Intervention de Jean-Noël Cardoux

Réunion du 12 octobre 2015 à 21h30
Protection de l'enfant — Discussion en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Noël CardouxJean-Noël Cardoux :

Monsieur le président, madame le secrétaire d’État, madame le rapporteur, mes chers collègues, je ne reviendrai pas, en tant qu’orateur de mon groupe, sur les observations qui ont été formulées par Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, et François Pillet, rapporteur pour avis de la commission des lois, sur les problèmes de fond soulevés par la proposition de loi. Je me bornerai à souligner les répercussions de ce texte sur les finances et sur l’administration des départements, même si la question a déjà été largement abordée.

Depuis l’examen de cette proposition de loi en première lecture au Sénat, au mois de mars dernier, deux événements majeurs se sont produits.

D’une part, la proposition de loi a été presque intégralement réécrite, même si le fond demeure. De fait, le nombre de ses articles, initialement de seize, a plus que doublé, douze des articles supplémentaires ayant été proposés par le Gouvernement. C’est dire si la modification est substantielle !

D’autre part, la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République a été adoptée, loi qui fragilise sensiblement les départements sur le plan financier. En effet, l’attribution aux régions de 50 % de la recette de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises risque d’obérer les finances des départements de près de 4 milliards d’euros à terme. Cette perte, loin d’être neutre, aggravera encore leur asphyxie financière.

Or l’aide sociale à l’enfance représente pour les départements le troisième poste de dépenses sociales. Au total, près de 300 000 jeunes sont pris en charge par les départements, qui consacrent à cette mission 7 milliards d’euros par an, soit environ 20 % de leurs dépenses d’action sociale. Autant dire que le poids de cette politique est loin d’être négligeable pour les finances départementales.

Alors que l’État réduit ses dotations aux collectivités territoriales, voici que le Gouvernement, cédant à une dérive de réécriture d’un texte devenu trop bavard, impose des obligations supplémentaires et coûteuses à des conseils départementaux déjà exsangues.

Dans sa version initiale, la proposition de loi était louable et consensuelle. Elle le demeure, pour l’essentiel, dans sa rédaction actuelle, comme tous les orateurs l’ont signalé. Reste qu’il faut faire preuve de réalisme. À cet égard, si le Gouvernement dit ce qui devrait être, dans une perspective angélique et idéale, notre groupe, plus pragmatique, dit ce qui peut être réalisé, compte tenu de l’état des finances des départements.

Dans ce contexte, nous avons déposé des amendements tendant à rétablir plusieurs dispositions que l’Assemblée nationale a supprimées ou à y insérer des mesures qui n’ont pas été adoptées en première lecture. Toutes nos propositions visent à alléger les contraintes imposées aux départements.

Ainsi, à l’article 1er, nous proposerons une nouvelle fois la suppression du Conseil national de la protection de l’enfance, avec des arguments inchangés. Nous estimons que cet organisme n’améliorera pas le fonctionnement du dispositif de protection de l’enfance, qui est entièrement décentralisé et relève de la compétence des départements depuis 1983. Pis, il fera doublon avec l’Observatoire national de la protection de l’enfance, instauré par l’article 3 en remplacement de l’Observatoire national de l’enfance en danger. Dans un esprit de simplification, il me paraît tout à fait souhaitable d’opter pour une structure unique dotée de compétences élargies.

À l’article 2, nous défendrons la suppression de l’élaboration du programme de formation par les départements. Remarquez que ce n’est pas tant la formation qui est en cause que les conditions d’un éventuel financement par les départements, que nous souhaitons voir précisées. Vous constaterez que nous avons légèrement modifié dans ce sens l’amendement que nous avions présenté en commission.

À l’article 4, nous proposerons que l’institution d’un médecin référent pour la protection maternelle et infantile reste optionnelle. Bien entendu, il faudrait un médecin de PMI dans chaque département. Seulement, indépendamment même de la charge supplémentaire qu’une obligation ferait peser sur les départements, en particulier sur ceux qui ont le moins de moyens, il faut encore pouvoir trouver un tel médecin, à l’heure où frappent la pénurie de praticiens et la désertification médicale que nous connaissons tous. C’est pourquoi nous avons conçu une solution palliative qui permettrait de rendre le dispositif moins contraignant.

À l’article 7, nous plaiderons pour l’abandon de la nouvelle commission pluridisciplinaire dont la création est prévue au sein des départements. Nous avons déjà souligné en première lecture que cette usine à gaz – pardonnez-moi d’employer régulièrement cette expression, mais elle s’applique ici tout à fait ! – ferait obstacle aux procédures actuelles et risquerait de les ralentir. Une superposition est à craindre avec les décisions du juge, puisque l’arbitrage des services sera rendu avant celui du juge. Cette nouvelle structure ne peut que complexifier les situations et entraîner un surcoût pour les conseils départementaux.

Par ailleurs, nous proposerons de modifier ou de supprimer certaines dispositions de deux autres articles.

En ce qui concerne la prise en charge des majeurs, prévue à l’article 5 EA, soyons clairs. Qu’un jeune ayant été confronté à des situations extrêmement difficiles doive continuer d’être accompagné lorsqu’il entre dans sa majorité, nous en sommes tous d’accord. Il faut encadrer ces jeunes pour éviter qu’ils n’aillent à la dérive. Seulement voilà, nous butons, une fois de plus, sur le problème du financement par les départements, qui ont été échaudés au cours des années passées.

Évidemment, nous ne pouvons pas proposer que l’État soit tenu d’assurer cette prise en charge, puisqu’on nous opposerait aussitôt l’article 40 de la Constitution. Nous nous y sommes d’ailleurs refusés. En revanche, je répète que, en vertu de l’article 72-2 de la Constitution, « toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses de collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi ». Madame le secrétaire d’État, nous espérons que le Gouvernement, par votre voix, prendra des engagements de nature à rassurer les départements, qui redoutent actuellement que l’article 5 EA, dont chacun reconnaît l’utilité, n’entraîne pour eux des charges supplémentaires.

Mes chers collègues, tous ceux d’entre nous qui ont exercé des responsabilités au sein d’un exécutif départemental ces dernières années connaissent les problèmes posés par les mineurs étrangers. Lorsque j’étais chargé des affaires sociales au sein de l’exécutif du Loiret, nous étions aux premières loges en la matière ; vous le savez bien, madame le secrétaire d’État, car nous en avions souvent discuté.

Quant à la modification apportée par la commission des affaires sociales à l’article 5 ED sur l’initiative de Catherine Deroche, nous en défendrons le maintien. Je comprends bien la motivation de ceux qui soutiennent l’idée du pécule : lorsqu’un jeune un peu en déshérence arrive à sa majorité, il peut être bon de lui accorder un petit pécule pour favoriser son départ dans la vie adulte et, le cas échéant, dans la vie active. Reste que telle n’est pas du tout la raison d’être d’une allocation sociale comme l’allocation de rentrée scolaire. Si nous voulons instaurer un pécule, trouvons d’autres moyens.

À cet égard, je rappelle que le Sénat a adopté la proposition de loi, présentée par Christophe Béchu et Catherine Deroche, relative au versement des allocations familiales et de l’allocation de rentrée scolaire au service d’aide à l’enfance lorsque l’enfant a été confié à ce service par décision du juge. Que le service assurant l’accompagnement et l’encadrement des mineurs confiés à l’aide sociale à l’enfance puisse bénéficier des prestations prévues pour aider ceux-ci dans leur vie de tous les jours comme au moment de la rentrée scolaire, cela me paraît la logique même.

Telles sont, madame le secrétaire d’État, mes chers collègues, les principales mesures que nous défendrons par voie d’amendements ; elles vous seront exposées plus en détail lors de la discussion des articles. Convenez qu’elles n’apporteraient pas un changement colossal au texte soumis à notre examen, qui, je le répète, est relativement consensuel. Elles visent à éviter que les dispositifs proposés, inspirés par une démarche tout à fait louable au service de la prise en charge des enfants, ne soient une source de trop grande complexité administrative et financière ; nous les proposons dans un souci de pragmatisme et de bon sens pour atténuer la complexité, sans mésestimer, bien sûr, l’objectif initial de protection de l’enfance, sur lequel tout le monde s’accorde.

J’espère que le Sénat approuvera ces propositions, qui devraient sembler de bon sens à tous ceux d’entre nous qui ont exercé ou exercent des responsabilités exécutives au sein d’un département : tous devraient comprendre que l’on ne peut pas tout faire tout de suite, aussi louables que soient les objectifs. Nous espérons que la plupart de nos amendements, sinon seront adoptés, du moins conduiront le Gouvernement à prendre des engagements sur les problèmes que nous soulevons. Si nous obtenons satisfaction, pour ne pas briser le consensus qui règne actuellement, nous voterons la proposition de loi !

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