Intervention de François Villeroy de Galhau

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 29 septembre 2015 à 16h07
Audition de M. François Villeroy de galhau candidat proposé par le président de la république aux fonctions de gouverneur de la banque de france

François Villeroy de Galhau :

La différence entre les modes de financement de l'économie en Europe et aux États-Unis est incontestable. Si l'on considère le financement par la dette, 20 % des entreprises européennes se financent sur les marchés, 80 % auprès des banques ; aux États-Unis, la proportion est presque inversée, à 25 % contre 75 %. De plus, le financement par fonds propres sous la forme d'actions, qui est la marque d'une économie de l'innovation, est bien plus important aux États-Unis.

Concernant le financement par la dette, je me méfie du discours sur la désintermédiation. Il y a eu quelques discours excessifs autour du paquet Barnier, alors même que l'intention de son auteur n'était aucunement d'aligner l'Europe sur le modèle américain. Pour ma part, je crois à la diversification tirée par la demande, adaptée aux besoins des entreprises - surtout les ETI, mais aussi les PME - qui devraient pouvoir faire appel aux marchés, aux placements privés ou encore aux plateformes de financement participatif, une solution encore marginale mais très en vue. Nous avons besoin d'une réglementation cohérente sur ce point, mais pas d'une désintermédiation forcée. J'ai pu constater, lors de mes rencontres avec les ETI et PME, à quel point cette liberté était demandée.

Tout cela pose deux questions. En premier lieu, il faut éviter que le modèle américain ne s'impose dans les discussions autour de « Bâle IV ». Il n'y a aucune raison de transposer la réglementation américaine.

En second lieu, ce modèle de financement diversifié ne doit pas comporter de trous dans la régulation. L'appellation « shadow banking » est parlante, mais elle a perdu en précision ce qu'elle a gagné en notoriété. Pour certains, cela recouvrirait tout ce qui n'est pas banque : c'est excessif. Il est vrai, cela dit, que des masses considérables de financements se déplacent du secteur régulé vers le secteur non régulé. Il existe quatre grandes catégories d'intermédiaires financiers : les banques, les assurances, les gestionnaires d'actifs et les fonds de pension - ces derniers ne concernent pas la France. Pour les deux premiers, le gros du travail a été fait. Reste à réguler les gestionnaires d'actifs. Yves Perrier, qui dirige Amundi, plus gros gestionnaire d'actifs français et seul acteur européen d'importance mondiale, a courageusement pris parti pour un renforcement de la réglementation. C'est aussi la priorité du Conseil de stabilité financière de Bâle. Certes, les intérêts en la matière diffèrent de part et d'autre de l'Atlantique. Mais Mark Carney, Gouverneur de la Banque d'Angleterre, et Stefan Ingves, président du Comité de Bâle, semblent décidés à progresser sur ce dossier. Il est souhaitable qu'un accord soit trouvé d'ici 2016, qui ne devra évidemment pas consister en une transposition pure et simple de la réglementation bancaire : imposer des obligations de capital à des gestionnaires d'actifs n'a guère de sens. Mais instaurer des règles de liquidité, surveiller les effets de levier et imposer des stress tests aussi puissants que ceux appliqués aux banques permettra de diminuer l'ampleur des arbitrages réglementaires.

Votre question sur le franc CFA m'a touché, car mon premier poste à la direction du Trésor a été au bureau de la zone franc. J'y ai cru, j'y crois toujours. La dévaluation de 1994 a consolidé la zone franc CFA en rendant la croissance compatible avec la stabilité monétaire. Cette zone est un atout pour le développement des pays d'Afrique francophone et constitue un lien important entre ces pays et la France.

La faiblesse des taux d'intérêt est en effet préoccupante pour le secteur assurantiel. Lors de sa réunion de début septembre, le Haut Conseil de stabilité financière - l'un des grands progrès issus de la loi de 2013 - a souligné la nécessité d'une baisse ordonnée des rendements servis sur l'assurance-vie. Sujet sensible, mais il est nécessaire d'anticiper la baisse à venir sur le stock. Tout est affaire de pilotage en finesse. Le plus grand risque serait, du reste, une remontée brutale des taux, qui diminuerait la valeur du portefeuille obligataire. Ce risque semble toutefois lointain : ce n'est pas l'orientation actuelle de la politique monétaire.

La politique du Conseil des Gouverneurs n'a pas eu d'effet immédiat sur l'inflation dans la zone euro, en effet. Notons toutefois que celle-ci est sortie du territoire négatif, où elle était au début de l'année, pour s'établir en août à 0,1 %. Pour autant, nous sommes loin du compte. Une partie de l'explication réside dans la faiblesse du prix du pétrole, des matières premières et des produits alimentaires. Hors énergie et alimentation, l'inflation dans la zone euro est d'ailleurs comprise entre 0,6 % et 0,9 % selon les pays. Cela dit, les anticipations ont remonté : on attend désormais 1,5 % ou plus pour la fin de l'année 2017. De plus, le coût de financement des États, des entreprises et des ménages a baissé, ce qui est bon pour la croissance européenne. Cette politique a enfin eu un effet sensible sur les taux de change : 1 euro vaut 1,12 dollars, contre 1,30 à 1,40 début 2014, ce qui est bon pour notre compétitivité. Mario Draghi et les membres du Conseil des Gouverneurs se sont dits prêts à adapter leur politique s'il fallait en faire plus et à intensifier ou prolonger le programme de rachat d'actifs si besoin, faisant preuve d'un grand pragmatisme.

L'Espérance d'un Européen est un titre délibérément un peu provocateur...

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