Décidé il y a presque une année, le thème de la nouvelle croissance en Chine et de ses conséquences sur le monde et sur la France a prouvé sa pleine actualité cet été. Durant le mois d'août, l'évolution monétaire et boursière dans ce pays a été au centre de l'actualité ; certains parlent de crise, d'autres de soubresauts.
Hélène Conway-Mouret, André Trillard, Bernard Cazeau et moi-même avons mené une série d'auditions durant le printemps et effectué un déplacement en Chine courant septembre, accompagnés par notre Président, Jean-Pierre Raffarin, dont tout le monde mesure la très grande connaissance de la Chine. Ce déplacement nous a permis de mener des entretiens de très haut niveau à Pékin et à Shanghai, avec des autorités chinoises et de nombreux Français installés en Chine ; nous nous sommes également rendus en province, dans la ville de Guilin.
Nous n'avons pas la prétention de réaliser une thèse universitaire mais souhaitions nous poser quelques questions simples : où en est l'économie chinoise aujourd'hui ? Quelles sont ses perspectives d'évolution ? Quelles sont les opportunités pour la France ?
Tout d'abord, où en est l'économie chinoise aujourd'hui ?
Nous sommes tous conscients de la formidable croissance économique qu'a connue ce pays depuis presque quarante ans maintenant mais je pense que, finalement, nous sous-estimons collectivement le phénomène. Depuis la fin des années 1970 et les réformes engagées par Deng Xiaoping, la croissance a été supérieure à 10 % par an ! Selon la Banque mondiale, la Chine a ainsi connu une croissance plus rapide que tout autre pays au cours de l'histoire. Cette croissance a été exponentielle ces dix dernières années, ce qui correspond globalement à l'entrée de la Chine dans l'OMC : en 1990, le PIB chinois représentait 7 % de celui des Etats-Unis, il en atteignait 12 % en 2000 et en dépasse aujourd'hui les 60 %. La Banque mondiale estime même que si l'on corrige les distorsions liées à ce que les économistes appellent les parités de pouvoirs d'achat, l'économie chinoise a dépassé en 2014 celle des Etats-Unis. La Chine est donc d'ores et déjà la deuxième, voire la première, économie mondiale.
Pour autant, le modèle de développement qui a assuré cette réussite exceptionnelle repose sur un certain nombre de fragilités ou particularités qui le rendent non soutenable à long terme.
D'un strict point de vue économique, ce modèle est basé sur une puissante industrie exportatrice, de faible valeur ajoutée et s'appuyant sur une main-d'oeuvre nombreuse et à bas coût. Or le développement économique a nécessairement été accompagné d'une progression notable des salaires, ce qui a entraîné un gain sensible du pouvoir d'achat d'une part importante de la population : elle s'est élevée ces dernières années à environ 15 % par an dans la région de Shanghai, soit nettement plus que l'inflation. Ainsi, les régions traditionnelles de développement, sur la côte Est de la Chine, ne sont plus autant compétitives sur les produits qui ont fait leur force et on assiste à d'importantes délocalisations, soit vers l'intérieur du pays, soit vers des pays à plus bas coûts.
19 des 29 principaux secteurs industriels chinois sont considérés comme en surcapacité : dans l'acier, l'aluminium, le ciment, le verre ou la construction navale, le taux d'utilisation des capacités oscille entre 70 % et 75 %, ce qui est particulièrement faible. Cette situation a été amplifiée par le plan de relance massif décidé par les autorités pour contrecarrer les effets de la crise mondiale de 2008-2009.
Ce plan de relance massif a certes permis à la Chine de « passer » la période délicate d'une faible demande mondiale mais il a entraîné une augmentation importante de la dette des autorités locales. Soumises à des obligations de résultat en termes de croissance tout en ne disposant que de moyens très limités pour s'endetter, celles-ci ont développé des politiques de contournement qui font aujourd'hui peser un risque global identifié mais encore mal mesuré. Elles ont notamment créé des structures spécifiques de financement peu transparentes et ont eu recours à du « shadow banking » dont l'encadrement prudentiel est faible. Au total, l'endettement des agents non financiers est relativement élevé en Chine (230 % du PIB) mais il s'agit presque uniquement de prêteurs nationaux, non internationaux, ce qui diminue la sensibilité au risque.
