Intervention de François Villeroy de Galhau

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 29 septembre 2015 à 16h07
Audition de M. François Villeroy de galhau candidat proposé par le président de la république aux fonctions de gouverneur de la banque de france

François Villeroy de Galhau :

Merci de votre accueil. Il vous revient aujourd'hui d'apprécier si je peux remplir une mission dont je mesure toute la responsabilité au service de notre pays. Cette procédure, exercée pour la première fois s'agissant de la Banque de France, donne des garanties de transparence et de contrôle qui confèrent à un mandat davantage de légitimité et d'impartialité. Je crois à la démocratie et au respect de nos institutions. Voilà pourquoi j'ai décidé, depuis la proposition du Président de la République, de réserver aux parlementaires - et à eux seuls - mon intervention ainsi que les réponses à vos questions légitimes, sereinement. Cette règle n'a pas toujours été facile, mais elle s'imposait. Je suis donc heureux que le temps de cette audition soit venu.

Pour apprécier mon aptitude à cette fonction, vous avez à juger d'une personne, de sa compétence, et de son indépendance. Sur la personne, pour aller au-delà de certaines étiquettes parfois hâtivement collées, deux ou trois éclairages sur mon histoire : je suis un homme de l'Est, né à Strasbourg et dont les racines familiales sont depuis longtemps en Lorraine, et même en Sarre, autrefois terre française et aujourd'hui de l'autre côté de la frontière. Nous avons choisi de rester français, ce qui crée un lien encore plus profond avec mon pays. Et je suis en même temps un Européen de conviction et de pratique, en Allemagne ou plus récemment en Italie.

Je suis avant tout un homme de service public. J'y ai passé déjà vingt ans de ma vie professionnelle, marqués notamment par deux grands engagements : la construction de l'Union économique et monétaire, à Paris et à Bruxelles ; la réforme de la direction générale des impôts que j'ai eu l'honneur de diriger. En 2003, quand je suis allé en entreprise, j'ai dit que c'était pour moi une autre façon de servir notre pays et la force de son économie. L'expression a, paraît-il, surpris, de part et d'autre, mais je crois qu'il ne faut pas opposer à l'excès ces deux mondes. J'ai appris à bien connaître les entrepreneurs ; mais l'intérêt pour la chose publique ne m'a jamais quitté.

J'espère enfin être un homme de convictions. Sans prétendre donner de leçons, avec humilité, je crois à la responsabilité sociale - de chacun mais d'abord des dirigeants, y compris économiques. Je crois à l'éthique, y compris en matière financière : j'ai toujours dit ce que je pensais des excès de la finance et de certaines rémunérations ; je me suis engagé pour le développement du microcrédit et de l'entrepreneuriat social. Je crois au débat d'idées et au dialogue entre personnes respectueuses de leurs différences : ce dialogue est pour notre pays aujourd'hui, avec toutes ses peurs et le drame du chômage, le défi le plus difficile ; vous le ressentez plus quotidiennement encore que moi.

Sur mes compétences, la question n'est évidemment pas d'inventer une querelle entre les inspecteurs et les docteurs. C'est plutôt la variété de mon parcours professionnel, construit cependant autour d'une continuité d'engagement, qui m'a - je l'espère -bien préparé pour cette mission. Outre les connaissances européennes et en économie - que j'ai enseigné dix ans - il y a trois savoir-faire spécifiques que j'ai davantage développés, y compris par mon expérience bancaire : le management de grandes équipes et d'un réseau ; la connaissance du terrain, des entreprises, notamment des PME, et de leur financement ; le sens, ou le goût, de la pédagogie sur des sujets rapidement trop techniques. Le rapport que j'ai remis fin août sur le financement de l'investissement montre, je l'espère, cette valeur ajoutée. Ce plus de compétence risque-t-il d'entraîner un moins d'indépendance ?

