Intervention de Philippe Dominati

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 7 octobre 2015 à 9h30
Moyens consacrés au renseignement au sein des programmes « police nationale » et « gendarmerie nationale » — Contrôle budgétaire - communication de m. philippe dominati rapporteur spécial

Photo de Philippe DominatiPhilippe Dominati, rapporteur spécial :

En janvier 2015, notre pays a été une nouvelle fois touché par le fléau du terrorisme.

À la suite de ces événements dramatiques, notre commission a décidé de me confier une mission de contrôle sur les moyens consacrés au renseignement intérieur au sein des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale ».

J'ai fait le choix d'ordonner ce contrôle budgétaire autour de deux grandes questions. Les services ont-ils les moyens d'assurer leurs missions ? L'efficacité de l'organisation administrative du renseignement intérieur pourrait-elle être améliorée à moyens constants ?

Avant de vous présenter mes conclusions, permettez-moi tout d'abord un bref rappel concernant l'organisation du renseignement intérieur. Désormais, quatre services y concourent.

Parmi ces quatre services, trois relèvent de la police nationale. La DGSI, le « navire amiral » rattaché directement au ministre, est principalement responsable du contre-espionnage, de la prévention du terrorisme et de la protection du patrimoine économique et scientifique. Le Service central du renseignement territorial (SCRT), rattaché à la sécurité publique, reprend 90 % des missions des renseignements généraux (RG) et a été récemment chargé de la détection des « signaux faibles » en matière de terrorisme. La Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP) est chargée du renseignement de proximité et de la prévention du terrorisme et des extrémismes à Paris.

La gendarmerie dispose quant à elle depuis peu de son propre service - la sous-direction de l'anticipation opérationnelle (SDAO) - qui doit permettre à la gendarmerie de disposer d'une capacité propre d'appréciation des situations.

À l'issue de ce contrôle, mon premier constat est globalement positif : les services sont actuellement en mesure d'assurer leurs missions.

J'ai pu constater le dévouement et le professionnalisme des agents rencontrés à l'occasion des déplacements et des auditions, que je tiens ici à saluer.

Sur le plan de l'organisation administrative, les réformes de 2008 et 2013 ont permis dans une certaine mesure de rationaliser et d'adapter l'architecture du renseignement intérieur à l'évolution de la menace.

Sur le plan juridique, la loi du 24 juillet 2015 a utilement renforcé les moyens à la disposition de nos services.

Sur le plan des moyens humains, même avant les attentats de janvier, la France ne souffrait pas d'un sous-investissement dans le renseignement intérieur. Avec environ 6 200 postes, les effectifs des services français, pondérés par la population, apparaissent en effet comparables aux effectifs canadiens et supérieurs à ceux de nos principaux voisins européens - même si les comparaisons sont toujours délicates dans ce domaine.

Toutefois - et c'est ma deuxième observation - ce diagnostic doit être relativisé sur la période récente par l'accroissement de la menace terroriste, qui pèse de manière asymétrique sur les différents pays européens.

La crise syrienne a conduit à un « changement d'échelle » de la menace terroriste qui fragilise nos services. La France fait partie des pays européens les plus touchés : le nombre de combattants étrangers pour un million d'habitants est deux fois plus élevé dans notre pays qu'au Royaume-Uni et en Allemagne et dix fois plus élevé qu'en Espagne et en Italie.

Or, cette augmentation de la menace se traduit par un surcroit d'activité important pour les services. À titre d'illustration, le nombre d'affaires de terrorisme liées au conflit en Syrie a connu une augmentation de 200 % en moins d'un an en France.

Dans ce nouveau contexte, le renforcement des effectifs des services de renseignement est prioritaire. Aussi, l'annonce de la création de 1 735 emplois supplémentaires au sein des services dans le cadre des plans de lutte contre le terrorisme de 2013 et 2015 devra être concrétisée.

Surtout, compte tenu de la fragilité de la situation actuelle, il est nécessaire d'anticiper l'évolution de la menace et de mettre en place dès à présent une stratégie permettant d'accroître l'efficacité du renseignement intérieur à moyens constants.

