La publicité, qui est un véritable serpent de mer, pose à France Télévisions un double défi : continuer à vendre des messages en journée alors que les annonceurs privilégient de plus en plus le prime time, et affronter un marché de la publicité dont la baisse structurelle a fait diminuer le chiffre d'affaires de plus de 100 millions d'euros entre 2010 et 2015. La situation est différente pour les autres sociétés. Radio France, qui maintient son chiffre d'affaires autour de 40 millions d'euros, se heurte surtout à un problème de diversification des annonceurs, tandis que France Médias Monde a réussi à augmenter son chiffre d'affaires d'un million d'euros. La publicité peut-elle constituer l'avenir du financement de France Télévisions ? Notre constat est sans appel : le marché publicitaire ne retrouvera pas ses niveaux historiques, en raison du basculement d'une partie croissante des annonceurs sur Internet. Dans ces conditions, le retour de la publicité après vingt heures ne constituerait pas une solution réaliste. De plus, il réduirait encore la spécificité du service public par rapport aux chaînes privées, et fragiliserait ces dernières, qui ne sont pas non plus en très bonne santé.
Si le service public de l'audiovisuel connaît aujourd'hui une crise financière et voit ses audiences - sur longue période - s'effriter et vieillir, c'est d'abord parce qu'il manque d'un projet clair appliqué dans la durée par des équipes ayant la légitimité et l'autorité nécessaires. L'un de nos principaux constats, qui confirme et prolonge l'analyse du rapport Schwartz, tient au fait que les faiblesses de la gouvernance et les relations compliquées avec la tutelle ne permettent pas aux dirigeants de diriger leurs entreprises sereinement. Depuis de nombreuses années, nous nous sommes focalisés sur le mode de nomination des dirigeants de l'audiovisuel public, en pensant qu'il s'agissait du critère déterminant pour améliorer la gouvernance. Nous sommes désormais convaincus qu'il ne pourra pas y avoir d'indépendance de l'audiovisuel public tant que les conseils d'administration ne pourront pas jouer leur rôle, tant qu'ils seront précédés de pré-conseils d'administration entre la direction et les tutelles où se prennent toutes les décisions importantes, et tant que le calendrier politique de l'actionnaire l'emportera sur l'intérêt des sociétés, ce qui a pour conséquence de reporter systématiquement les décisions difficiles indispensables.
Ainsi, la question du financement de l'audiovisuel public ne peut être traitée séparément de celle de la gouvernance. Mathieu Gallet nous a révélé qu'il a dû concevoir le projet stratégique qu'il a présenté devant le CSA et lui a permis d'être désigné sans avoir le moindre accès aux données financières de Radio France, ce qui, compte tenu de leur forte dégradation à ce moment-là, rendait son projet, dès l'origine, irréalisable. Or, c'est bien ce projet qui est censé servir de base au contrat d'objectifs et de moyens (COM), ce dernier étant lui-même la base de référence pour déterminer le montant annuel de CAP attribué aux différentes sociétés, corrigé au regard des priorités budgétaires de l'État. Finalement, dix-huit mois après sa nomination, le président de Radio France ne dispose toujours pas d'un COM et il fait peu de doute que le document qui devrait nous être transmis d'ici peu sera assez différent des orientations du candidat. Cela pose la question de la pertinence de la désignation des présidents des sociétés de l'audiovisuel public par le CSA, puisque ce dernier ne peut vérifier le réalisme des projets stratégiques des candidats au regard de la situation financière des sociétés.
La désignation de la nouvelle présidente de France Télévisions n'a fait que confirmer ce constat en jetant, de plus, le doute sur les pratiques du collège. Les arbitrages de la ministre de la culture rendus publics le 13 septembre dernier par voie de presse ont également acté le désaccord entre la société et l'État sur les moyens dont elle devrait bénéficier. Une fois de plus, le calendrier politique a pris le pas sur l'intérêt de la société. La situation des entreprises semble gelée jusqu'à la prochaine élection présidentielle, puisque le Gouvernement ne paraît pas souhaiter assumer une réforme de la CAP, compte tenu de ses annonces en matière de baisses d'impôts. Cela rendra certainement très difficile le retour à l'équilibre de France Télévisions et Radio France d'ici 2017.
Notre constat, je le souligne, ne vise pas à mettre en cause spécifiquement le gouvernement actuel : l'année dernière, j'avais apporté mon soutien à la ministre de la culture lorsqu'elle avait annoncé son intention de supprimer les dotations d'ici 2017. Les précédentes majorités n'ont pas été plus vertueuses dans le respect de leurs engagements, concernant par exemple la compensation de la suppression de la publicité décidée en 2009. Quant au mode de nomination des présidents, nous ne proposerons pas non plus de revenir à un choix par le Président de la République compte tenu de l'absence de consensus sur ce sujet.
Nous sommes convaincus qu'il est devenu indispensable de refonder l'audiovisuel public pour en assurer la pérennité, en dépassant les clivages et en privilégiant l'intérêt des citoyens. Cette refondation doit être progressive, respectueuse des salariés et cohérente avec l'état de nos finances publiques. Les propositions que nous allons vous présenter ne sont ni de droite, ni de gauche, elles s'inspirent des meilleures pratiques européennes.