Cette question de l'indépendance est légitime, et je l'ai prise très au sérieux. J'ai d'abord voulu garantir qu'il n'y aurait jamais de situation de conflit d'intérêts, telle que vous l'avez définie à l'article 2 de la loi de 2013 sur la transparence de la vie publique : que jamais ne puisse exister un intérêt privé « de nature à influencer ou paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif » de mes responsabilités. Après avoir examiné rigoureusement l'ensemble des dispositions existant en droit français, j'ai indiqué dans la lettre que j'ai fait parvenir à votre présidente dès le 9 septembre que je n'aurai plus aucun intérêt présent ni différé dans BNP Paribas ni dans aucune banque ou institution financière, et que j'ai renoncé pour cela définitivement à tous mes droits financiers. Par ailleurs, les décisions individuelles concernant les grandes banques ont été significativement réduites par le transfert de leur surveillance à Francfort depuis le 1er novembre dernier ; je m'engage cependant, à titre de précaution supplémentaire, à ne participer à aucune décision individuelle d'aucune sorte concernant BNP Paribas dans les deux ans suivant mon départ.

Mais l'indépendance, c'est davantage que cette absence de tout conflit d'intérêts. C'est veiller à ce que la réglementation collective du secteur des banques et assurances soit toujours prise en fonction de l'intérêt général. J'ai lu parfois que, si j'étais nommé, je risquais d'être prisonnier de la finance. C'est extrêmement mal me connaître : j'ai mes limites, comme chacun ; mais je suis un homme libre, et je suis un homme droit. Et je déciderai en fonction seulement de ce que je crois être bon pour notre pays et son économie. Je m'appuierai pour cela sur l'expertise forte des équipes de la Banque de France, et sur ce que je connais du secteur - et je crois que c'est un atout. L'exemple des pays étrangers montre combien cette expérience peut apporter pour des banquiers centraux. L'indépendance, ce sont des règles le plus rigoureuses possibles, mais aussi un caractère, et une éthique. C'est sur ces trois composantes que vous apprécierez la confiance à m'accorder ; et si vous le faites, ce sont ces trois composantes - des règles, un caractère, une éthique - que j'aurai ensuite à appliquer chaque jour, pour défendre le bien commun qu'est la monnaie.

Ces missions s'exercent bien sûr dans le contexte nouveau créé par l'euro, depuis seize ans, et l'union bancaire depuis l'an dernier, mais la Banque de France joue toujours un rôle essentiel pour l'économie française et européenne. Je ne prétendrai pas aujourd'hui vous en donner déjà une lecture achevée, et je serais heureux dans l'avenir d'avoir sur ces sujets un dialogue aussi fréquent et complet que possible avec votre commission. Je résumerai ma vision des missions de la Banque de France autour de trois grands objectifs : la stratégie monétaire ; le service économique, pour la collectivité nationale ; la stabilité financière, afin d'assurer une meilleure prévention des crises.

L'euro repose sur un système fédéral efficace, composé de la BCE et des banques centrales nationales. De cet eurosystème, la Banque de France est le pilier français. Elle a donc tout son rôle à jouer en amont, dans les débats et décisions de politique monétaire qui appartiennent au Conseil des Gouverneurs, comme en aval dans la réalisation des opérations qui lui incombent pour notre territoire, ainsi que la monnaie fiduciaire. Je crois que la politique monétaire active menée avec Mario Draghi est la bonne pour tendre vers une inflation proche de 2 %. Elle est nécessaire pour soutenir la croissance, même si elle ne peut y suffire : il y faut des réformes dans chaque pays, dont le nôtre ; il faut un renforcement de la zone euro, et il ne faut pas renoncer à l'ambition d'un meilleur ordre monétaire mondial. Notre monnaie, ce sont bien sûr les règles des traités, mais c'est à mes yeux beaucoup plus qu'un outil technique : une bonne monnaie comme l'euro doit porter pour nos concitoyens des valeurs essentielles de confiance et de justice. Au titre de cette stratégie monétaire, je veux poursuivre l'ambition incarnée par Christian Noyer d'une Banque de France en position de leadership européen, en particulier sur les opérations de marché ou les moyens de paiement.

