Intervention de André Yché

Commission des affaires économiques — Réunion du 14 octobre 2015 à 10h30
Audition de M. André Yché président du directoire de la société nationale immobilière

André Yché, président du directoire de la Société nationale immobilière :

Je vous remercie Monsieur le président. Mesdames et messieurs les sénateurs, je vais effectivement faire le point sur l'avancement du programme de logements intermédiaires étudié et élaboré au cours de l'année 2012. Ce programme est quasiment opérationnel depuis le début de l'année 2015. Pour mémoire, celui-ci résulte de dispositions de nature fiscale, à savoir la loi de finances pour 2014 et d'une ordonnance adoptée ultérieurement. J'en rappelle les principales caractéristiques. D'une part, ce programme est encadré quant aux plafonds de loyers et de ressources par référence à ceux des dispositifs Duflot et Pinel. Ce programme est, d'autre part, limité aux zones tendues et très tendues, soit les zones A, où l'on trouve notamment les grandes métropoles régionales et la grande couronne de la région parisienne, et Abis qui comprend également Paris et la petite couronne. Un logement dit intermédiaire est ainsi considéré comme un logement administré. Il est ainsi obligatoire de garder un statut locatif pendant dix ans au minimum et de conserver la moitié du patrimoine constitué pendant 15 ans. Les mesures, qui permettent de rendre ce produit fiscalement attractif, sont l'application d'une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à un taux intermédiaire de 10 %, ainsi que une exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties pour des biens loués de dix à vingt ans.

Quels sont les territoires concernés ? Nous avons retenu l'idée qu'entre le loyer le plus élevé et celui du marché, un écart de l'ordre de 25 à 30 % devait être assuré. Cet écart correspond au zonage que je viens de vous évoquer. Un quart de la population française s'y trouve et celle-ci présente un potentiel de croissance démographique de l'ordre de 50 %. Il s'agit donc de zones où le dynamisme démographique est le plus fort en Europe.

Quelles sont les populations concernées ? Celles dont les revenus sont situés en-dessous des plafonds de ressources des dispositifs Pinel et Duflot et qu'on peut qualifier de populations intermédiaires. Sociologiquement, ces personnes correspondent à la catégorie dite des « travailleurs clés » (« key workers ») à laquelle appartiennent les personnels des trois fonctions publiques, dont la fonction publique hospitalière qui représente un enjeu important pour nous.

Quels sont les résultats que nous enregistrons après une année de fonctionnement à plein régime ? Dans un premier temps, vous l'avez rappelé Monsieur le Président, nous avons constitué un fonds d'investissement pour les logements intermédiaires faisant appel à des investisseurs privés ou éventuellement publics mais se positionnant dans une perspective d'investisseur privé, comme l'Agence des participations de l'État (APE), le Fond de réserve des retraites ou encore l'établissement des retraites additionnelles de la fonction publique, soit au total dix-sept investisseurs. Au mois de juin dernier, le bouclage de ce fonds a été terminé. Celui-ci est ainsi le quatrième fonds mondial d'investissement immobilier en 2015 et le premier européen dans les constructions neuves. En effet, nos objectifs principaux sont de soutenir l'activité du BTP et de fournir une offre de logements. Notre fonds a recueilli 1,45 milliard d'euros de fonds propres permettant d'assurer un effet de levier de l'ordre d'1,8 milliards d'euros. Ce montant est certes modéré mais tient compte des exigences des investisseurs. Il devrait assurer la production de 10 000 logements intermédiaires.

À cela s'ajoute une initiative de l'État via l'APE qui a décidé de réaffecter sur le produit logement intermédiaire une partie des produits des cessions réalisées les années précédentes, atteignant un volume de fonds propres de 550 millions d'euros pouvant aller jusqu'à 1,250 milliards d'euros. L'effet de levier sur ce produit est un peu supérieur et devrait nous permettre d'investir un montant de l'ordre de 2,3 milliards d'euros, c'est-à-dire 13 000 logements intermédiaires de plus. En outre, la Caisse des dépôts a décidé de suivre cette dynamique en apportant des fonds propres à la SNI à hauteur de 900 millions d'euros. Au total, lorsqu'on additionne les trois dispositifs, on atteint un potentiel d'investissement de l'ordre de 6,3 milliards d'euros correspondant à 35.000 logements intermédiaires.

Ces logements entrent dans des opérations mixtes comportant au minimum 25 % de logements sociaux et une partie plus ou moins significative d'accession à la propriété. Ces 35 000 logements correspondent ainsi à un volume d'activités qui peut varier entre 80 et 100 000 logements sur une durée de cinq ans.

