Hervé Maurey l'a rappelé : notre marge de manoeuvre, déjà peu importante en matière de transposition de textes européens, est considérablement limitée par le temps bien insuffisant qui nous est imparti pour examiner un texte d'une nature aussi technique et recouvrant des sujets aussi variés. Nombre de rapporteurs connaissent bien ce problème...
Ce projet de loi est en réalité le deuxième « Ddadue » examiné par le Parlement dans le domaine de l'environnement. Le premier de ces textes était la loi du 16 juillet 2013 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine du développement durable qui a, pour ainsi dire, inauguré une ère nouvelle pour les politiques publiques environnementales, en les faisant devenir un champ à part entière de transposition du droit européen, d'action et d'harmonisation des règlementations nationales en la matière.
Notre collègue Odette Herviaux, qui était alors rapporteure de ce texte pour notre commission, avait déjà souligné à l'époque que ce projet de loi recouvrait quasiment tous les contours du champ de compétences de notre commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, c'est-à-dire l'environnement, les transports et certains aspects des politiques énergétiques.
Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui se concentre, lui, sur le sujet de la prévention des risques et poursuit donc l'oeuvre de transposition commencée en 2013. Il a pour objectif de transposer dans notre droit un certain nombre de dispositions issues de directives européennes et de l'adapter à d'autres dispositions issues de règlements européens.
À titre principal, il transpose deux directives récentes visant à améliorer la prévention des risques :
- la directive du Parlement européen et du Conseil du 12 juin 2013 relative à la sécurité des opérations pétrolières et gazières en mer, dite « directive offshore », adoptée à la suite de l'accident survenu sur la plate-forme mobile Deepwater Horizon le 20 avril 2010 dans le Golfe du Mexique ;
- la directive du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2015, qui a modifié la directive n° 2001/18 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés (OGM) dans l'environnement.
Il adapte en outre notre droit national à la règlementation européenne en matière de produits et équipements à risques, de prévention et de gestion des déchets et de produits chimiques.
Cela a été rappelé, les lois de transposition peuvent procurer un sentiment de frustration en raison de leur double dimension : l'importance des sujets abordés par rapport à la faiblesse de la marge de manoeuvre. D'autant que nous avons l'obligation de transposer ces directives européennes en en respectant la lettre et l'esprit, sous peine de sanctions financières importantes !
Chacun des titres du projet de loi constitue un sujet à part entière et un champ important de l'activité de notre commission, ce qui fait que j'ai été tenté - et nous le sommes tous j'imagine - de rouvrir plus largement certains sujets qui, à mon sens, méritent de l'être - je pense notamment à la question des OGM. L'objectif est cependant tout autre : s'en tenir avec rigueur aux dispositions des textes européens - pas plus, pas moins - et ne pas tomber dans l'écueil d'une « surtransposition » qui ne ferait qu'ajouter à la légendaire complexité franco-française.
J'ai décidé de rencontrer les professionnels des secteurs concernés afin qu'ils me fassent part de leurs difficultés et de la manière dont ils étaient impactés, concrètement, par ces règlementations européennes. Je voudrais que notre priorité, étant donné le peu de latitude que nous avons pour transposer des textes déjà votés au niveau européen, soit de ne pas imposer de contraintes supplémentaires inutiles aux différents acteurs. Un mot d'ordre donc : de la simplification !
S'il est fondamental aujourd'hui de renforcer la sécurité dans un certain nombre de secteurs comme les opérations pétrolières et gazières, ou encore les produits chimiques et les équipements à risques, nous devons veiller à ne pas complexifier davantage le droit existant ni alourdir les procédures et les démarches administratives pour les différents opérateurs économiques.
Je vous rappellerai que, si nous pouvons regretter le calendrier particulièrement serré d'examen du texte, nous sommes pris par une contrainte : la date de transposition de la directive relative à la sécurité des opérations pétrolières et gazières en mer était fixée au 19 juillet 2015 et les mesures transitoires en ce qui concerne la possibilité pour les États membres de restreindre ou d'interdire la culture d'organismes génétiquement modifiés (OGM) sur leur territoire étaient en vigueur jusqu'au 3 octobre 2015. La transposition de ces différentes dispositions dans notre droit national doit donc intervenir rapidement.