Par ailleurs, les inégalités sociales et territoriales sont très importantes et, alors qu'en volume, le PIB chinois s'approche de celui des Etats-Unis, le PIB par habitant reste très éloigné des standards des pays développés. Il a lentement progressé pour atteindre environ 7 500 dollars en 2014 contre presque 55 000 aux Etats-Unis ou presque 46 000 en France, soit un écart qui reste très important.
Autre phénomène connu sur lequel nous ne nous étendrons pas : la consommation excessive des ressources naturelles. Pollution de l'air, des sols ou de l'eau, part majoritaire du charbon et des énergies fossiles dans la consommation d'énergie : durant toute cette période de croissance, la priorité n'était pas - on peut en comprendre les raisons - à la protection de l'environnement.
Dernier aspect important, la démographie. La politique de contrôle des naissances mise en place depuis plus d'une trentaine d'années a des effets déterminants. La population chinoise est presque arrivée à un palier, elle ne va plus croître dans les prochaines années et, surtout, elle commence à vieillir, phénomène qui va s'accentuer très sensiblement. Il y a environ cinq ans, la population âgée de plus de 60 ans représentait 10 % de la population totale ; ce chiffre aura doublé en 2025. La population active diminue d'ores et déjà et le rapport entre les actifs et les inactifs se dégrade irrémédiablement. Il subsiste certes un « réservoir » important de main-d'oeuvre rurale qui émigre en ville mais, d'une part, il diminue, d'autre part, ces populations ne sont plus prêtes à accepter tous les sacrifices.
D'ailleurs, deux éléments nous ont été mentionnés à plusieurs reprises en ce qui concerne la population active : le nombre de diplômés de l'enseignement supérieur a beaucoup augmenté mais ces jeunes ont de grandes difficultés à trouver un travail à la hauteur de leurs qualifications ; par ailleurs, le « turn-over » dans les entreprises est très élevé, celles-ci ayant les plus grandes peines du monde à fidéliser leurs employés.
Ainsi, de nombreux analystes se posent la question de savoir si la Chine ne va pas « vieillir avant de s'être enrichie ».
Les autorités chinoises sont pleinement conscientes de ces différentes difficultés et évolutions.
En 2013, la Banque mondiale et le Development Research Center, think tank très influent qui dépend directement du Conseil d'Etat chinois, équivalent de notre Gouvernement, et dont nous avons rencontré le président à Pékin, ont conjointement publié un rapport qui a fait date : « Chine 2030 : construire une société moderne, harmonieuse et créative ». Lancé dès 2010, ce travail conjoint de 500 pages tire les leçons de trente ans de croissance et évoque la méthode pour éviter ce que les économistes appellent la « trappe des pays à revenus intermédiaires », c'est-à-dire l'incapacité pour certains pays, après une phase de croissance rapide, à rejoindre le groupe des économies avancées.
Ce rapport « Chine 2030 » rappelle les décisions prises dans le cadre du 12e plan quinquennal (2011-2015) pour éviter ce risque : « qualité » de la croissance ; réformes structurelles notamment en faveur de l'innovation et de l'efficacité économique ; inclusion sociale pour surmonter la division entre urbain et rural et l'écart dans la répartition des revenus.
Ces orientations ont été réaffirmées et amplifiées par les nouveaux dirigeants arrivés au pouvoir à la fin de 2013. En mai 2014, le Président Xi Jinping évoque, par exemple et pour la première fois, une phase de « nouvelle normalité » : prenant acte du vieillissement de la population, de la réduction de l'excédent de main-d'oeuvre agricole, de la diminution de la croissance potentielle ou encore de la fin du modèle de production à faible coût, cette nouvelle normalité vise une montée en gamme de l'économie avec l'accent mis sur les nouvelles technologies et l'innovation dans tous les secteurs. Nous avons aussi entendu plusieurs fois, lors de notre déplacement, la volonté de « donner un rôle décisif au marché », même si la déclinaison de ce principe est variable.
En mai 2015, les autorités ont annoncé un vaste plan « Made in China 2025 » qui engage la transition du « fabriqué en Chine » vers le « conçu en Chine », de la rapidité vers la qualité et des produits vers les marques. Priorité sera ainsi donnée aux hautes technologies, à la robotique, à l'ingénierie spatiale et à d'autres secteurs faisant appel aux technologies de pointe.
