Monsieur le ministre, je vous remercie d’assister à ce débat important pour la Haute Assemblée.
« La politique étrangère française, quelle autonomie pour quelle ambition ? » Au terme d’une année de travail sur le contexte géostratégique, c’est au fond la question essentielle qui se dégage des quatre rapports d’information de la commission des affaires étrangères. Ceux-ci portent sur l’Iran, la Russie, la Chine et le climat et vous seront présentés par leurs auteurs respectifs.
Monsieur le ministre, dans un monde qu’à juste titre vous qualifiez à la fois d’« apolaire » et d’« omni-crises », l’addition des prises de position ne suffit pas à faire une politique. Il faut une ligne directrice.
La guerre, parce qu’elle crée autant de problèmes qu’elle n’en résout, ne peut se substituer à la pensée.
En 2003, lorsque George Bush disait à propos de l’Irak « The game is over », je me souviens lui avoir répondu : « It’s not a game. It’s not over. »
Monsieur le ministre – et c’est le message de cet après-midi –, la ligne que nous vous proposons pourrait se résumer en quelques mots : osons l’indépendance pour mieux servir nos objectifs ! En d’autres termes, ayons l’autonomie de notre ambition.
Le paradoxe du XXIe siècle est peut-être que l’indépendance crée aussi les alliances, en tout cas les solidarités.
Au fond, notre politique étrangère peut s’appuyer sur deux grands atouts : la puissance de nos fondamentaux, l’indépendance de nos idéaux.
Sur nos fondamentaux, c’est le développement économique qui fonde in fine la puissance. D’ailleurs, le match entre la Chine et les États-Unis est bien, aujourd’hui, une guerre de croissance : celui qui donnera de la croissance aux autres sera sans doute le leader de demain.
Monsieur le ministre, j’exprime mon inquiétude sur nos fondamentaux, sur les mauvais résultats économiques de la France, sur les dettes et les déficits, sur les lourdeurs, l’immobilisme et les blocages, qui se traduisent notamment par un décrochage préoccupant par rapport à l’Allemagne, rompant l’équilibre du moteur européen, à l’heure où la crise des migrants fragilise le cœur même du projet européen. Comment peser sur les affaires du monde si nous n’arrivons pas à surmonter nos propres crises, en France et en Europe ?
Dans ce contexte, la valorisation de nos atouts nationaux, du tourisme à l’industrie de défense, relève des priorités nationales. Dans cette période d’hésitations, le devoir d’indépendance de la France est notre certitude.
« C’est parce que nous ne sommes plus une grande puissance qu’il nous faut une grande politique… » Cette phrase, prononcée en 1969 par le général de Gaulle, résume la vocation de la politique étrangère française qui l’avait conduit à reconnaître la Chine populaire en 1964.
Dans ce monde turbulent et agité, quelle est notre boussole ? Quel est notre cap ? Quel est notre impact ?
Notre boussole doit être, selon nous, les intérêts de la France, dans un monde où la paix est la voie du progrès ! La politique étrangère, c’est une question d’intérêts. Elle ne peut être réduite à la question morale. L’essence même de la diplomatie, c’est souvent de parler, aussi, à ses ennemis.
Quels sont aujourd’hui nos principaux intérêts dans le monde ?
Il s’agit, premièrement, de défendre la sécurité des Français, de défendre la sécurité de la France, qui est menacée, y compris sur notre sol, par Daech et les autres organisations terroristes.
Il s’agit, deuxièmement, de stopper ce qui nous semble être l’escalade des tensions qui montent aujourd’hui entre la Russie et les États-Unis. La campagne électorale américaine ne va pas apaiser la situation. Ne soyons les vassaux ni de l’un ni de l’autre et ne nous laissons pas enfermer dans un choix manichéen et réducteur. Je vois monter avec inquiétude – je vous le dis comme je le ressens, monsieur le ministre – une forme de compréhension qui pourrait devenir, à terme, une entente entre la Chine, la Russie, voire l’Iran, sorte de coalition des émergents qui s’opposerait au vieil ordre occidental. La France doit faire tout son travail diplomatique pour sortir de cette tension binaire et faire vivre les équilibres.
Il s’agit, troisièmement, de résoudre les crises. C’est vrai pour la Syrie, dont nous pensons, comme vous, monsieur le ministre, l’avenir sans Bachar al-Assad, mais aussi pour la Libye, le Mali, le Yémen, le Soudan du Sud ou l’Érythrée, pays dont personne n’évoque la situation dramatique.
Il s’agit, quatrièmement – et ce n’est pas la moindre des priorités –, d’être fidèle au message de la France : indépendance, résistance, espérance ! Pour sortir de ces conflits, la commission des affaires étrangères émet un certain nombre de propositions qui pourront être utiles au Gouvernement.
Avec l’Iran, une ère nouvelle s’ouvre depuis la signature de l’accord nucléaire du mois de juillet dernier, auquel vous avez pris une part importante, monsieur le ministre, dont la France peut être fière.
Le rapport d’information du Sénat appelle à rééquilibrer nos alliances et, surtout, à ne pas sous-estimer l’Iran. Ne soyons pas prisonniers d’une alliance avec un camp : jouer les sunnites contre les chiites serait une grave erreur de long terme ! Nous le savons bien : les amis de nos amis ne sont pas nécessairement nos amis !
Ajoutons à tout cela de la cohérence. La France a habilement su tirer profit du « froid » entre l’Arabie saoudite et les États-Unis. Pourquoi pas ? Toutefois, l’Iran jouera demain un rôle régional majeur, un rôle économique considérable et a besoin de diversifier ses alliances. Nos rapporteurs se prononcent dans le texte pour l’élaboration d’une feuille de route dense, précise, fournie, qui pourrait être le « délivrable », comme disent les diplomates, de la visite du président Rohani à Paris au mois de novembre prochain.
Les engagements qui ont été pris pour l’Iran doivent être tenus pour que les sanctions soient levées : la ligne est claire.
Syrie, Yémen, mais aussi Liban seront autant de dossiers tests de la bonne volonté de l’Iran dans les prochains mois.
Pour la Russie, « ce mystère enrobé d’une énigme », comme disait Churchill, la commission souhaite « éviter l’impasse ».
Sans renier nos principes, fondés sur le refus de la violence et le respect du droit international qui a été violé en Crimée, sachons considérer la Russie pour ce qu’elle est : un partenaire stratégique à part entière, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Par le passé, nous n’avons peut-être pas suffisamment réussi à arrimer la Russie à l’Europe, mais nous partageons avec ce partenaire un voisinage commun et nous avons toujours eu avec lui une relation dense et singulière. Monsieur le ministre, la commission vous fait des propositions équilibrées, mais ambitieuses, alliant l’indispensable fermeté à une posture ouverte, de dialogue. Il faut casser la spirale de l’isolement, qui ne fait qu’empirer les choses.
Parce qu’elles relèvent d’un statut « prémilitaire », les sanctions ne sont pas une politique, elles ne peuvent être durables. On vise les caisses des dirigeants, mais on atteint la fierté des peuples et, ainsi, on nourrit souvent les nationalismes.