Intervention de Danielle Dubrac

Délégation sénatoriale aux entreprises — Réunion du 1er octobre 2015 : 1ère réunion
Table ronde 1 : pourquoi l'apprentissage recule-t-il en france

Danielle Dubrac, vice-présidente de la CCI de Seine-Saint-Denis :

Merci de votre invitation, merci de vous intéresser à ce sujet. Le développement de l'apprentissage est la clé de la réussite de nos jeunes. Au-delà de l'appui réglementaire qu'elles lui apportent, les CCI considèrent l'apprentissage comme un engagement prioritaire. Nous représentons le premier réseau de formation d'apprentis, avec 141 centres de formation d'apprentis (CFA) et environ 100 000 apprentis formés chaque année, soit un quart du total national. Nos effectifs sont en augmentation, après une baisse de 7 % entre 2013 et 2015 enregistrée aussi dans nos CFA.

Nous ne considérons pas l'apprentissage comme un outil de lutte contre le chômage, mais plutôt comme un mode d'apprendre. Remarquons enfin que quand l'économie va mal, l'apprentissage va mal.

Dans nos CFA, 63 % des apprentis préparent un CAP ou un bac pro. Nous formons avant tout dans une filière, ce qui peut parfois conduire l'apprenti jusqu'à bac +5, sans opposer les niveaux, avec le souci de délivrer une formation correspondant aux besoins des entreprises. Le taux de réussite aux examens de nos diplômés est de 83 %, contre 70 % au niveau national. L'accompagnement, coûteux en énergie mais indispensable, contribue à la réussite de nos apprentis : le taux de rupture des contrats d'apprentissage est de 11 %. Le service que nous offrons aux entreprises est complet : nous enregistrons 145 000 contrats, en vertu d'une mission de service public confiée par l'État en 2005, et gérons pour les entreprises 350 000 dossiers de taxe d'apprentissage reversée à plus de 18 000 établissements. Nous organisons également des manifestations et des actions nationales de promotion, déclinées localement, comme la semaine de l'apprentissage en mai dernier.

Grâce à notre réseau de développeurs de l'apprentissage -une centaine sur le territoire- nous avons contacté et accompagné 220 000 entreprises depuis 2009 et signé 55 000 contrats, dont 60 % avec des entreprises qui avaient recours à l'apprentissage pour la première fois.

Nous avons toujours alerté les gouvernements et soutenu les politiques publiques en faveur de l'apprentissage. La réforme de la collecte de la taxe d'apprentissage a entraîné, pour les CCI, une baisse de 18 % des montants recueillis. Mais le problème n'est pas seulement financier : nous sommes aussi confrontés à l'insuffisante valorisation de l'apprentissage dans l'orientation professionnelle ; la révision à la baisse des aides se double d'une insécurité réglementaire : dès 2016, une nouvelle règle d'affectation de la taxe aux organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) entrera en vigueur.

En mai dernier, nous avons demandé au gouvernement un plan d'urgence autour de quatre axes. Le premier consiste à convaincre les jeunes d'aller vers l'apprentissage, qui ne doit pas être perçu comme une voie secondaire mais comme une ouverture vers les métiers et les emplois, en adéquation avec les besoins des entreprises. Lorsque l'une de nos formations ne correspond pas aux besoins d'un secteur, nous la fermons ; réciproquement, nous ouvrons une section dès qu'un besoin se fait jour. Or l'inscription de nos titres au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) est une procédure longue, avec un agrément provisoire de trois ans. Gardons-nous d'opposer l'Éducation nationale aux autres organismes de formation.

L'information des jeunes et des familles doit être aussi complète que possible : il faudrait rendre obligatoire la participation des collégiens à l'une de nos journées portes ouvertes, une fois par an. Nos CFA s'ouvrent déjà aux établissements le mercredi après-midi. Nous proposons aussi de généraliser les mini-stages de découverte professionnelle durant les vacances scolaires, au-delà des stages d'observation en classe de troisième.

En deuxième lieu, il faut mobiliser les entreprises. Celles-ci sont en général satisfaites de leurs apprentis, mais le coût à l'embauche est réel. Nous avons besoin de tuteurs formés afin d'assurer les relations avec les organismes de formation. Réduisons aussi les lourdeurs administratives indigestes, à commencer par le découpage en niveau, âge et secteur.

Les entreprises de 11 à 250 salariés représentent un véritable gisement d'emploi pour l'apprentissage ; elles rassemblent 40 % des effectifs salariés mais accueillent moins de 30 % des apprentis. Pourquoi les exclure du dispositif d'incitation financière ? La prise en charge par l'État du salaire des apprentis mineurs embauchés par des entreprises de moins de 11 salariés, qui revient à 4 400 euros par an, devrait être étendue à cette catégorie.

Seconde proposition, la simplification des contrats d'apprentissage, la réduction du nombre de rubriques du formulaire Cerfa et l'assouplissement des conditions de rupture, en limitant le passage devant les Prud'hommes. Il faut valoriser le tutorat, qui fait le lien entre le CFA et le jeune, en inscrivant à l'inventaire national des compétences les titres de tuteur et de maître d'apprentissage, et les associer plus systématiquement à la validation des diplômes.

Troisième proposition : le financement étant le nerf de la guerre, il faut réduire l'insécurité qui l'entoure. 63 % des entreprises sont de petite taille et, à ce titre, n'ont pas d'obligation de financement de la taxe d'apprentissage. La réforme de 2014 a généré une forte incertitude, sans parler de 2016... En Île-de-France, pas moins de la moitié des CFA rencontrent des difficultés dans la collecte de la taxe.

Si le développement de l'apprentissage avant le bac est capital, les entreprises franciliennes ont aussi besoin de bachelors, c'est pourquoi nous soutenons des formations dans les écoles de commerce et d'ingénieurs ; or le développement de ces filières post-bac est freiné par le manque de moyens et l'appui insuffisant des conseils régionaux. Nous proposons d'assouplir les conditions d'affectation de la taxe d'apprentissage et de laisser les organismes collecteurs allouer en tant que de besoin du hors quota vers l'apprentissage - il s'agit quand même de l'argent des entreprises ! Enfin, sécuriser et stabiliser le financement de l'apprentissage dans le supérieur, ce serait le traiter à parité avec le financement de l'université. On pourrait instituer une obligation de financement des établissements supérieurs -bac +3 à bac +5 privés et consulaires- à la charge de l'État et des régions. Dans le cas contraire, il faudra demander une participation des apprentis au financement de leur formation. C'est une piste...

Enfin, les CCI financent l'apprentissage, recrutent les apprentis mais sont exclues de la gouvernance régionale. Lorsque les régions arrêtent les cartes des formations professionnelles initiales, les chambres consulaires n'ont pas voix au chapitre ; les représentants du monde économique sont tout aussi marginalisés, or eux seuls connaissent les besoins. Aucun texte ne prévoit d'instance régionale de l'apprentissage où toutes les parties prenantes -État, régions, branches, chambres, organismes de formation- pourraient échanger et évoluer vers la codécision. Pourquoi ne pas créer, sur le modèle du service public régional de l'orientation, un service public régional de l'apprentissage qui serait un lieu de dialogue, d'échanges, de réflexion sur la politique régionale, d'actions de promotion, établissant des plans de démarchage coordonné des entreprises pour identifier les opportunités...

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