Alors que l'ancien modèle de croissance entraînait un niveau élevé des investissements dans le PIB au détriment de la consommation, ainsi qu'un taux d'épargne particulièrement important, la réorientation économique vise le développement de la consommation et des services.
L'importance du taux d'épargne des ménages (environ 40 % du revenu contre 16 % en France ou 10 % en Allemagne) est une caractéristique de l'économie chinoise. Elle résulte de plusieurs facteurs : auto-assurance face à l'avenir ou à un régime de protection sociale encore très insuffisant ; précaution en vue d'un achat immobilier. Le système de protection sociale s'est certes rapidement développé depuis le milieu des années 2000 mais il reste fragmenté, inégal selon les territoires et les populations et insuffisant en termes de couverture. La Chine est ainsi confrontée à la nécessité de renforcer son système de protection sociale pour réorienter l'épargne vers la consommation et faire face au vieillissement.
Dans ce contexte global, quelles sont les perspectives de l'économie chinoise ?
La réorientation d'une économie, en particulier lorsqu'elle atteint un volume aussi impressionnant et dans un contexte mondial déprimé, n'est pas chose facile ! Il est impossible de faire table rase du passé et toute évolution est nécessairement progressive.
Les autorités chinoises ont lancé une vaste réforme du financement de l'économie et du système financier : libéralisation quasi-intégrale des taux d'intérêt, dispositif de garantie des dépôts, connexion entre les bourses de Shanghai et de Hong Kong, etc. Elles ont notamment encouragé le développement de la bourse de Shanghai, en incitant par exemple les Chinois à y investir. Or cette bourse, qui est beaucoup moins connectée à l'économie réelle que ce que nous connaissons en Europe ou aux Etats-Unis, est encore mal régulée ; elle connaît une volatilité importante. Cet été, la presse internationale s'est ainsi fait l'écho de fortes baisses des indices qui ont chuté d'environ 40 %. Mais il faut savoir que la bourse de Shanghai avait augmenté de 150 % en un an ! Il est certain que nombre de petits porteurs ont vu leurs espoirs, et parfois leur capital, s'évaporer ainsi, mais l'impact réel de la baisse du mois d'août sur l'économie est faible.
On peut également citer le secteur de l'énergie. La Chine adopte, contrairement à ce qui s'était passé à Copenhague, une attitude positive dans le cadre des négociations de la COP21 et entend réorienter ses sources d'énergies (développement des énergies renouvelables ou du nucléaire), mais elle ne pourra pas se passer d'une part importante de centrales thermiques à charbon même si elle promeut la construction de centrales plus modernes respectant de meilleures normes de qualité. En outre, des problèmes de réseaux et d'aménagement global se posent d'ores et déjà ; la Chine a par exemple construit de très importants parcs d'énergie solaire mais a des difficultés à utiliser l'électricité produite en raison de problèmes de raccordements. Là aussi, les autorités font preuve d'un grand pragmatisme : l'accroissement des normes environnementales permet de fermer des centrales anciennes et de résorber des surcapacités existantes...
Sur le plan macro-économique, les autorités chinoises ont abaissé leurs objectifs de croissance pour le fixer autour de 7 %. Elle s'est élevée à 7,4 % en 2014. Certains analystes s'effraient de cette évolution mais, d'une part, il s'agit encore d'une des croissances les plus élevées au monde, d'autre part, soyons également conscients que l'assiette sur laquelle s'applique le taux de croissance est beaucoup plus large qu'auparavant : 7 % de création de richesse sur le PIB d'aujourd'hui représente un volume supérieur à 10 % sur le PIB d'il y a dix ans.
Au total, l'économie chinoise est particulièrement robuste. Nous devons notamment toujours tenir compte de « l'effet volume » lié aux dimensions de la Chine. Tout est « hors de proportion », au sens littéral du terme, par rapport à ce que nous pouvons connaître. La classe moyenne haute, qui consomme beaucoup, est à la taille de l'Allemagne tout entière !
Qui plus est, les réserves financières du pays sont extrêmement élevées : les réserves de change sont supérieures à 4 000 milliards de dollars et la balance commerciale reste largement excédentaire. En outre, les pouvoirs publics continuent de disposer de moyens d'action considérables sur l'économie, que ce soit en termes financiers ou en termes administratifs et humains. Ils mettent en oeuvre des plans quinquennaux qui définissent une stratégie de moyen et long terme qui s'applique effectivement à l'économie réelle.