Le titre Ier du projet de loi, qui regroupe les articles 1 à 10, vise essentiellement à transposer les dispositions de la directive offshore du 12 juin 2013, relatives à la sécurité des opérations pétrolières et gazières en mer. L'accident de Macondo, dans le golfe du Mexique, en avril 2010, a conduit toutes les compagnies à des révisions systématiques des installations existantes, des évolutions de la conception des installations en fond de mer et un renforcement des bonnes pratiques. Notre vigilance ne doit pas pour autant se relâcher, notamment dans les environnements fragiles comme l'Arctique, qui suscite de plus en plus de convoitise. Une modernisation du cadre juridique sur la question de la sûreté des opérations de forage d'hydrocarbures en mer se justifie d'autant plus que le cadre législatif qui régit ces activités est ancien et mal adapté.
Pour cette raison, les articles 1 et 2 apportent des garanties supplémentaires quant aux capacités techniques et financières que doivent posséder les entreprises pour faire face aux risques et aux conséquences de leurs projets. L'article 3 prévoit que les autorités publiques disposent, dès la demande d'autorisation de travaux, d'un rapport sur les dangers majeurs particulièrement fouillé en ce qui concerne les risques environnementaux. L'article 4 lui adjoint un programme de vérification indépendante des installations. L'article 5 permet à l'administration d'exiger un rapport sur les circonstances de tout accident majeur survenu hors de l'Union Européenne sur une plateforme offshore d'une entreprise enregistrée sur le territoire national. L'article 6 précise que l'exploitant devra prendre en charge les frais d'intendance supportés par l'administration lors de l'inspection d'une installation offshore, ce qui correspond à une pratique déjà existante chez les industriels de l'offshore. L'article 6 bis, inséré par les députés, aligne les sanctions pénales pour les infractions offshore sur celles prévues onshore. L'article 7 introduit des dérogations de bon sens à l'interdiction de pénétrer dans la zone de sécurité définie autour des installations offshore, par exemple pour les navires en situation de détresse ou ceux chargés de l'inspection de cette zone. L'article 8 étend le champ d'application du principe pollueur-payeur à la pollution des eaux marines. Enfin, l'article 10 organise l'extension de ces dispositions à Wallis-et-Futuna et dans les TAAF. Toutes ces dispositions sont la transposition fidèle de la directive du 12 juin 2013 : je ne proposerai donc aucune modification.
Reste un article relatif aux stockages souterrains d'hydrocarbures et de gaz naturel. Depuis la transposition en droit français de la directive Seveso III, ces stockages relèvent de la législation sur les installations classées, les ICPE, et non plus du code minier. L'article 9 procède donc à quelques coordinations manquantes afin que ce régime s'applique pleinement à ces stockages. S'il n'appelle pas de commentaire à première vue, les représentants de l'industrie gazière que j'ai entendus m'ont fait part de leur inquiétude quant à l'application à venir de la législation sur les ICPE. Compte tenu des spécificités des activités de stockage souterrain, il semble plus adapté de maintenir les phases d'arrêt de l'exploitation et de suivi de l'après-mines dans le champ du code minier. Ces deux phases soulèvent en effet des problématiques de gestion du sous-sol profond - notamment en raison du stockage dans des puits, des cavités creusées dans le sel, ou encore des formations géologiques poreuses-, qui relèvent pleinement des activités minières et sont mieux encadrées par le code minier. Je vous proposerai donc un amendement en ce sens.
Le titre II comprend trois articles qui transposent des dispositions relatives aux produits et équipements à risques. Les articles 11 et 12 précisent le champ de contrôle des autorités et les sanctions applicables en matière de produits et équipements à risque en transposant les directives du 15 mai 2014 relative à l'harmonisation des législations des États membres concernant la mise à disposition sur le marché des équipements sous pression et du 23 juillet 2014 relative aux équipements marins. Ces directives ont pour objet de renforcer la sécurité maritime et la prévention de la pollution des milieux marins. L'article 12 bis, inséré en commission à l'Assemblée nationale, précise les modalités d'accès des agents chargés de la surveillance du marché des équipements marins aux espaces clos et aux locaux des opérateurs économiques. Sur ces articles, je vous proposerai d'adopter quatre amendements corrigeant des erreurs rédactionnelles ou de coordination.