Les exigences de rentabilité des investisseurs portent sur un rendement d'exploitation en revenus locatifs, qui est versé sous forme de coupons, de l'ordre de 3,5 % du capital investi, avec une espérance de plus-value de cession à terme qui se situe entre 3,5 et 7 %. Ce qui signifie un taux de rendement du capital investi qui devrait se situer au moment de la revente d'une partie des actifs, entre 7 et 10 %. La dégradation du rendement des produits financiers contribue au succès de cette opération.

Notre perspective immédiate est la mise en oeuvre de l'opération. Aujourd'hui, nous avons franchi le seuil de 8 000 mises en précommande auprès des grands promoteurs qu'ils soient nationaux ou locaux. Celles-ci correspondent soit à des mises en chantier qui débutent dès à présent, soit à des programmes qui seront lancés au cours de 2016 voire en 2017. Certes, certains problèmes de maîtrise du foncier, ainsi que d'obtention des permis de construire ou de purge des recours, peuvent survenir. Sur ces 8.000 mises en commande, 45 % se trouvent en Ile-de-France, 20 % en Provence-Alpes-Côte-D'azur et 15 % en Rhône-Alpes ; ces trois régions constituant les zones prioritaires de développement de ces produits.

Nous constatons également un effet d'entraînement de notre programme sur le logement social. Ainsi, pour les huit mille précommandes précédemment évoquées, ce sont un peu plus de 3 500 logements sociaux qui nous ont été commandés en accompagnement du programme de logement intermédiaire, tout en sachant que nous n'avons pas le monopole des logements sociaux et que d'autres opérateurs peuvent être, dans le même temps, sollicités pour réaliser la partie « logement social » de ces opérations. Globalement, nous estimons que le ratio est de l'ordre de 1 pour 1 entre les logements intermédiaires et les logements sociaux.

Notre objectif pour cette année 2015 est de dépasser les 10 000 précommandes et de monter en puissance pour obtenir un rythme de commande annuel sur le logement intermédiaire de 12 à 15 000 logements chaque année, afin de tenir notre objectif de 35 000 logements intermédiaires au bout de cinq ans. Ainsi, dès cette année, nous aurons un objectif de mise en production de 15 000 logements intermédiaires et sociaux ; cet objectif annuel pouvant s'élever à 18 000 les années suivantes.

Dans le processus de négociation avec les principaux promoteurs nationaux et locaux que nous sollicitons, nous nous situons 15 % en-dessous du prix public qui est celui auquel les primo-accédants négocient leurs produits. Nous atteignons un tel prix en raison de la taille de nos lots qui excèdent les 250 logements pour atteindre parfois 700 logements. Négocier des commandes aussi conséquentes permet d'obtenir des rabais significatifs. Les promoteurs nationaux ont certes des objectifs de marge, mais il leur faut également assurer un minimum d'activités pour garder des équipes opérationnelles qui seront facilement mobilisables au moment de la reprise. En effet, la compétence ne s'acquiert pas si facilement, et notre produit leur permet, sans faire certes de grosses marges, de maintenir un niveau d'activité globalement satisfaisant.

Ainsi, lorsque nous prévoyons de mettre sur le marché un produit, nous réalisons des simulations pour le placer à environ 15 % en dessous du prix du marché, soit à 5 % en dessous du plafond du dispositif « Pinel ».

Finalement, le triangle d'or de cette opération se décompose de la manière suivante : les fonds propres, qui ne sont qu'une étape, les clientèles visées et l'accès à du foncier de bonne qualité et bien situé. C'est la raison pour laquelle nous avons engagé une procédure de conventionnement avec les collectivités locales qui correspondent à notre cible géographique. Nous avons ainsi passé des conventions avec le Grand Lyon, les villes de Marseille, Bordeaux, Toulouse et Paris. Cette énumération n'est nullement exhaustive ! Nous nous sommes également tournés vers des opérateurs publics qui présentent le double avantage d'avoir une clientèle et du foncier. Il s'agit en l'occurrence de Grand Paris Aménagement, l'Établissement public foncier régional d'Ile-de-France avec lequel nous allons passer une convention dans peu de temps, la Société du Grand Paris avec laquelle nous sommes associés dans le cadre de la mise en place du réseau des soixante gares express. À cet égard, nous nous sommes engagés à reloger toutes les personnes déplacées dans le cadre de la réalisation des projets de gare, en contrepartie de quoi nous avons obtenu un accès prioritaire dans la réalisation de logements intermédiaires dans le périmètre des 500 mètres autour de ces gares.