Le service économique à la collectivité nationale, ensuite. À ce titre, la Banque de France doit d'abord apporter, notamment aux élus, le meilleur diagnostic possible sur la conjoncture, la situation des entreprises, les financements en soutien du développement. Elle doit rendre des services concrets aux particuliers, à commencer par les plus défavorisés, dans le traitement du surendettement, l'accès aux comptes bancaires, la protection et l'éducation financière des consommateurs. Et elle est également au service des PME, à travers la cotation et la médiation du crédit. Ces missions de service économique s'ancrent très heureusement sur le terrain : je compte aller dans chacune des nouvelles régions dans la première année de mes fonctions pour rencontrer les équipes de la Banque mais aussi les acteurs publics et privés dans les territoires. Cet ancrage éclaire en retour la stratégie monétaire : la Banque de France a cette grande chance d'avoir la tête dans l'Europe et les pieds sur le terrain ; je compte développer encore ce lien.

La stabilité financière, enfin. Cette mission s'est évidemment renforcée depuis la crise financière et ses ravages. Elle a son volet individuel, pour garantir la sécurité de l'épargne : la supervision des assurances et des banques, avec le grand progrès de l'union bancaire. Un système financier sain sert notre pays. Mais la stabilité financière exige surtout un volet collectif : le renforcement de la réglementation financière et la surveillance des risques d'enchaînement dits macroprudentiels. Un travail complexe, considérable, indispensable, a été mené depuis 2009 à Bâle, à Bruxelles, à Paris. Ce travail est souvent critiqué, excessivement. Les règles du jeu n'ont plus rien à voir avec celles de l'avant-crise : les banques ont dû considérablement renforcer leurs protections. À l'inverse, Bâle III ne pèse pas à mon sens sur la croissance. Pour autant, nous devons rester très vigilants pour l'avenir, ce qui suppose notamment une présence active, dans les discussions de Bâle, de la France comme de la zone euro - qui partage en général le même modèle de financement par des banques intégrées.

Stratégie, service, stabilité : voici le triangle fondateur des missions de la Banque de France. Triangle dynamique, car chacune des missions nourrit les deux autres. Encore faut-il pour cela deux conditions transversales du succès. La première est de contribuer davantage encore au débat économique rigoureux dans notre pays. Nos défis sont immenses ; notre culture économique collective passe pour être faible ; nos affrontements sont souvent stéréotypés ; nos cloisons sont trop étanches entre responsables publics, entrepreneurs, recherche économique. Notre pays a pourtant une communauté d'économistes parmi les plus reconnues au monde ; la Banque de France a en son sein beaucoup de talents et de données pour nourrir avec cette communauté extérieure l'éclairage des problèmes, et la recherche de leurs solutions. Je m'engagerai en ce sens.

La seconde clé du succès, ce sont les équipes de la Banque de France et leur management : 12 000 hommes et femmes très attachés à leur métier et reconnus pour leur fiabilité et leur professionnalisme. La moitié est hors des services centraux, dans le réseau ou la fabrication des billets. La Banque est engagée dans un plan résolu d'adaptation de ce réseau qui combine efficacité et visibilité dans chaque département. Au-delà, il y a un bel horizon de management : la Banque de France peut être exemplaire dans la transition des générations, la modernisation de ses méthodes de travail, l'ouverture de sa culture.

La Banque de France peut regarder l'avenir avec ambition, parce qu'elle est forte de son nom et de son histoire, mais plus encore parce que ses missions en font un instrument exceptionnel au service d'une monnaie fiable, et plus largement d'une croissance saine et d'un emploi durable. Telles sont les finalités qui m'animeront, si vous me confiez cette responsabilité pour notre pays.

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