Le titre III, relatif aux produits chimiques, comprend cinq articles. L'article 13 adapte le droit national au règlement du 16 avril 2014 relatif aux gaz à effet de serre fluorés, entré en vigueur au 1er janvier 2015.
Les articles 14 à 16 concernent les produits biocides, qui sont utilisés pour lutter contre les organismes nuisibles pour l'homme, les animaux ou l'environnement, dans un but d'hygiène générale ou de santé publique. Ils sont le « pendant » des produits phytosanitaires en agriculture, mais relèvent d'une réglementation européenne distincte.
Le règlement du 22 mai 2012 prévoit une autorisation des biocides en deux temps, comme pour les phytosanitaires : tout d'abord, l'agence européenne des produits chimiques évalue les substances, qui sont ensuite autorisées par la Commission européenne ; ensuite, les produits incorporant ces substances doivent être évalués et autorisés par chaque Etat membre pour obtenir une autorisation de mise sur le marché.
En France, le ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie délivre les autorisations sur la base des avis transmis par l'Anses, autorité chargée de l'évaluation.
Le projet de loi propose de modifier les compétences de l'Anses, afin que cette agence réalise non seulement les évaluations de produits biocides, mais procède également à la délivrance, à la modification et au retrait des autorisations de mise sur le marché.
Nos collègues du groupe Les Républicains de l'Assemblée nationale ont posé la question de l'opportunité et de l'utilité de ces dispositions. Lors de l'examen de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, le Gouvernement a proposé de réaliser ce même transfert de compétence en matière de phytosanitaires, ce qui avait provoqué de vifs débats. Si nous n'avons pas aujourd'hui de recul sur ces dispositions, qui sont entrées en vigueur le 1er juillet, elles ne semblent pas inquiéter les acteurs.
Plusieurs raisons me conduisent à vous proposer d'adopter ces articles sans modification. Ce dispositif prévoit que le ministre conserve un pouvoir de dérogation ou de veto. Dans l'ancien système, les autorisations étaient données automatiquement par le ministère après avis positif de l'Anses. L'enjeu consiste à pouvoir modifier ou retirer une autorisation, en cas d'apparition d'un nouveau risque par exemple. N'oublions pas que le problème, avec les produits dangereux, est toujours le même : il faut trouver un produit remplaçant et être sûr que lui-même n'est pas dangereux...
Par ailleurs, l'Anses a d'ores et déjà réorganisé ses directions pour mettre en oeuvre ses nouvelles compétences en matière de produits phytosanitaires : l'évaluation du risque et la gestion du risque sont rigoureusement séparées. L'agence est donc prête à exercer cette nouvelle mission pour les biocides aussi.
Enfin, ce transfert de compétences simplifie la procédure pour les firmes commercialisant ces produits, les entreprises et les services publics utilisant des biocides : cela permettra de réduire les délais de mise sur le marché, ce qui me semble une bonne chose.
Je vous propose donc de voter ces articles sans modification.
Le titre IV transpose la directive du 11 mars 2015 relative à la possibilité pour les États membres de restreindre ou d'interdire la culture d'organismes génétiquement modifiés (OGM) sur leur territoire.
Vous connaissez tous le contexte de cette directive : les autorisations de mise sur le marché d'OGM sont aujourd'hui bloquées au niveau européen en raison des divergences entre les différents États membres. Les États ne pouvaient s'opposer aux autorisations délivrées qu'en invoquant des mesures d'urgence ou des clauses de sauvegarde, qui étaient sources de contentieux, comme cela a pu être le cas pour la France.
La directive de 2015 vise à résoudre ces difficultés en laissant aux États la possibilité d'interdire la culture d'OGM sur leur territoire, sur la base de critères d'intérêt général, à savoir la politique environnementale, des critères sociaux, économiques, agricoles, ou encore l'ordre public, ce que je trouve assez éloigné d'une objectivité scientifique. Je suis choqué qu'on puisse interdire la culture d'OGM au prétexte que cela troublerait l'ordre public, même si je soupçonne la France d'être à l'origine de cette demande auprès du parlement européen. Je pense à ces fameux champs d'OGM plantés par l'INRA : ils ont été honteusement détruits et les auteurs de ces actes sont restés tout aussi honteusement impunis... L'objectif est donc de débloquer de cette manière le processus européen d'autorisation des OGM.
Les articles 18 et 19 du projet de loi modifient donc le code de l'environnement et le code rural afin d'inscrire dans notre droit la nouvelle procédure qui se décline en deux phases : premièrement, la France peut demander au pétitionnaire que sa demande d'autorisation d'un OGM n'inclue pas le territoire national. En cas de refus du pétitionnaire, ou si la France n'a pas formulé de demande en phase 1, l'État pourra restreindre ou interdire la mise en culture de l'OGM en question sur le territoire national pour les motifs cités précédemment.
Nous n'avons pas d'autre choix que de transposer cette directive. Cette transposition m'inspire toutefois quelques regrets, ou tout au moins quelques interrogations.
Cette directive marque, d'une certaine manière, l'abandon du principe pourtant fondamental en droit européen d'application uniforme et harmonisée des réglementations. Nous réclamons l'harmonisation sur beaucoup de sujets : nous voilà dans la démarche inverse, c'est rare... Avec ce texte, certains États cultiveront des OGM, d'autres non. Les autorisations ne seront plus délivrées pour l'Europe entière. Il est regrettable que la situation de blocage dans laquelle nous nous trouvons actuellement conduise à revoir notre ambition européenne à la baisse.
Pour autant, je veux rester positif, et j'espère que la mise en oeuvre de cette directive se traduira par une sortie de la paralysie, même si la France a pour sa part déjà annoncé, sans attendre le vote de ce texte, qu'elle souhaitait exclure son territoire de la mise sur le marché d'une dizaine d'OGM en cours d'évaluation.
Ce texte pose par ailleurs la question cruciale du seuil d'OGM autorisé dans les semences et les produits : il y a de nombreux débats, vous le savez, sur le seuil accepté dans les semences et produits conventionnels. Avec une mise en oeuvre différenciée des autorisations de mise sur le marché d'OGM entre les États membres, et une circulation toujours plus grande des semences entre les États, cette question va retrouver toute son importance. Le projet de loi que nous examinons n'est pas le lieu pour avoir ce débat, mais j'espère que les discussions, et en particulier les discussions techniques sur la mesure des seuils, vont pouvoir aboutir dans un futur proche.
Je vous proposerai un seul amendement sur ce volet : la suppression d'une demande de rapport à l'article 19 ter sur les risques de contamination des cultures conventionnelles et biologiques. Nous avons eu une position assez constante sur les demandes de rapport dans les textes examinés récemment, et je sais que notre collègue Gérard Cornu sera sensible à cet amendement. (Sourires) Je me sens d'autant plus convaincu de la nécessité de supprimer ce rapport que le Haut Conseil des biotechnologies va travailler sur le sujet et remettra une étude. Evitons les doublons inutiles...
Le titre V procède à une simplification de procédure en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement, pour les entreprises dont le régime administratif change à la suite d'une modification de la nomenclature des ICPE.
Le titre VI comprend un article unique inséré par le Gouvernement en séance publique à l'Assemblée nationale, qui vise à actualiser la transposition de la directive du 13 octobre 2003 relative au système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre (SEQE) dans la Communauté et de ses textes d'application, au regard des nouvelles règles applicables à la « troisième période » qui a débuté en 2013. Je vous proposerai un amendement rédactionnel sur cet article.
En conclusion, je dirai que la France se doit d'être exemplaire en matière de transposition, particulièrement sur des sujets très sensibles comme les risques environnementaux.