Nous venons également de conclure un accord très important avec l'AP-HP. Nous nous sommes engagés à donner la priorité dans nos logements construits aux personnels paramédicaux, voire aux personnels médicaux en début de carrière. En contrepartie, l'AP-HP a consenti à un accord sur les sites qu'elle détient, comme à Aubervilliers et Paris. Nous avons également des discussions en cours avec la SNCF et la Poste. Nous essayons ainsi de lier la mobilisation de financements en termes de fonds propres gérés comme des financements privés avec l'accès au foncier de populations en phase avec notre coeur de métier qui reste le logement de la fonction publique. De ce point de vue, nous pensons qu'il y a beaucoup à faire dans ce domaine, dans la mesure où l'existence d'une capacité d'accueil à l'arrivée dans une nouvelle ville me paraît nécessaire pour les professions où les mutations géographiques sont parties intégrantes de la carrière et ce, d'autant plus en zone tendue où les difficultés sont encore plus importantes.

On peut considérer que la réalisation de ce projet demeure satisfaisante. Encore faut-il le tenir dans la durée. D'un point de vue objectif, la production de logements dans son ensemble ne s'est pas envolée. Le secteur du logement social continue certes à produire, mais il se heurte à cette difficulté structurelle, sur laquelle je reviendrai, qui concerne la disponibilité des fonds propres. S'agissant de l'autre composante importante de notre programme, qu'est l'accession ou la primo-accession à la propriété, le dynamisme est manquant. Le dispositif « Pinel » soutient certes l'investissement privé mais avec la limite du plafonnement fiscal à 10 000 euros, ce dispositif ne représente qu'une source de déduction fiscale parmi d'autres. De ce fait, ce dispositif est employé bien souvent pour un seul logement par les ménages concernés.

Notre démarche vise à trouver de nouvelles idées destinées à alimenter la primo-accession qui reste l'un des moteurs de la croissance. La Caisse des dépôts devrait nous autoriser à réaliser une expérimentation portant sur un système d'accession réversible limité à des primo-accédants remplissant les conditions pour être locataires des logements intermédiaires. Nous prévoyons de le mettre en oeuvre uniquement dans des opérations dans lesquelles nous sommes déjà engagés au titre du logement intermédiaire locatif. La garantie porterait sur une demande de rachat exprimée par les locataires pendant huit ans et sur 85 % du prix d'acquisition. Nous ne garantissons pas la totalité de l'investissement, mais nous évitons les situations de surendettement ou les situations critiques. Dans le même temps, nous garantissons, de manière spécifique, le relogement des personnes qui renoncent finalement à leur projet d'acquisition. Nous tenons là un début de solution. Tels sont les points que j'estime essentiels sur la question du logement intermédiaire.

Sur le logement social, nous sortons du congrès HLM où nous avons obtenu un certain nombre de garanties. Il y a quinze ans lorsque j'ai débuté, le taux de subventionnement d'une opération de logement social était de 18 à 20 %. Nous étions dans une économie basée sur un système de subventions publiques destiné à être complété par un endettement qui pour être soutenable ne dépassait pas 70% à 75 % du montant des opérations. D'ailleurs, un endettement dépassant ce taux pour une opération de logement social n'est pas soutenable. Le reste était complété par 20 % de subventions publiques et les organismes les plus vertueux mettaient 10 % de leurs fonds propres lorsque d'autres, bénéficiant de l'appui des collectivités publiques associées, n'apportaient aucun financement.

Depuis ces quinze dernières années, de nombreux changements sont intervenus. D'une part, le niveau de subventionnement réel est devenu inférieur à 10 % et, corrélativement, le modèle d'endettement qui prévalait jusqu'alors s'est considérablement affaibli. Ainsi, il faut désormais investir près de 20 % de fonds propres pour boucler une opération. On assiste donc à un changement du modèle d'équilibre de la construction de logements sociaux et cette mutation est un élément essentiel de l'évolution de ce secteur pour les années à venir.

Le niveau des fonds propres globalement disponible pour l'ensemble du secteur est ainsi devenu un critère important. L'autofinancement de l'exploitation fluctue, selon les périodes, entre 7 et 10 %. Aujourd'hui, dans un contexte marqué par la baisse considérable des taux d'intérêts, l'autofinancement se maintient. En revanche, une hausse des taux d'intérêt se traduirait par une baisse de l'autofinancement. En pratique, cet autofinancement est de l'ordre de 1,8 milliards d'euros chaque année.

