Intervention de Gérard Larcher

Délégation sénatoriale aux entreprises — Réunion du 1er octobre 2015 : 1ère réunion
Table-ronde n° 2 : témoignages concrets sur le défi d'une relance de l'apprentissage en entreprise

Photo de Gérard LarcherGérard Larcher, président du Sénat :

Madame la présidente de la délégation aux entreprises, monsieur le Président Griset -nous avons travaillé récemment ensemble-, mes chers collègues, Mesdames, Messieurs, je voudrais commencer par vous dire qu'il y a six apprentis à la présidence du Sénat. J'ai initié cette situation et souhaite qu'elle se développe dans l'ensemble des services du Sénat : je présenterai dans quelques temps un programme d'apprentissage et de stages approfondis. Ayant été ministre en charge de la formation professionnelle des jeunes, je considère que l'apprentissage, cette voie républicaine, nécessite une révolution culturelle, dont nous parlons toujours mais que nous n'avons pas achevée. Il était donc important, madame la Présidente, d'organiser cette table ronde. La délégation aux entreprises, que vous présidez, joue, en concertation avec les commissions compétentes, Affaires sociales, Affaires économiques et Culture, son rôle d'identification des problèmes auxquels sont confrontées nos entreprises et de recherche des solutions de nature à favoriser la création d'emplois.

Le sujet de l'apprentissage est bien connu au Sénat. Christian Poncelet, le premier, a accueilli les rencontres de l'apprentissage en partenariat avec l'ensemble des chambres des métiers. Mais, au-delà de l'apprentissage dans l'artisanat, socle historique de l'apprentissage dans notre pays, le travail des commissions et de la délégation s'attache à le promouvoir dans l'ensemble des secteurs et des entreprises. C'est en partant du constat que, non seulement l'apprentissage ne parvient pas à être une filière de formation à part entière, mais qu'en plus le nombre actuel d'apprentis plafonne, voire régresse, que nous nous posons légitimement certaines questions.

Comment continuer à accepter qu'un jeune sur quatre, dans notre pays, soit hors de l'emploi ? Comment continuer à accepter qu'un jeune Français sur cinq quitte notre système scolaire sans diplôme ou sans qualification ? Ces chiffres n'ont pas changé depuis le rapport rendu par Jacques Legendre à Raymond Barre en 1979 ! Pourtant, depuis, nous avons achevé l'unification du collège et massifié le lycée... Ces chiffres, que nul ne conteste, montrent que quelque chose ne va pas ! L'apprentissage ne se développe plus et reste considéré, par les jeunes, par leur famille, par la société, comme une filière par défaut.

Personne n'a dit, à propos du taux de rupture des contrats, qu'il révélait aussi une défaillance de l'orientation. Ministre, j'ai visité un centre de formation à la métallurgie rassemblant une centaine de jeunes. A la question : « Comment avez-vous fait ce choix ? », moins de 5 % répondent qu'ils sont venus par une orientation prévue. Nous devons nous poser la question de l'orientation. J'ai présidé une mission locale : le préapprentissage doit aussi faire l'objet d'un débat -j'avais porté un texte à cette époque- car, s'il ne faut laisser aucun jeune sur le bord du chemin, tous n'ont pas la capacité immédiate à entrer en apprentissage. Enfin, la rupture reste une liberté de l'apprenti.

Je connais bien MM. Ferracci et Martinot, ainsi que M. Griset, et j'ai été très intéressé par les témoignages que j'ai entendus, ainsi que par les réponses qu'ils ont suscitées. M. Forissier a évoqué les travaux de la mission d'information de la commission des affaires sociales sur le système d'apprentissage en Allemagne et en Autriche. J'ai présidé un colloque très instructif sur l'apprentissage en Autriche : si le système allemand a quelques difficultés dans le recrutement, et pas uniquement démographiques, les systèmes autrichien et suisse fonctionnent particulièrement bien. Or, le regard sur l'apprentissage est le même en Suisse francophone, alémanique ou italienne : il n'est donc pas impossible pour des latins d'entrer dans un système d'apprentissage qu'il ne faudrait pas cantonner aux principes alémaniques ! Par exemple, dans l'horlogerie, n'est-ce pas, Monsieur Joyandet ?, de l'autre côté de la frontière, un ministre fédéral coordonne les dispositifs cantonaux. Je suis favorable au pilotage régional, mais notre République doit éviter les distorsions de chance. Nous parlementaires, ne devons pas nous désintéresser de cette affaire.

Il faut aussi de la stabilité fiscale et réglementaire. Lorsque j'ai mis en place le plan de cohésion sociale, à la demande de Jacques Chirac et avec Jean-Louis Borloo, nous avions fixé un objectif en termes d'apprentissage. Malheureusement, la crise est venue casser ce qui avait démarré. Je l'ai dit à François Rebsamen, l'année 2012 a été terrible par ses effets d'annonce : changer les règles envoie un signal négatif et brise le socle historique de l'apprentissage, et multiplier les normes diminue l'appétence pour les formations par alternance.

Nous n'avons pas besoin de plus d'argent public : proportionnellement, nous en mettons plus que les Autrichiens, les Allemands ou les Suisses. Pourtant, le nombre d'apprentis est le même en Autriche et en France, alors que nous n'avons pas la même population !

Il faut plutôt de la rationalité, de l'efficacité et de la reconnaissance. Nous devons placer les branches professionnelles et les entreprises au coeur du dispositif, en leur donnant la main sur le contenu des formations et des référentiels. Le temps de formation peut être diminué par rapport au temps de travail et le temps global d'apprentissage, étendu. En tout cas, nous devons accepter des différences selon la nature des formations et ne pas plaquer des dispositifs préconçus sur des situations différentes. Le monde économique change, les métiers de demain ne seront pas tout à fait les mêmes que ceux d'hier -même dans le domaine agricole. Aussi devrons-nous mettre progressivement fin au dualisme entre apprentissage et enseignement professionnel scolaire. Il ne s'agit pas de mettre dehors l'Éducation nationale, mais le monde de l'éducation doit continuer à s'ouvrir sur l'entreprise -je vois à Rambouillet des lycées exceptionnels à cet égard mais le témoignage que nous avons entendu tout à l'heure rend également compte de la vérité.

Cela nous conduit à nous interroger sur la refonte du pilotage de l'apprentissage, qui doit être du ressort des régions -nous n'avons pas été tout à fait au bout. Quand j'écrivais mon rapport à M. Sarkozy, je sentais une tentation de renationaliser la formation professionnelle ; j'ai donc choisi la piste régionale. Les lycées n'échappent pas à cette dimension.

Enfin, il faut un cadre juridique engageant pour les entreprises et considérant l'apprenti comme un apprenant puis comme un salarié. Si nous restons figés dans nos attitudes antérieures, si nous ne faisons pas le pari de faire confiance aux entreprises, nous ne réussirons pas à trouver le chemin de la croissance, et nous ne ferons pas décoller l'apprentissage. Le nombre des inscriptions à la rentrée universitaire pourrait nous réjouir, si la moitié n'était faite dans des filières qui ne mènent à rien. Nous devons avoir la force de restaurer la confiance de nos concitoyens en leurs responsables politiques. Sur l'apprentissage, il faudra briser le vase de Soissons. Sinon, nous prolongerons un modèle qui n'existera plus dans vingt ans. Certes, je partage les conclusions du Conseil constitutionnel sur certaines absences de règles. Mais nous devons explorer de nouvelles pistes -c'est ce que votre délégation peut faire, plus facilement qu'une commission. Vous montrez l'exemple, et il y aura une proposition de loi ! (Applaudissements)

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