Je souscris intégralement à la démonstration juridique du rapporteur. D'un point de vue strictement juridique, la question a été posée et tranchée en 1999 : le Président de la République avait saisi le Conseil constitutionnel, l'avis du Conseil d'État était clair ; il n'y avait donc pas lieu de revenir sur la question. J'en avais discuté avec mon ami Guy Carcassonne - pour lui, la cause était entendue, pour des raisons de droit interne.
Depuis 1999, de l'eau est passée sous les ponts concernant le droit des langues régionales françaises. Par une jurisprudence bien établie, le Conseil constitutionnel a donné une valeur constitutionnelle à l'existence du droit local alsacien-mosellan, y compris en matière linguistique. Il n'y a donc nulle raison de rechercher une garantie supplémentaire par voie de traité : la Constitution suffit.
En 2002, l'assemblée de Corse m'a chargé d'être son conseil juridique pour sa négociation avec le gouvernement Jospin. Le débat portait notamment sur l'enseignement de la langue corse à l'école. Je suis allé voir le recteur, qui m'a présenté une circulaire qu'il avait élaborée seul, deux ans auparavant, et qui prévoyait déjà l'enseignement du corse dans toutes les écoles. Il n'avait pas même fallu une circulaire du ministre et il n'y avait pas de débat sur sa constitutionnalité. La seule difficulté était de trouver des professeurs... Nous avons donc largement les moyens en droit interne de protéger les langues régionales.
En Allemagne, l'enseignement relève de la compétence des Länder, et non de l'État fédéral. Il faut donc leur accord pour signer un tel traité, ce qui nécessite des déclarations interprétatives, les Länder, contrairement aux communautés linguistiques belges, n'ayant pas la capacité de signer eux-mêmes des traités. Le Bundestag a par ailleurs des pouvoirs que nous n'avons pas ; rappelez-vous ce qu'il avait fait du traité de l'Élysée : au grand dam du Général de Gaulle, il l'avait vidé de sa substance par une déclaration interprétative. En France, conformément à la séparation des pouvoirs, seul l'exécutif peut faire ce type de déclarations.
Dans notre hiérarchie des normes, la Constitution est théoriquement supérieure aux traités. Mais en matière de droit du Conseil de l'Europe, il faut mettre un bémol. Ainsi, sur la garde à vue, la Cour de cassation a appliqué la Convention européenne des droits de l'homme - alors que le Conseil constitutionnel, sollicité par une question prioritaire de constitutionnalité, avait revu sa jurisprudence, acceptant de déclarer inconstitutionnel ce qu'il avait jugé constitutionnel lors du vote de la loi « Perben » en 2004, mais considérant que des raisons d'ordre public imposaient de conserver des dispositions plus rigoureuses dans certains cas. La chambre criminelle de la Cour de cassation est passée outre ces limites, obligeant le législateur à revoir toute sa copie.
Imaginons que cette Charte entre en vigueur : qu'est-ce qui empêcherait un juge français de procéder à un contrôle de conventionalité en se passant de la déclaration interprétative ? Comme l'a fait remarquer le Conseil d'État, il pourrait tout à fait jouer de certaines dispositions de la Charte contre d'autres.
J'avais rencontré, en tant que professeur, les rédacteurs de cette convention, furieux de ne pas avoir été reçus par le ministre de l'intérieur de l'époque, Jean-Pierre Chevènement. Ils m'avaient expliqué que la Charte visait à répondre aux problèmes que rencontraient les minorités linguistiques dans les pays d'Europe centrale et orientale après l'effondrement du communisme - Roumanie, Bulgarie, Tchécoslovaquie et Hongrie, notamment - et que, ce faisant, on pouvait apporter une garantie aux Basques et aux Catalans, qui ont saisi cette occasion. Il n'était pas question d'imposer la Charte à tout le monde, et certainement pas à nous, Français : ils savaient très bien que c'était à notre Constitution de régler ces problèmes.
Ne faisons pas d'anachronisme, et n'utilisons pas cet outil pour remédier à des problèmes que nous pouvons régler avec notre propre système législatif.