Dans le prolongement de cette note, nous avons rédigé ensemble un ouvrage qui paraît aujourd'hui aux Presses de Sciences Po, intitulé « L'Apprentissage, une solution pour l'emploi des jeunes ? », dans lequel nous proposons de donner la priorité aux moins qualifiés.
La baisse de l'apprentissage, réelle, constatée depuis quelques années, doit être replacée dans le contexte d'une croissance des effectifs depuis 25 à 30 ans -si l'on considère l'apprentissage et les contrats de professionnalisation, les deux modalités de l'alternance en France. Cette croissance a cependant bénéficié, pour la majeure partie, aux apprentis de l'enseignement supérieur, et la baisse récente s'explique par une diminution de l'apprentissage dans les niveaux infra-bac.
Ce développement de l'apprentissage dans le supérieur pose question : toutes les études sur le devenir des apprentis après leur formation montrent que l'apprentissage est un puissant levier d'insertion pour les bas niveaux de qualification, mais que sa valeur ajoutée est beaucoup plus faible pour les apprentis à bac+2 ou bac+5. J'ai moi-même pu le constater lorsque j'étais responsable de la formation en apprentissage à l'université, au niveau master. Pour les étudiants du supérieur, le diplôme est en lui-même une protection contre le chômage ; pour les moins qualifiés, il n'y a guère d'alternative à l'apprentissage pour une insertion professionnelle durable -les emplois aidés dans le secteur non marchand ne sont pas une réponse viable. Il faut, je le crois, partir de ce constat. En Allemagne, il n'y a presque pas d'apprentis dans le supérieur ; en France, c'est le cas de plus d'un quart d'entre eux.
La baisse récente des effectifs a bien sûr des causes conjoncturelles : une croissance ralentie qui affecte des secteurs très utilisateurs de l'apprentissage, comme le BTP ; la décision politique, ces trois dernières années, de réduire les subventions aux entreprises pour l'apprentissage -néanmoins récemment rétablies ; enfin un phénomène de vases communicants entre l'apprentissage et les emplois d'avenir, qui visent les mêmes publics.
Toutefois, si l'on veut inverser durablement la courbe de l'apprentissage, il faut s'attaquer aux dysfonctionnements structurels. Sur le plan financier, les subventions versées aux employeurs d'apprentis sont trop peu modulées en fonction de la qualification. Deux millions de jeunes de 15 à 29 ans sont dits « décrocheurs » : ni employés, ni scolarisés ou étudiants, ni en formation professionnelle. Ceux-là n'ont guère d'autres possibilités d'insertion que l'apprentissage. Nous gagnerions à inciter davantage les entreprises à embaucher des apprentis dans ce vivier. Certes, la complexité des normes n'est pas un obstacle négligeable et il faut les simplifier, mais en jouant aussi sur le levier des incitations, concentrées sur les plus bas niveaux de qualification.
Autre blocage, la rigidité du système, qui rend difficile son adaptation au marché du travail et aux besoins des entreprises. L'apprentissage débouchant sur un diplôme, le rôle joué par l'Éducation nationale est très important. La procédure pour ouvrir et valider une formation est particulièrement lourde, alors que des métiers nouveaux -on songe aux programmateurs et aux développeurs informatiques- apparaissent. Le système est trop peu agile : il faudrait repenser la gouvernance du système. Les branches et les entreprises doivent être partie prenante de l'ouverture de nouvelles formations et de la définition de leur contenu. Les formations en CAP délivrées par l'Éducation nationale sont souvent très abstraites, éloignées des préoccupations des entreprises. Mettre l'Éducation nationale au centre du jeu ne nous semble pas pertinent -en Allemagne, ce sont les branches et les partenaires sociaux qui occupent cette place.
Pour résumer mon propos, les deux priorités sont de concentrer les moyens supplémentaires sur les plus bas niveaux, où les perspectives d'insertion professionnelle sont les plus faibles, sans déshabiller pour autant la formation dans le supérieur ; et de créer un écosystème qui donne davantage de poids aux branches et aux entreprises dans l'ouverture de formations et la définition de leurs contenus.