Intervention de Laurence Rossignol

Réunion du 12 octobre 2015 à 21h30
Protection de l'enfant — Discussion en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Laurence RossignolLaurence Rossignol :

Mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie tout d’abord chacun des intervenants, en particulier les rapporteurs et le président de la commission des affaires sociales, d’avoir nourri cette discussion. Je salue surtout l’approche constructive de Mmes Cohen, Archimbaud et Campion et de M. Sueur.

J’appelle votre attention sur le fait que, si les tests osseux focalisent beaucoup l’attention, ils ne constituent tout de même pas le cœur du texte. Il serait dommage de réduire cette proposition de loi à cette question. Je comprends qu’elle suscite un débat et nous y reviendrons lors de l’examen des amendements. Cependant, une autre mesure aurait mérité d’être évoquée, à savoir l’interdiction de pratiquer des tests gynécologiques pour évaluer le développement pubertaire. C’est un très grand pas en termes de respect de la dignité des individus.

Nous aurons l’occasion de discuter de nouveau de certains sujets qui viennent d’être abordés lors de l’examen des articles. Je ne souhaite pas anticiper. En revanche, je reviendrai sur certains aspects du texte.

Je n’ai pas pris le Sénat par surprise ! Je rappelle que, l’année dernière, lors de l’examen en première lecture, j’ai indiqué que je profiterais du véhicule législatif que constituait la présente proposition de loi sénatoriale pour dresser le bilan de la loi de 2007 et en dégager les évolutions nécessaires à partir des observations du terrain et de l’exercice effectif des missions de protection de l’enfance. C’est pourquoi une partie des amendements adoptés à l’Assemblée nationale émane du Gouvernement et est le fruit de la concertation que j’ai menée à cette fin.

De cette concertation, il ressort la grande disparité des politiques conduites dans les différents départements et, par voie de conséquence, la grande disparité des destins des enfants accueillis par l’aide sociale à l’enfance. Cette réalité me semble insuffisamment prise en compte.

Je pense pouvoir affirmer que j’ai su nouer un véritable dialogue avec les départements. Je l’ai entamé avant les élections départementales, avec les vice-présidents chargés de la protection de l’enfance, je l’ai poursuivi après. Dans certains cas, mes interlocuteurs sont restés les mêmes, dans d’autres, ils ont changé, mais le dialogue s’est poursuivi dans les mêmes conditions et avec la même qualité.

J’observe que, si les départements sont attachés au principe de libre administration des collectivités territoriales, ils expriment tous, qu’il s’agisse des élus ou des directeurs de l’enfance et de la famille, et de manière constante, le besoin d’un pilotage national de la politique de protection de l’enfance. Ils ont besoin d’une assise à la fois doctrinale et philosophique, d’une définition des buts et des missions de la protection de l’enfance. Pour ma part, je ne pense pas que l’on puisse opposer pilotage national et libre administration des collectivités territoriales : les deux s’articulent dans bien des domaines de compétence des collectivités territoriales.

J’ai bien évidemment conscience de l’impact des mesures que je propose sur les finances des départements. Si ces contraintes budgétaires n’avaient pas existé, j’aurais pu prendre en compte bien d’autres demandes des départements. Je regrette donc que certains se soient focalisés sur certains articles du texte, sans prendre en compte la cohérence globale de la proposition de loi, car, à court terme, le texte permettra probablement de réduire les dépenses des collectivités en matière de protection de l’enfance.

Aujourd'hui, il arrive parfois que dix professionnels de différentes structures interviennent auprès d’une même famille, sans compter les services de l’État, notamment les magistrats. Or ceux-ci ne se coordonnent pas, ne se parlent pas. La première ambition du texte est donc de décloisonner les différents métiers de la protection de l’enfance. Je suis convaincue que cette démarche permettra aux départements de réaliser des économies importantes. Toutefois, cela suppose d’abord une évolution des pratiques, notamment une nouvelle approche de la formation, laquelle devra revêtir une dimension pluridisciplinaire et pluri-institutionnelle.

Mesdames, messieurs, vous le voyez, je ne fais pas la même analyse que vous. Au demeurant, ces mesures auront un impact financier extrêmement modeste. Ce qui est surprenant finalement, c’est moins que nous les proposions que le fait qu’elles n’aient pas déjà été mises en œuvre !

Prévoir que le département doive organiser le suivi de la famille dont l’enfant lui aura été rendu après avoir été placé est une mesure de prévention dont les effets seront incontestablement bénéfiques pour les finances des collectivités locales. Sachant que le placement d’un enfant coûte entre 40 000 euros et 60 000 euros par an au département, la prévention en la matière ne pourra être qu’un facteur d’économies. Chaque fois que l’on évite le placement d’un enfant grâce à un suivi de sa famille en amont, on permet au département de réaliser des économies. Tel est l’esprit dans lequel ce texte a été élaboré.

Je regrette donc, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité sénatoriale, que vous ayez choisi de ne mettre en avant que quelques mesures de ce texte. J’ose espérer que le regard négatif que vous portez sur ce texte s’explique par le mauvais calendrier dans lequel s’inscrit son examen. Je n’oublie pas, en effet, que se tiennent cette semaine les réunions des collectivités et qu’il convient donc de pointer les difficultés financières des départements. Pour autant, cette proposition de loi n’est pas le bon texte ! J’ai constamment eu à l’esprit les finances des départements.

Je conclurai en évoquant la place respective de l’État et des départements en matière de protection de l’enfance.

Malheureusement, la protection de l’enfance connaît trop souvent des échecs. C’est le cas chaque fois qu’un enfant meurt du fait des mauvais traitements de ses parents. Passé l’événement et avant le procès en assises des parents vient le temps des interrogations : pourquoi ? Comment ce drame est-il arrivé ? Y a-t-il eu des dysfonctionnements ? Dès lors qu’un tel drame survient alors que l’enfant était suivi par les services de la protection de l’enfance, il y a eu dysfonctionnement ! Celui-ci n’est pas forcément le fait des services de l’aide sociale à l’enfance, l’ensemble de la chaîne constituée des dix intervenants que j’évoquais tout à l’heure en sont à l’origine. La justice, la protection de l’enfance, l’école : tous sont responsables de cet échec.

À chaque fois, vers qui se tourne-t-on ? Jamais vers les départements, mais toujours vers la ministre en charge de l’enfance. Depuis que je suis secrétaire d’État chargée de l'enfance, j’ai eu à faire face plusieurs fois à de tels drames, je me suis toujours montrée solidaire des départements. J’ai expliqué que nous travaillions à identifier les dysfonctionnements, à les corriger, avec les départements et les professionnels, afin qu’ils ne se reproduisent pas. Je n’ai jamais opposé l’État et les départements !

Aujourd'hui, alors que je tire les leçons de ces dysfonctionnements, que j’essaie de les corriger et que je propose de les anticiper afin de les éviter, je suis surprise de m’entendre dire que je marche sur les platebandes des départements et que je ne respecte pas le principe de libre administration des collectivités territoriales. Je le répète, je ne manque jamais de solidarité avec les départements !

Au cours de l’examen des articles, nous aurons l’occasion, de revenir sur les autres sujets qui ont été abordés. J’espère que nous pourrons alors mettre en œuvre des mesures justes et utiles pour les enfants.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion