L'apprentissage fait partie de ce qui marche pour lutter contre le chômage ; je suis d'accord avec M. Ferracci sur ce point. Pour ma part, je n'ai pas d'objection au développement de l'apprentissage dans le supérieur - mais il est vrai que le coeur du problème n'est pas là. L'effort doit porter sur les bas niveaux de qualification.
Pourquoi l'apprentissage recule-t-il ? Il souffre d'abord de la concurrence des emplois d'avenir, qui s'adressent au même public de jeunes peu diplômés. Citons aussi le relatif désintérêt du gouvernement dans les deux premières années du mandat présidentiel. En tant qu'ancien délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle au ministère de l'emploi, je sais que la mobilisation d'une administration sur une question - ici les emplois d'avenir - se fait en général au détriment des autres. Ni l'Éducation nationale, ni le service public de l'emploi (Pôle emploi, et surtout les missions locales) ne se sont mobilisés pour l'apprentissage ; pas plus que les régions, d'autant que le gouvernement, en 2014, a retiré des contrats d'objectifs et de moyens la disposition liant le montant des subventions aux régions à des objectifs en matière d'apprentissage. Par conséquent, il n'y a plus de pilotage national, en particulier pour les premiers niveaux de qualification. En 2014, le nombre d'apprentis a légèrement augmenté dans le supérieur, mais chuté ailleurs.
Cela fait des années que les gouvernements successifs ont tenté de développer l'apprentissage, en remettant de l'argent au pot, en créant de nouvelles aides, quitte à doublonner les dispositifs existants. Pour tout résultat, de faibles progrès ont été enregistrés depuis 2004, et seulement dans les niveaux supérieurs ; les effectifs des CAP et bacs professionnels ont stagné. Notons à ce sujet que l'apprentissage est délaissé pour le bac professionnel : 80% de ceux qui préparent ce diplôme le font dans un lycée professionnel.
Que nous enseigne la comparaison avec les autres pays ? Ceux qui obtiennent de bons résultats dans l'apprentissage connaissent également de meilleurs résultats en matière d'insertion et d'emploi -qu'il s'agisse du taux de chômage, de l'insertion professionnelle à six mois, du chômage des jeunes. Ce n'est pas un hasard. J'ai mis en évidence, dans mon étude pour l'Institut Montaigne, la « règle des 3-3 » : la proportion d'apprentis dans les entreprises est trois fois plus importante en Allemagne, tandis que le taux de chômage des 16-25 ans et le coût de chaque formation pour les finances publiques y sont trois fois moins élevés. En conclusion, le système français est peu efficace. En Allemagne, quelle que soit la taille de l'entreprise, la part des apprentis est de 5,5 à 6 % ; en France, la moitié des apprentis travaillent dans des entreprises de moins de dix salariés.
Ajoutons que l'image de l'apprentissage est très différente dans nos deux pays. Chez nous, pour les parents d'élèves, l'apprenti typique est le boulanger -statistiquement, c'est tout à fait fondé, même s'il y a aussi des apprentis dans les écoles de commerce. En Allemagne, l'apprenti est vendeur de voitures, employé de banque, technicien chez Siemens... Contrairement à une idée reçue, ils sont plus nombreux dans les services que dans l'industrie. L'apprentissage est réparti à tous les niveaux et dans tous les secteurs.
Pour expliquer cette réussite, on invoque souvent les facteurs culturels : les Allemands ne seraient pas faits comme nous. C'est un peu court ! Il faut tenir compte des systèmes juridiques, des circuits financiers, des incitations. Pour le reste, l'entrepreneur allemand a les mêmes préoccupations que l'entrepreneur français. L'institution séculaire du Meister n'explique pas tout.
Il existe quatre différences majeures entre les systèmes allemand et français. En Allemagne, l'apprentissage est la voie obligée pour accéder à 330 métiers de niveau bac professionnel -l'apprentissage n'existe pas dans l'enseignement supérieur, ni au niveau CAP. En France, pour la quasi-totalité des métiers, l'élève a le choix entre l'apprentissage et le lycée professionnel.
Deuxième différence : l'organisation administrative allemande est beaucoup plus claire et la répartition des responsabilités évidente. En France, on ne sait répondre à la question : « L'apprentissage a baissé en France ; à qui la faute ? ». On pourra blâmer le gouvernement, les régions, les branches et les entreprises... Quand tout le monde est responsable, personne ne l'est. En Allemagne, pays fédéral et décentralisé, l'emploi et la formation professionnelle sont pilotés au niveau central par le Bund, le service public de l'emploi est beaucoup plus impliqué.
Troisième différence : en Allemagne, la formation est davantage centrée sur les métiers que sur les matières générales et les apprentis passent moins de temps dans le centre de formation que dans l'entreprise ; c'est par conséquent un système beaucoup plus rentable pour celle-ci. Dans notre code du travail, l'apprentissage « a pour objet de donner à des jeunes travailleurs, ayant satisfait à l'obligation scolaire, une formation générale, théorique et pratique, en vue de l'obtention d'une qualification professionnelle sanctionnée par un diplôme ». Voici l'objectif fixé par la loi allemande sur la formation professionnelle: « transmettre les compétences, connaissances et capacités professionnelles nécessaires à l'exercice d'une activité professionnelle qualifiée dans un monde du travail en mutation ». L'obtention d'un diplôme d'un côté, l'acquisition de compétences de l'autre : tout est dit !
Enfin, outre-Rhin, les branches et les entreprises sont véritablement au coeur du système : elles interviennent dans le contenu des enseignements et les examens sont organisés par les chambres consulaires. Le tutorat est considérablement plus structuré : les Meister reçoivent une rémunération spécifique et une plus forte reconnaissance professionnelle, avec une évolution de carrière plus favorable.
Cet état des lieux n'est pas figé ; il est possible de réformer le système français, notamment en donnant davantage de place aux entreprises et aux régions. On pourrait s'inspirer du modèle allemand sans pour autant bousculer les équilibres existants.