À cette fin, - c'est ma troisième observation - une nouvelle évolution de l'organisation administrative du renseignement intérieur semble indispensable.

Nos principaux alliés - à l'exception du cas très particulier des États-Unis - ne comptent en général qu'un seul service de renseignement intérieur. Nous en avons quatre.

Plus inquiétant encore, certaines évolutions récentes ont accru l'éclatement de notre organisation. L'exception parisienne a été étendue à la petite couronne en 2009 avec la réforme de la police d'agglomération. Le sentiment de « marginalisation » de la gendarmerie a conduit à créer en son sein un service de renseignement spécifique en 2013, alors même que le renseignement territorial devait bénéficier d'un monopole sur le renseignement de proximité et constituer un laboratoire du rapprochement entre police et gendarmerie.

Dans ce contexte, les dispositifs de coordination entre les services ont été opportunément renforcés, en complément du rôle de coordination interministérielle traditionnellement assuré par l'Unité de coordination de la lutte anti-terroriste (UCLAT), rattachée au DGPN.

Toutefois, l'organisation administrative actuelle est confrontée à trois faiblesses structurelles pour lesquelles les dispositifs de coordination mis en place n'apportent pas réellement de solution.

Premièrement, l'efficacité des mécanismes de coordination repose avant tout sur la « bonne volonté » des différents directeurs.

Deuxièmement, la multiplication des dispositifs de coordination ne semble pas avoir permis de mettre fin au climat de défiance entre les services au plan territorial, notamment entre policiers et gendarmes.

Troisièmement, la complexité de l'organisation actuelle impose la mise en place d'une multiplicité de mécanismes de coordination qui peuvent apparaître comme coûteux en termes d'effectifs, dans un contexte budgétaire contraint.

Aussi, je suggère dans ce rapport une évolution ambitieuse visant à passer de quatre à deux services de renseignement intérieur.

Dans cette perspective, le repositionnement du SCRT constitue une première étape indispensable.

En effet, les intérêts des directeurs départementaux de la sécurité publique (DDSP) et des agents du renseignement territorial sont souvent contradictoires. Dans certains cas, il arrive même que le DDSP filtre les notes du renseignement territorial destinées au préfet lorsqu'elles remettent en cause son action. Par ailleurs, le rattachement à la sécurité publique se traduit par une faible autonomie budgétaire et de recrutement. Ce rattachement suscite également une réaction de défiance de la gendarmerie, qui a notamment conduit à la création d'un service de renseignement dédié en son sein.

Aussi, un rapprochement entre le SCRT et la SDAO pourrait être envisagé.

Une possibilité serait de fusionner la SDAO et le SCRT en contrepartie d'un rattachement de la nouvelle entité aux deux directeurs généraux de la police et de la gendarmerie.

Une alternative consisterait à faire de la nouvelle entité une direction générale du ministère de l'intérieur - ce qui aurait pour avantage supplémentaire d'accroître son indépendance et son autonomie budgétaire et de recrutement.

Cette réorganisation pourrait ouvrir la voie à une évolution de plus grande ampleur visant à achever l'évolution débutée en 1965 avec le transfert de la mission de contre-espionnage de la préfecture de police de Paris à la DST.

Concrètement, il s'agirait de mettre fin à l'exception parisienne que constitue la DRPP. Sa mission de lutte contre le terrorisme et les extrémismes violents pourrait être confiée à une direction zonale de la DGSI. Sa mission d'information générale pourrait être confiée à une direction zonale de la nouvelle entité chargée du renseignement de proximité. Sa mission de lutte contre l'immigration clandestine et le travail illégal pourrait enfin être transférée à la police aux frontières.

À plus long terme, il pourrait même être discuté de l'opportunité d'instaurer un seul grand service de renseignement intérieur, à l'image de ce qui existe chez nos principaux voisins.

S'agissant de l'UCLAT, son rattachement à la DGPN semble contradictoire avec la nature interministérielle de ses missions et source de rivalités entre forces de police et de gendarmerie. Aussi, je propose dans ce rapport de clarifier son positionnement.

