Intervention de Jean-Pierre Leleux

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 29 septembre 2015 à 9h00
Financement de l'audiovisuel public — Présentation du rapport d'information

Photo de Jean-Pierre LeleuxJean-Pierre Leleux, co-rapporteur :

Là encore, nous avons voulu sortir du débat qui oppose les tenants de la suppression de la publicité sur le service public - dont je fais partie - à ceux de son maintien, voire de son extension. Nous reconnaissons que la suppression totale de la publicité, qui serait souhaitable, n'est sans doute pas possible financièrement, puisqu'elle nécessiterait de trouver environ 380 millions d'euros de recettes de substitution ou d'économies dans les dépenses des sociétés. Nous proposons donc une suppression partielle, qui ne serait plus fondée sur un critère quantitatif, distinguant avant vingt heures et après, mais sur un critère qualitatif. Seraient ainsi évités les messages publicitaires pour des produits ou des services qui ne seraient pas compatibles avec la protection de la santé et de l'environnement. Il s'agirait par exemple de favoriser les publicités en faveur des voitures hybrides et électriques plutôt qu'en faveur du diesel et de l'essence, des légumes et des fruits plutôt qu'en faveur des produits transformés industriels, et des investissements dans les économies d'énergie plutôt que dans la climatisation.

La France accueillera dans quelques semaines la 21e conférence des parties (COP 21) à la Convention-cadre des Nations-Unies sur le changement climatique avec un message essentiel : il faut changer nos modes de vie et nos habitudes de consommation. Nous proposons d'intégrer cette priorité politique dans les valeurs du service public de l'audiovisuel et, plus généralement, de réduire le temps global de la publicité. Une publicité raisonnable pourrait subsister et même être rétablie en soirée après vingt heures, mais le nombre de minutes serait globalement réduit et l'on pourrait également prévoir une interdiction totale lors des émissions destinées à la jeunesse - c'est l'objet d'une proposition de loi déposée par André Gattolin. Selon nos estimations, ce nouveau régime de la publicité pourrait se traduire par une baisse de chiffre d'affaires d'environ 100 millions d'euros, qui serait compensée par la hausse du produit de la CAP réformée. Les annonceurs de Radio France seraient choisis selon les mêmes critères, sans conséquence sur le chiffre d'affaires compte tenu de son régime restrictif actuel.

Enfin, nous sommes convaincus qu'il faut engager un rapprochement des sociétés de l'audiovisuel public qui doit commencer par une meilleure coordination de leurs projets. Aujourd'hui par exemple, les contrats d'objectifs et de moyens (COM) ne sont pas synchronisés, ce qui signifie qu'ils ne prévoient aucune mutualisation des dépenses, chaque entreprise étant considérée individuellement. Nous proposons qu'ils le soient. Les COM étant liés aux mandats des présidents, nous proposons également de faire converger ces mandats. Ceux qui arriveraient à terme d'ici là ne seraient renouvelés ou prolongés que pour la durée restant à courir jusqu'à la mise en oeuvre de la troisième étape.

Celle-ci interviendrait en 2020, avec le rapprochement des sociétés de l'audiovisuel public au sein d'un même groupe, que nous proposons d'appeler « France Médias ». Ce rapprochement favoriserait les mutualisations, la polyvalence du personnel, le développement d'une marque commune et les investissements dans le numérique. Il dégagerait aussi des économies, à travers la mise en commun des fonctions support. Nous proposons qu'une mission de préfiguration étudie l'ensemble des questions liées à la mise en place de « France Médias », en particulier sa forme juridique.

La création de ce nouveau groupe est indispensable pour rénover profondément la gouvernance de l'audiovisuel public. Nous proposons que le nouveau président de « France Médias » soit nommé par l'organe délibérant du nouveau groupe, où ne siègeraient plus les représentants des ministères de tutelle. L'État ne serait représenté que par l'Agence des participations de l'État (APE) au nom de l'État actionnaire. Le conseil délibérant serait composé de personnalités issues du secteur public et choisies pour leur expertise, ou de personnalités issues du secteur privé ayant une véritable culture de l'entreprise, tout en veillant à leur indépendance et en proscrivant les conflits d'intérêts.

Bref, nous proposons de couper le lien de dépendance et de subordination qui fait que les présidents des sociétés de l'audiovisuel public ne sont pas responsabilisés et se cantonnent souvent à demander en permanence des moyens nouveaux et à retarder les réformes. Dans ce nouveau modèle, c'est l'organe délibérant de « France Médias » qui répartirait la CAP entre ses filiales et non l'État. C'est également lui qui nommerait les dirigeants des filiales. Au terme de ces trois étapes, c'est un nouveau modèle de l'audiovisuel public qui serait ainsi refondé sur des bases solides. Nous avons souhaité vous présenter une approche globale et systémique afin de garantir la solidité du projet. J'ajoute que le rapprochement que nous proposons reflète des évolutions observées dans de nombreux pays européens, l'Espagne et la Suisse l'ayant réalisé ces dernières années. Le rôle de notre assemblée est aussi de proposer des idées ambitieuses pour aider notre pays à avancer et à ne pas rester prisonnier des schémas du passé. Il ne s'agit pas de rejouer le débat sur l'Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF), qui appartient bien au passé. Aujourd'hui, le service public ne compte que pour un quart de l'audience face aux médias privés et Internet menace de réduire encore cette influence. Il y a donc urgence à envisager des solutions nouvelles et surtout à donner une fois pour toutes son indépendance à notre audiovisuel public.

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