À cela, on peut ajouter les apports en capital et les produits de cession. Ces derniers avoisinaient, en 2013, les 800 millions d'euros, ce qui représente une somme non négligeable. Pratiquement, le tiers du refinancement de ces organismes repose sur de tels produits. Cette contribution est significative, bien qu'insuffisante du fait de contraintes locales diverses et variées. L'autre voie sur laquelle nous travaillons, à la suite du Plan Juncker, vise à définir un mécanisme destiné à alimenter en quasi-fonds propres l'essentiel des organismes HLM. Nous travaillons en effet avec la Banque européenne d'investissement à un mécanisme grâce auquel la BEI apporterait une ligne de crédits bonifiés par Action Logement à hauteur de 80 millions d'euros par an, de telle sorte qu'il soit possible de faire des prêts aux organismes HLM toutes catégories confondues pour une durée de 20 ans, à taux nul, avec un différé de remboursement de 20 ans et un amortissement sur les dix années suivantes, ce qui s'assimile, en fait, à détenir des fonds propres. Un tel moyen permettrait de soutenir l'ensemble de l'effort de production du secteur HLM car si rien n'est fait, la production du secteur ne manquera pas de diminuer. L'Europe conditionne la mise en place de ce type de démarche à la réalisation d'objectifs de performance énergétique très élevés. En outre, pour que ce système soit validé par la BEI, il faut qu'il soit transposable dans plusieurs pays européens et il est clair que notre modèle n'existe guère hors de nos frontières. Nous regardons s'il n'est pas possible de monter un système de fonds, plus complexe que celui qui existe actuellement, et qui permettrait d'assurer le caractère transposable de l'ensemble du dispositif.

Le premier problème structurel du secteur HLM à l'horizon de 4 à 5 années me paraît être ainsi le suivant : comment assurer l'équilibre des opérations alors qu'il faut trouver un substitut au mécanisme de subventions publiques à bout de souffle ?

J'en viens au troisième point que vous avez évoqué, Monsieur le Président, et qui est ADOMA, dont la situation était catastrophique six années auparavant. Le déficit des opérations en cours avait été alors estimé par plusieurs audits, dont celui de l'Inspection générale des finances, à 200 millions d'euros. Lorsque nous avons repris la gestion de cette société, nous nous sommes aperçus qu'il existait des marges de progression considérables. Ainsi, cette entreprise publique disposait alors d'une flotte de 300 véhicules de fonction ! ADOMA a par ailleurs connu trois procédures juridictionnelles. Cette société a été redressée. Elle peut désormais emprunter du fait de sa capacité d'investissement restaurée et de son résultat d'exploitation positif, à quelque 40 millions d'euros. Si nous sommes parvenus à remettre à niveau la moitié du patrimoine, l'autre moitié, en revanche, ne répond pas aux standards actuels. La question des besoins se pose également car l'État souhaite le développement de 20 000 places supplémentaires pour faire face aux besoins structurels, que ce soit en matière d'hébergement d'urgence ou de demandes d'asiles. L'équation demeure relativement simple : tout ce qu'ADOMA et les associations ne peuvent pas proposer est assuré par le système des hôtels meublés, et ce, à hauteur de 400 millions d'euros par an. Augmenter les capacités d'accueil en nombre permettrait ainsi de réduire la facture de ces hôtels meublés.

Dans ce domaine, la crise des migrants avive un sentiment d'urgence. D'un certain point de vue, ce sentiment d'urgence ne présente pas que des inconvénients car il peut contribuer au règlement du problème structurel posé par la nécessité d'accroître les capacités d'accueil. Dès lors, plusieurs possibilités s'offrent à nous. L'Agence foncière et technique de la région parisienne (AFTRP) envisage d'introduire dans les protocoles de cessions des actifs maîtrisés un quota minimum de logement très social et nous avons recherché les logements publics gérés en partenariat avec l'État et non utilisés. Je connais bien le patrimoine immobilier géré par le Ministère de la défense dont la SNI est le partenaire. Actuellement, ce sont près de 800 logements qui sont désaffectés du fait des restructurations militaires et qui sont en cours de transfert entre le Ministère de la défense et Bercy pour être cédés par France Domaine. Personne ne sait ce qu'il en est ! Notre objectif est de proposer ces logements, dont beaucoup se trouvent dans des zones retirées, voire peu accessibles, comme des solutions de secours ponctuelles. Ceux-ci pourraient accueillir de 4 à 5 000 personnes provisoirement.

Un second stock important de logements est détenu par l'Association pour la Formation Professionnelle des Adultes (AFPA). Le patrimoine appartient à l'État mais est mis à disposition. Ce patrimoine s'élève à 18.000 places d'accueil utilisées en moyenne sur l'année à 23 %. Des opérations de densification pourraient être réalisées dans des zones tendues, en continuant à accueillir des stagiaires et en diversifiant l'usage de ces locaux. Aller dans ce sens permettrait d'amorcer une évolution positive pour l'AFPA, dont la principale clientèle se trouve dans les quartiers sociaux, voire très sociaux. Voilà, Monsieur le Président, nos principales activités au cours de l'année écoulée.

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