Au-delà de la question de l'organisation administrative, les moyens consacrés au renseignement intérieur doivent être mieux ciblés afin de gagner en efficacité. C'est ma quatrième observation.

Tout d'abord, je remarque que le renseignement territorial demeure le « parent pauvre » du renseignement intérieur.

Ses personnels ne représentaient fin 2014 que 60 % de ceux des RG, alors que dès 2011 la Cour des comptes notait que le renseignement territorial a conservé 90 % des missions des RG. Depuis, il s'est même vu confier une mission supplémentaire de détection des « signaux faibles » en matière de prévention du terrorisme.

Ainsi, il existe de nombreux départements dans lesquels le renseignement territorial n'a pas atteint une taille « critique » lui permettant d'assurer correctement l'ensemble de ses missions. Au 31 décembre 2014, les effectifs demeurent ainsi inférieurs à dix agents dans vingt-six départements.

Je recommande donc de donner la priorité au renforcement des effectifs du renseignement territorial.

Par ailleurs, une inquiétude forte existe concernant l'évolution des moyens mis à la disposition des personnels.

Les données disponibles, bien que difficiles à isoler, indiquent par exemple que la part des dépenses de personnel a atteint un niveau critique tant à la DRPP qu'au SCRT.

Ce déséquilibre se traduit déjà par des difficultés opérationnelles importantes. J'ai ainsi pu constater dans un département que le service départemental du renseignement territorial (SDRT) ne disposait que d'un seul poste internet pour treize agents. D'autres exemples de ce type sont mentionnés dans le rapport.

Aussi, il est indispensable d'assurer un équilibre entre la croissance des dépenses de personnel et l'évolution des dépenses de fonctionnement et d'investissement.

Enfin, il apparaît que les implantations territoriales de certains services concourant au renseignement intérieur ont été insuffisamment adaptées à l'évolution de la menace. On reste bien souvent sur l'histoire.

Au-delà de la nécessité du mieux cibler les moyens, le rapport met également en évidence que des contraintes pesant sur la formation et le recrutement des agents continuent de freiner la productivité de nos services. C'est ma cinquième observation.

Les faiblesses du modèle français de recrutement et de formation en matière de renseignement sont bien connues : les concours administratifs existants ne permettent pas toujours de recruter les profils adéquats, alors même la formation continue est peu développée et que le recrutement de contractuels est freiné sur le plan juridique et financier.

Les réformes de 2008 et 2013 ont permis, dans une certaine mesure, de faire évoluer les modalités de recrutement et de formation.

Toutefois, des marges de progrès importantes subsistent.

Sur le plan du recrutement, les opportunités offertes par la transformation de la DCRI en direction générale demeurent insuffisamment exploitées. À titre d'exemple, la part des contractuels y est plafonnée à 15 %, alors qu'elle est déjà de 23 % à la DGSE. S'agissant des autres services concourant au renseignement intérieur, les évolutions sont faibles voire inexistantes, pour des raisons autant administratives que culturelles.

Sur le plan de la formation, l'offre des différents services demeure marquée par son éclatement. Les premiers efforts de mutualisation doivent impérativement être amplifiés.

Il est également regrettable que les liens avec le monde universitaire demeurent aussi faibles.

Enfin - et c'est mon dernier constat - l'effectivité du contrôle parlementaire du renseignement intérieur pourrait être renforcée.

Il est aujourd'hui impossible d'identifier les crédits et les effectifs des services concourant au renseignement intérieur dans les documents budgétaires, ce qui est pourtant déjà possible pour les services relevant du ministère de la défense.

Aussi, je fais dans le rapport plusieurs préconisations pour rénover l'architecture budgétaire du renseignement intérieur.

Par ailleurs, il me semble qu'une plus grande complémentarité des travaux de la Délégation parlementaire au renseignement et des commissions chargées des finances pourrait être recherchée.

Là encore, diverses propositions sont examinées dans le rapport pour renforcer la dimension budgétaire du dispositif de contrôle parlementaire des services de renseignement.

Je vous remercie.

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