pas. Beaucoup de collectivités, de régions, travaillent sur les plans énergie-climat, les plans qualité de l'air, le changement climatique ; les industriels, les agriculteurs, nous demandent, de plus en plus, ce que l'on appelle de la « descente d'échelle », c'est à dire une capacité à mesurer les effets du changement climatique à échelle fine. Tout cela suppose de conduire des études et de développer de nouveaux modèles. Il est aussi des besoins impromptus. Ainsi, le nuage de cendres provoqué par l'irruption du volcan islandais Bárdarbunga nous a conduits à créer des outils onéreux, capables de mesurer la concentration de cendres dans l'atmosphère.

Nous ne pouvons que nous réjouir de ces sollicitations nouvelles, mais face à la diminution de nos ressources, il devient difficile d'arbitrer. Quels sont nos ambitions et nos projets pour les années à venir ?

Il faudra, tout d'abord, répondre à deux impératifs. En premier lieu, il faut sortir de la régulation par nos seules ressources. Je lutte, face à notre tutelle, contre le principe mécaniste de la règle de trois uniformément appliqué en matière d'économies budgétaires, qui ne permet pas d'apprécier l'impact des arbitrages sur notre fonctionnement. Or, les attentes de l'État, que ce soit en matière de défense nationale, de sécurité civile ou de santé, n'attendent pas : les besoins sont instantanés. Il en va de même pour le secteur économique : en période de neige ou de brouillard, les autoroutiers, la SNCF, les aéroports ne sauraient attendre. La régulation par les ressources ne saurait être le seul instrument dans un service H24.

Deuxième impératif : dépasser le traumatisme de la régulation territoriale. Les personnels s'interrogent sur le projet pour l'avenir. Certes, des outils existent qui permettent d'analyser les choses de plus loin, mais comment rebâtir l'organisation des métiers pour stabiliser la densité des services sur le territoire en écartant le spectre de nouvelles ablations ? Nous avons beaucoup travaillé, en interne, sur notre raison d'être et nos ambitions, et identifié dix chantiers stratégiques, depuis les services climatiques jusqu'à la prévision et les services aux bénéficiaires, en passant par l'organisation de nos développements informatiques, les données publiques, la relation aux médias, la mutualisation, l'externalisation, et j'en passe. Nous travaillons, surtout, sur une vision prospective à dix ans, en tâchant de prendre en compte les évolutions à venir : rôle de l'Europe, développement du big data, des observations satellitaires, phénomènes extrêmes accrus. Nous prenons également en compte les évolutions à venir en interne, dont un nombre important de départs en retraite d'ici à 2025.

Quatre points sont ressortis de ces réflexions, qui constituent autant d'actes de foi.

Tout d'abord, continuer de miser sur notre recherche, dont la qualité ne doit pas baisser, ce qui passe par un maintien des effectifs de chercheurs. C'est la clé pour disposer de modèles numériques performants. Cela aidera à transformer le métier des hommes, en usant de l'automatisation pour les phénomènes simples, afin de réserver l'expertise aux phénomènes complexes touchant à des enjeux de sécurité ou économiques.

En deuxième lieu, nous devons continuer à être présents sur toute la chaîne, de la recherche au commerce. A la différence des Américains, dont les services météo s'en tiennent à fournir des bases de données, notre modèle de service public météorologique doit s'inspirer de celui des Anglais ou des Allemands : le sens de notre action ne saurait être complet que si l'on maintient le contact avec les bénéficiaires. Si l'on perd ce contact avec le grand public, la SNCF, les pompiers, les préfets, les collectivités locales, EDF, les assurances... on ne sait plus piloter, en amont, la recherche et la production. Cela doit nous porter à renforcer nos éléments de différenciation avec les services privés, qui se contentent de mettre en images des données brutes, et nous pousser à explorer les champs de force sur lesquels nous sommes irremplaçables, comme le climat.

En troisième lieu, nous partons du principe que l'organisation n'est pas figée, et qu'il est bon de croiser l'organisation territoriale avec une organisation thématique, par des professionnalisations autour des routes, de l'aérien, de l'énergie, des médias, de l'eau... Nous souhaitons également gagner en agilité dans nos développements. De petites start-up savent beaucoup mieux que nous mettre au goût du jour leur site internet, au regard de quoi notre service peut parfois apparaître vieillot. Nous devons être plus réactifs en ce domaine. Vient enfin la mutualisation, pour améliorer notre efficience. Des lourdeurs subsistent, sur lesquelles il nous faut travailler, à rythme adéquat. Bref, les évolutions organisationnelles, comme je l'ai dit aux syndicats, restent sur le haut de la pile des questions à traiter collectivement dans cette maison.

Le dernier acte de foi, enfin, concerne l'ouverture et les partenariats. Météo-France reste un isolat, insuffisamment connecté. Des industriels comme les constructeurs automobiles ou Airbus, des services comme Google, disposent, via des systèmes de capteurs, de données colossales qui permettent de renouveler la façon d'observer la situation météorologique. Il faut s'efforcer de nouer des partenariats, y compris avec des start-up, avec lesquelles l'établissement public que nous sommes reste souvent trop frileux.

Recherche, présence sur l'ensemble de la chaîne, organisation interne, partenariats, tels sont donc les grands axes sur lesquels nous entendons avancer, et qui doivent trouver leur traduction dans le COP 2017-2022 à venir. Ces évolutions, qui touchent à la culture des personnels, demandent du temps et un soutien de l'État, pour une vision partagée et des moyens d'accompagnement. Météo-France est une pépite française, ne la gâchons pas.

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